Nous publions des extraits du témoignage d’un des spectateurs qui a publié un long post sur Facebook. Chanteur dans un groupe de « brutal death blackened », il fait de la musique depuis 20 ans. Après de nombreux échanges avec Rue89Lyon, il a souhaité conserver l’anonymat.
Je suis allé à la soirée Call of Terror. Non pas que je sois adepte du NSBM (National Socialist Black Metal), mais plutôt que je reste un grand curieux notamment pour tout ce qui touche la musique et plus particulièrement le metal.
On m’avait vanté la qualité de certains groupes sur le plan musical. L’engouement pour ce milieu en ces périodes anxiogènes (et pré-électorale) m’intrigue beaucoup également.
Armé de tout mon second degré en stock et de ma critique musicale la plus impartiale, c’est parti pour une soirée NSBM très attendue dans ce milieu que je connais de réputation, très peu en vrai.
J’avais l’idée qu’il m’est possible, l’espace d’une soirée, de prendre suffisamment de recul, jusqu’à tolérer l’intolérance du national socialisme pour me faire une idée réelle du milieu.
Cela peut paraître super con, mais j’estime que cela peut aussi être une expérience artistique et sociologique intéressante.
Une croix gammée tatouée dans le cou
Concert privé, avec info gardées secrètes jusqu’à l’après-midi de l’event. Une petite excitation, l’impression d’attendre l’infoline 3672## pour aller en teuf dans les années 2000 et d’éviter les flics.
Un mail et nous avons le lieu, l’heure et les infos quelques heures avant l’ouverture des portes.
« 18h30 à la salle des fêtes communale Jean Bouchard à St Genix sur Guiers, vers la Tour du Pin dans le 73. Pas d’appareil photo, pas de portable également pour éviter les photos / vidéos bien sûr, et…. pas de couteau. »
WTF, ça sent la soirée zen.
On arrive à 20h30, les portes ouvriront quelques minutes plus tard. Il y a une énorme file d’attente devant la salle des fêtes du bled, tous sirotant des bières par -5 °. Le public encaisse calmement les deux heures de retard.
L’ambiance a l’air plutôt tranquille bien que l’on croise pas mal de regards un peu paranos et qu’une certaine tension plane vue l’affiche plus que controversée. Je ne fais pas trop gaffe aux patchs et logos de hoody mais tout le monde est sur son 31 pour l’occasion.
Entrée dans la salle. Il y a tout un staff avec des brassards orange et un service de sécu avec détecteur de métaux. Mais ils font uniquement des palpations à l’arrache. Il y a un scan électronique de ticket mais il ne marche pas.
Tout ça parait un peu en carton, du coup.
Je commande une bière, le mec au bar a une croix gammée tatouée dans le cou et un insigne SS de l’autre côté mais il a une attitude assez sympa. A l’évidence il a un petit souci de mémoire vive et il aime bien la muscu. Ce gros cliché m’amuse.
On rentre dans la salle.
Les groupes ont affiché leur drapeau à l’étage où se vend le merchandising. J’y fais un tour. Assez impressionnant.
Propagande identitaire et appel à la violence
En 2017, apparemment faire un salut nazi à 500 est acceptable et autorisé dans une salle des fêtes en France (même si c’était indiqué « soirée privée »).
Les concerts vont attaquer avec 3 heures et demi de retard. Il est plus de 22h30. Baise Ma Hache (BMH) d’Annemasse (74) ouvre le bal. Tendance savoisiens séparatistes à en croire leur visu arborant la croix de Savoie.
On voit leur logo de partout, un mec sur trois a un t-shirt, un sweat ou un patch dans le dos à l’effigie du groupe, on se dit que ça doit valoir le coup vu la variété de merchandising et la quantité achetée par les fans.
Leur graphisme est assez bien foutu. En revanche les slogans sont très explicites : appel à la violence du type « une lame pour les infâmes » et des illustrations de guerrier type « croisé » plantant un couteau dans l’œil d’un mec enturbanné.
Leur logo est une hache et un fémur = référence aux jeunesses hitlériennes.
C’est un show catastrophique. Les grattes sous mixées ne sont pas carrées du tout, surtout côté jardin qui est plutôt rythmique, et la batterie plus qu’approximative. Pas de basse.
J’essaye de ne pas prêter trop attention au discours qui parle surtout d’un grand hiver qui arrive pour le premier morceau… Mais difficile, vu que le chanteur répète ces quelques phrases en boucle. Ça martèle le crane avec des rimes en français dignes d’un enfant de 12 ans.
À l’évidence, ce sont des zicos en carton ou ils n’ont jamais répété. Fin de leur concert avec très peu d’applaudissements qui se sont épuisés très rapidement au fil des morceaux, mais beaucoup de mains droites tendues pendant.
Ils rejouent quand même une de leur zic déjà interprétée 15 minutes auparavant, non sans avoir passé une minute à se mettre d’accord sur le titre, ce qui montre l’étendue de leur répertoire et le professionnalisme du groupe. Après tout avec plus de 3 heures de retard, on n’et plus a 5 minutes près pour les 3 groupes a venir.
Je les rebaptise naturellement « Baise Mon Cash ».
Quelle arnaque, si on peut appeler ça un groupe. C’est clairement de la propagande identitaire séparatiste et de l’appel à la violence qui font leur 6000 likes sur Facebook. Artistiquement, c’est le désert du Sahara. Ça promet pour la soirée.
J’ai épuisé 300% de mon second degré
Dark Fury a l’air de sonner un peu plus carré (pas dur), bien que lent et ultra simple. Le mix pitoyable en façade les aide vraiment pas.
Je manque de m’endormir même si c’est un peu mieux que Baise Mon Cash et ces coups de tom me font sursauter toute les 40 secondes en me détruisant un peu plus l’oreille interne.
Le public décomplexé de la main droite continue de sieger, de plus en plus nombreux.
Ça y est, j’ai épuisé 300% de mon second degré et 3000% de ma critique musicale. Je commence à me demander ce que je fous la.
On n’est pas dans l’art mais plutôt dans un rassemblement facho.
J’en profite pour m’intéresser un peu à ces personnes qui passent des minutes entières la main droite en l’air en mode « saignement de nez ». Mais qui peuvent-ils bien être ? Est-ce qu’ils savent que le mec qui a inventé ce geste a décimé l’Europe il y a quelques décennies en massacrant des peuples industriellement ? Et est-ce qu’ils savent qu’encore aujourd’hui on paye tous très cher les pots cassés de cette guerre plus de 70 ans après ?
Je constate que ce sont des gens plutôt lambda, allant de la gamine de 16 ans au métalleux moyen. Bien sûr, il y a des passionnés du levage de fonte et des coupes de cheveux très dégagées ça et là, qui se la donnent en gonflant leur gros biceps bien serrés dans des T shirts ultra moulants white pride, mais c’est pas du tout la majorité, seulement une vingtaine à tout péter.
Le reste du public, va du beauf bourré avec des patches Motorhead au fébrile avec un t-shirt Crawle of filth.
Un public métal lambda.
Peste Noire et l’incitation à la haine
Dernier groupe, Peste Noire, ou Kommando Peste Noire alias KPN, dont la musique m’a été vantée nombre de fois… Mais pas vraiment l’idéologie et le passé néonazi de certains membres, il me semble, aux vues de photos qu’on trouve en trois clics sur Google images.
Le chanteur fondateur du projet, connu sous le nom de Famine, arrive en survêt’ sur scène. Décalage complet. Je connais très peu le parcours de ce mec, juste vu quelques photos comme dit plus haut et une interview où il se justifiait « racialiste » et non raciste.
Ça blaste, la voix est méga haineuse, son timbre est bien particulier et très cohérent avec la musique. Ce mec a une voix, un niveau musical et un charisme bien trempé et apparemment il compose tout. C’est indéniablement un bon zicos, un bon compositeur et un bon frontman. Et ça fonctionne très bien sur le public qui l’idolâtre clairement.
Entre chaque musique, il a un petit mot, souvent identitaire et haineux.
Un petit morceau à capella, reprise de « Les Français sont chez eux », histoire de chauffer le public encore un peu plus, en le faisant chanter. Festival de « sieg heil » lancés soit par Famine, soit par le public. Ils sont bien au moins 200 ou 300 à le faire en même temps, c’est assez impressionnant.
Fin du concert, 4h30 du mat. Des mecs dorment dans tous les coins de la salle.
On se barre rapidement, il y a de la route et, surtout, on est complément assommé par la dure soirée qu’on vient de vivre.
L’état de la scène black metal
Deux points positifs :
- Le premier est que j’ai trouvé certains groupes très au point niveau musical, ce qui m’a permis de ne pas trop me focaliser sur le discours mais ce n’était pas évident.
- Le deuxième est que ça m’a grandement ouvert les yeux sur l’état de la scène black métal ; je dis bien black métal sans faire de sous-genre justement, car le NSBM est grandissant, très grandissant.
Aucun adepte de black metal ne peut ignorer ou ne pas connaître quelqu’un dans le NSBM tant ça devient répandu et que, donc, cette idéologie est tolérée, acceptée, fait pleinement parti du décors et en passe de devenir une scène phare du genre.
A moins d’avoir passé les dix dernières années dans une cave et surtout sans internet.
Dix ans, c’est à peu près ce qu’il a fallu pour que les thèmes autour de satan et de la haine du christianisme passent le relais aux thèmes de la pseudo invasion arabe, de la haine de l’islam, des étrangers en général et des différences.
Le mouvement National Socialist Black Metal en plein essor
Les nazis envahissent le black métal purement et simplement et tout le monde suit ou minimise. C’est une énorme inquiétude.
Le mouvement NSBM en plein essor est à la mode, radicalement décomplexé et sans retenu. Et ça va pas en s’arrangeant. Avec l’apologie du nazisme, de la violence et de l’intolérance la plus primaire pour certains et beaucoup d’effet de groupe.
Ce n’était pas la première fois que j’assistais à des manifestations de la promotion du nazisme malgré moi, mais là, c’était impressionnant par la densité et sa « décomplexion ».
Ça me renvoie aux polémiques sur les débats d’interdiction du Festival Ragnarock qui a lieu depuis deux ans dans l’Ain (où on peut constater aussi bon nombre de saluts hitlériens, de logo faf et néonazi parmi le public ou bien caché dans les shops) .
Même si ce fest Ragnarock est « plus ouvert » et se dit « apolitique » pour pouvoir exister, il rassemble finalement aussi ce public et participe à la banalisation et l’émancipation de cette idéologie.
Cela stigmatise aussi ceux qui aiment simplement le reste de la scène black metal / pagan, et ils sont nombreux.
Plus largement, cela stigmatise encore le métal dans l’inconscient collectif. Et ceux qui aiment le black metal sont en première ligne, exposés à la propagation des idées racistes.
Chargement des commentaires…