« On est moins gêné que dans les restaurants traditionnels. On est plus à l’aise pour se parler. Les gens en ont besoin, ils ont envie de se retrouver. »
Souhem, 57 ans, vient à la cantine de Vaise depuis son ouverture en septembre dernier. Elle habite le quartier et fréquente son centre social et essaie de venir « au moins une fois par semaine ». Elle aimerait davantage mais n’a « pas les moyens de venir tous les jours ».
Souhem tient toutefois à participer pour permettre au projet de réussir et vient alors parfois dès le matin pour cuisiner.
« Les bénévoles arrivent vers 9h30 en général et on établit ensemble le menu. Puis on se met au travail », explique-t-elle.
« Ce sont mes voisins qui m’ont remis le pied à l’étrier »
Ici, pas de cuisinier professionnel. Vos voisins de tablée sont souvent ceux qui ont préparé votre repas. La cuisine n’est pas à l’écart de la salle de restauration, tout est partagé : les personnes, les efforts et les discussions. Le prix est libre, chacun donne ce qu’il veut, ce qu’il peut.
À son petit guichet, Juliette, la « maîtresse de maison », indique toutefois aux nouveaux venus le prix de revient du repas pour l’association : 8 euros. Mais chacun donne ce qu’il veut, selon le principe du participation libre.
C’est le concept des Petites Cantines : se retrouver entre voisins, brasser les générations, les milieux sociaux et sortir de l’isolement autour d’un repas. L’idée a germé il y a quelques années dans l’esprit de ses deux cofondateurs : Diane Dupré La Tour et Etienne Thouvenot, qui travaille pour le groupe Seb. Diane, ancienne journaliste économique au journal Acteurs de l’Économie-La Tribune a pu mesurer l’importance de l’entraide entre voisins.
« J’ai expérimenté le veuvage et j’ai pu voir combien par exemple les femmes dans ce cas peuvent être seules. Tout le temps. Ce sont mes voisins qui m’ont remis le pied à l’étrier. On a donc voulu créer un lien pour les personnes seules. Mais le but n’est pas de réunir uniquement ce public, c’est aussi de réunir différents milieux ».
Ce jour-là de fin novembre à Vaise pour le repas de midi des retraités, parfois isolés, s’assoient à côté d’étudiants ou de travailleurs arrivés d’une agence d’architecte ou bancaire toutes proches.
Le matin les bénévoles ont préparé le menu : salade composée, riz cantonais et mousse de pain d’épices. Certains s’étaient aussi essayés aux chouquettes qui traînent sur les tables en fin de repas.
Les produits viennent pour beaucoup de producteurs locaux travaillant en permaculture. L’association récupère également les invendus en fruits et légumes de la Vie Claire, la chaîne de magasins d’alimentation biologique.
Le restau de midi fait par ses voisins
Aude, travaille dans le quartier. Elle était venue participer à l’assemblée générale constitutive de l’association après avoir vu le projet sur internet. Ce jour-là, elle venait y prendre un repas pour la première fois.
« C’est comme on me l’avait décrit. Il y a tous les âges, on rencontre des gens d’autres milieux, c’est vraiment un projet de quartier. Les restaus où je vais à midi, on reste entre nous. Maintenant, je vais essayer de venir un matin pour cuisiner. »
Marie, elle, est venue dès le matin donner un coup de main.
« Il y avait les feuilles de recettes sur la table. Gérard, un bénévole qui a été cuisinier, m’a pris sous son aile et on a fait un tian tous ensemble. »
Cécile est architecte et travaillé juste à côté. Elle vient une fois par semaine depuis l’ouverture de la cantine. Ce jour-là elle est avec une amie qu’elle retrouve après une longue période et reste un peu plus à l’écart pour rattraper le temps.
« Ici chacun va à son rythme, les choses ne sont pas forcées et ça fonctionne naturellement. On peut aller vite, discuter avec les gens ou pas. Mais on reste jamais vraiment seuls. »
Le 9e arrondissement pour tester le modèle
Cette cantine de Vaise est le poisson pilote du futur réseau des Petites Cantines. Ce premier lieu permet de tester le modèle pour le dupliquer ailleurs dans Lyon ou son agglomération. Deux nouveaux lieux devraient ouvrir durant l’année 2017. Pour démarrer, ce quartier de l’autre côté de la colline de Fourvière n’a pas été choisi par hasard.
« C’est un quartier avec des étudiants, des personnes âgées isolées, des anciens de la Rhodia, des résidences pour personnes handicapées mais aussi des familles aisées et beaucoup de bureaux. C’était un quartier cible », explique Diane Dupré La Tour.
Mais aussi un quartier auquel elle est personnellement attachée. Avant d’ouvrir la cantine, en dur, en septembre 2016, des cuisines éphémères sur le même principe avaient été testées durant l’hiver 2015 à la Duchère. Leur succès a encouragé sa fondatrice a lancé le projet dans l’arrondissement.
Le projet semble pour l’heure fonctionner. L’affluence est au rendez-vous : 1300 adhérents après deux mois de fonctionnement sont au moins venus une fois prendre un repas. Et surtout ils en parlent autour d’eux.
« On marche à 90 % par du bouche à oreille. On a fait qu’une réunion au centre social. Beaucoup de personnes prennent des affiches et les donnent autour d’eux, les collent à côté de chez eux », explique la co-fondatrice.
L’ambition sociale semble aussi fonctionner au vu du public ce midi là.
« Les gens vulnérables se sentent à l’aise, chez eux. Comme les actifs sont reconnaissants du repas qui est servi, ça regonfle leur estime de soi », estime-t-elle.
Deux nouvelles cantines en 2017 pour constituer un réseau
Ouvert midi et soir du mardi au vendredi (et bientôt le dimanche à partir de février), la cantine sert environ une cinquantaine de repas par jour. Le panier moyen est de 9 euros, légèrement au-dessus du prix de revient.
« C’est bien mais il faudrait un tout petit plus. On est à l’équilibre mais ça reste fragile », estime Diane Dupré-Latour pour qui cette premier cantine est aussi l’occasion de tester la pertinence du modèle de participation libre.
Pour lancer le projet, Diane Dupré-Latour avait réuni quelque 60 000 euros de la part de structures telles que les Fondations Saint-Irénée ou des petits frères des pauvres ou Groupama.
Pour l’heure, le réseau des Petites Cantines est organisé en association qui fonctionne essentiellement avec des bénévoles. Juliette, la « maîtresse de maison » de la cantine de Vaise est toutefois salariée. Aujourd’hui, l’association compte au total quatre salariés et accueille trois services civiques. Son statut pourrait être amené à évoluer dans le futur pour permettre à des partenaires d’entrée au capital notamment.
Dans l’optique notamment des futurs lieux du réseau. Pour le petit équipement, une campagne de financement participatif a été lancée avec succès. L’association espérait 12 000 euros, elle en a récoltés 22 000. Mais pour sa co-fondatrice, il faudra trouver d’autres fonds.
« On cherche des loyers en dessous des prix du marché et on a besoin de partenaires pour les investissements lourds comme les travaux », poursuit-elle.
Un nouvelle cantine devrait ainsi voir le jour dans Lyon en 2017 et une troisième est en projet dans l’Est lyonnais.
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