> Article initialement publié le 10 mars 2016. Le lancement de la plateforme en mode en beta en juin 2016 avec les deux premières campagnes de boycott visant H&M et Petit Navire. Depuis le 14 janvier, I-Boycott permet aux citoyens de lancer directement des campagnes. Nos republions l’article à cette occasion.
« J’ai appelé la rédaction de Cash Investigation [émission d’enquête diffusée sur France 2, ndlr] et j’ai dit à la rédactrice-en-chef : ‘Ce que vous faites c’est super, c’est un excellent travail mais quand les gens éteignent leur télé après vous avoir regardés, vous les laissez avec leur indignation’ ».
C’est au travail mené par des enquêtes de journalistes, notamment, que Levent Acar veut tenter de donner une suite, avec sa plateforme collaborative I-boycott. Comme son nom l’indique, elle doit permettre de lancer des campagnes de boycott contre une marque, contre une firme, comme un nouveau levier d’action.
« La majorité des scandales aujourd’hui sont le fait de grands groupes internationaux face auxquels nous sommes, nous, consommateurs, démunis. Mais par notre acte d’achat on choisit si oui ou non on accepte de payer un produit selon les conditions de fabrication », estime-t-il.
Et le jeune lyonnais de citer
- le drame du Rana Plaza (effondrement d’un immeuble au Bengladesh qui a causé la mort de plus d’un millier d’ouvriers travaillant pour des grandes marques européennes de textiles,ndlr),
- le scandale industriel de Volkswagen,
- les accusations de pillage de ressources en eau en Inde contre Coca-Cola,
- ou encore les récentes dénonciations de pratique dans un abattoir bio du Gard par l’association L214.
Des situations et des firmes contre lesquelles on pourrait donc voir naître des « campagnes de boycott ».
Créer une campagne de boycott avec modération à posteriori
Levent Acar veut croire à un profond changement des modes de consommation, plus attentifs à l’éthique et aux conditions de fabrication des produits. Et donner, en cas d’alerte, les moyens aux consommateurs de faire pression. Il voudrait qu’I-Boycott soit une plateforme « responsable ».
« On veut instaurer un dialogue avec les entreprises concernées, construire un nouveau rapport avec elles. C’est important », précise-t-il.
Concrètement, comment va-t-elle fonctionner ?
- Un utilisateur crée une campagne de boycott en indiquant la firme ou la marqué visée,
- Il doit renseigner au moins deux sources différentes, comme des articles de presse, pour motiver et appuyer les motivations du boycott,
- Un contact (e-mail) de la structure visée doit être également renseigné,
- Il indique également un seuil de « boycottants » à partir duquel la structure est avertie de la campagne de boycott en cours.
La campagne de boycott est alors créée et prête à être diffusée et relayée, notamment sur les réseaux sociaux. Quand elle atteint un seuil intéressant, minimum 1000 « boycottants », elle est alors affichée sur la page d’accueil d’I-boycott.
Il n’y a donc pas de modération a priori sur l’objet du boycott ou sur les sources permettant de dénoncer les conditions de production ou les méthodes d’une entreprise.
« On demande deux sources obligatoires. Mais il n’y a pas de contrôle. Quand la campagne arrive sur la page d’accueil et a donc atteint un seuil minimum cela signifie pour nous qu’elle est intéressante mais pas forcément légitime. Et là, on modère », explique Levent Acar.
Un droit de réponse aux entreprises
En clair, on pourra donc créer une campagne, la partager mais elle n’apparaîtra et ne sera relayée à grande échelle par la plateforme qu’une fois modérée, a posteriori.
« On se veut vraiment comme un outil citoyen à disposition des associations, des ONG et plus largement du plus grand nombre. On n’est pas des activistes », indique son fondateur.
Jusqu’ici la frontière apparaît relativement mince entre son mode de fonctionnement et celui des sites de pétitions en ligne, qui remportent une forte adhésion, comme Change.org ou Avaaz.org, Le projet I-Boycott entend se démarquer en offrant la possibilité à la cible du boycott de s’expliquer et d’apporter éventuellement des preuves d’une prise en compte des reproches qui lui sont adressés.
S’ils décident de le faire et de répondre à la campagne qui la vise, les « boycottants » sont alors avertis par mail. Après en avoir pris connaissance, ils doivent alors voter afin de savoir si les arguments de l’entreprise les ont convaincus et s’ils poursuivent la campagne de boycott. Si une majorité d’entre eux décide d’arrêter, la campagne cesse.
« On donne un droit de réponse aux entreprises, c’est très important. La seule façon pour elles de faire cesser une campagne de boycott c’est de dialoguer et de convaincre les boycottants », assure Levent.
Le principal obstacle ? Le boycott lui-même
S’engager à boycotter en un simple clic via une plateforme est avant, du moins dans un premier temps, une démarche déclarative. Pour Levent Acar c’est avant tout « un contrat moral » auquel s’engagent les signataires. Toutefois, il veut croire que son outil permettra de créer « une dynamique collective » et aider ceux qui « seuls dans leur coin ont plus de mal à boycotter ».
Puisque rien ne garantit que les signataires joignent leurs actes à leurs clics, le levier de pression réel se trouve dans le relais médiatique. Les pétitions lancées sur les plateformes dédiées sont très souvent mentionnées dans les médias. La pétition demandant l’abandon de la loi travail dite El Khomri et ses dizaines de milliers de signataires en quelques jours en est le dernier exemple en date le plus saisissant.
Le principal obstacle à l’entreprise ? Le boycott lui-même, selon son instigateur :
« Le boycott, ça bloque en France. Certaines associations avec qui nous avons discuté sont réticentes et nous disent qu’elles ne peuvent pas en leur nom appeler au boycott. D’autres nous ont dit : ‘c’est notre truc, on y va’ ».
Des réticences qu’elles expliquent, selon Levent Acar, par la volonté de ne pas fausser le travail de dialogue qui a parfois réussi à s’instaurer entre ONG, associations et entreprises. Avec parfois des avancées positives. C’est d’ailleurs une des ambitions d’I-Boycott : faire en sorte que les grandes entreprises s’adjoignent les conseils d’associations et d’ONG pour changer.
L’appel au boycott est-il légal ?
Autre question posée par un tel projet : la légalité de l’appel au boycott. Son créateur indique que la plateforme est clairement orientée vers des boycotts « consuméristes », visant des firmes ou des marques jugées non éthiques ou responsables. Mais elle refusera tout boycott « idéologique », « comme celui d’un pays » (Israël faisant l’objet d’appel au boycott réguliers).
Après avoir quelque peu tergiversé sur cette question, la justice française semble y avoir répondu de manière claire. Elle s’est posée autour des actions menée dans le cadre de la campagne BDS pour « Boycott, Désinvestissement, Sanctions ». Lancée en 2005 par des militants, elle a gagné l’Europe et la France, appelant au boycott des produits israéliens pour protester contre cet état, jugé « criminel » et responsable d’une « politique d’apartheid » vis-à-vis de la population palestinienne. Elle a donné lieu à des actions non-violentes dans plusieurs villes en France, le plus souvent des distributions de tracts dans des commerces et supermarchés.
Si plusieurs tribunaux ont rendu des décisions en faveur des militants de la campagne, d’autres comme à Bordeaux ou à Colmar en 2013 les ont condamnés estimant qu’il s’agissait d’une « provocation à la discrimination ». Aucune dégradation, entrave au fonctionnement des commerces ni propos n’avaient été constatés lors de l’action incriminée en 2009. La Cour de Cassation en novembre dernier a confirmé le jugement et entériné l’illégalité de l’appel au boycott d’Israël. Elle s’est appuyée pour cela sur l’article 24 alinéa 8 de la loi sur la presse de 1881 qui condamne d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende la « provocation publique à la discrimination ».
Le fondateur d’I-Boycott assure que la plateforme soutiendra des campagnes de boycott dirigées non idéologiques.
« Boycotter une marque, c’est légal. Il ne faut pas que les campagnes de boycott se traduisent par une entrave à l’activité économique de l’entreprise ni à sa production », répète-t-il.
Le code pénal (article 225-2) stipule en effet qu’«entraver l’exercice normal d’une activité économique quelconque» constitue une discrimination.
Dons et campagnes promotionnelles pour financer la plateforme
La plateforme sera disponible pour des premières campagnes en juin prochain. Elle a pour l’heure reçu le soutien de la plateforme de pétition en ligne We Sign it ou du Mouvement pour une Alternative Non-Violente.
Pour aider à son développement, une campagne de crowdfunding est en cours et a réuni près de 11 000 euros à ce jour. Gérée par une association, elle se développe grâce à des bénévoles qui apportent leurs compétences en droit, en développement web, en graphisme ou bien encore commerciales.
Son activité ne sera pas lucrative mais, pour se financer, l’équipe d’I-Boycott ne compte pas seulement sur les dons. A l’image de Change.org, elle envisage de la communication sur les produits de marques plébiscitées par les utilisateurs. C’est une autre des différences avec les sites de pétitions en ligne, les « boycottants » pourront promouvoir des produits, marques ou structures alternatives à ceux visés par des campagnes de boycott. Elles pourront ainsi si elles le souhaitent amplifier leur visibilité moyennant finance.
Les entrées d’argent doivent également permettre de faire face à la colère ou la susceptibilité des entreprises. Nourri d’une certaine façon de l’espoir de les voir arriver, Levent déclare :
« Si on a des procès, mieux vaut avoir les reins solides. »
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