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« Après le déclassement de l’A6-A7, pas besoin de nouvelles autoroutes »

Le déclassement de la partie des autoroutes A6-A7 qui traverse Lyon améliore déjà les déplacements. Inutile de lui adjoindre de nouvelles infrastructures autoroutières. 

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A Séoul, la Cheonggyecheon est devenue les « Champs Elysées » de Séoul. Capture d'écran du livre de Paul Lecroart, "La ville après l’autoroute : études de cas"


Le Journal officiel l’a annoncé le 29 décembre dernier : l’autoroute A6-A7 n’en sera plus une à partir de novembre 2017 sur sa portion entre Limonest et Pierre-Bénite. Les 16 kilomètres passent de la responsabilité de l’Etat à celle de la Métropole de Lyon et devient donc un boulevard « classique ».

Voitures et camion y circuleront toujours mais ce déclassement permet d’y aménager des trottoirs, des passages piétons, des arbres, des pistes cyclables, etc…

Nous publions une tribune de Loic Cedelle, ingénieur consultant en mobilité urbaine.

L’enjeu du déclassement est double.

Le premier est de mettre en valeur des lieux emblématiques (Le Rhône, le musée des confluences, etc.) pour accroître l’attractivité et le rayonnement de notre métropole.

Le deuxième enjeu est de renforcer la desserte routière de Confluence et de Gerland : nouvelles rues et construction d’un nouveau pont sur le Rhône sont au programme. Car si une autoroute à la campagne est un lien entre les villes, une autoroute en ville est au contraire une barrière infranchissable bloquant une multitude de déplacements.

Remplacer l’autoroute par un boulevard, c’est faciliter les déplacements urbains, y compris en voiture.

Image d’un futur boulevard urbain à la Confluence. Crédit : Grand Lyon


« Sans ces nouvelles autoroutes où passerait le trafic de transit ? » : une évidence à discuter

Suite à ce déclassement la réalisation de deux nouvelles autoroutes est envisagée : Anneaux des sciences  et  grand contournement autoroutier. Cela semble logique à première vue : sans ces nouvelles autoroutes où passerait le « trafic de transit » (Parisiens en route vers la côte d’azur, camions allemands chargés de fraises d’Espagne, etc.) ?

Cette évidence mérite pourtant d’être soigneusement examinée à la lumière des faits.

Tout d’abord, le transit représente seulement 10% du trafic sur l’A6 aux heures de pointes. C’est très peu, quasiment négligeable par rapport au trafic qui concerne la métropole.

Si ce trafic se reporte sur l’itinéraire A46-rocade est, qui existe déjà et est plus long de six minutes seulement (temps de parcours google maps), la différence sera là-bas peu sensible, tout au moins par rapports aux autres facteurs influençant le volume de trafic à la hausse ou à la baisse.

La quasi-totalité du trafic de l’A6-A7 (85% sur une journée) est donc en échange avec la métropole et une part très importante est constituée de trajets de quelques kilomètres seulement.

Doit-on craindre une congestion routière généralisée dans la métropole si on déclasse l’A6-A7 avant d’avoir créé une nouvelle autoroute ? Ou, au contraire, le déclassement, qui créé voies de bus, pistes cyclables, liaisons transverses, etc., permet-il à ce point de changer la structure des déplacements que l’autoroute peut s’évanouir sans conséquence ?


L’analyse des expériences étrangères semblables

Pour départager deux théories opposées, l’analyse des expériences semblables déjà effectuées est la seule méthode rigoureuse. Pour la question qui nous intéresse, l’expérience du déclassement a déjà été tentée un certain nombre de fois dans d’autres métropoles à travers le monde.

New York fut précurseure en 2001 (West Side highway), puis Portland (Harbor Drive), San Francisco (Central Freeway), Milwaukee (Park East Freeway)et Boston (Big Dig) ont suivis.

L’exemple le plus frappant reste Séoul qui a démantelé 6 km de viaduc autoroutier en 2005. Comme à Lyon plus de 160 000 voitures/jour utilisaient l’infrastructure. Comme à Lyon l’objectif était de mettre en valeur le patrimoine urbain et de créer des axes de déplacement doux : voie bus, voies piétonnes, piste cyclables, etc.

Comme à Lyon, l’objectif était de s’affirmer comme une métropole attractive, dynamique et moderne, face aux métropoles concurrentes (d’Asie pour eux, d’Europe pour nous).

Le déclassement a eu un effet rapide sur les bouchons : En quelques mois, la circulation s’est améliorée dans toute la ville. La vitesse moyenne de circulation à Séoul est passée de 21,7 à 23,2km/h pour le réseau classique et de 51 à 55 km/h sur le réseau autoroutier.

Plus surprenant encore, alors que l’intuition nous dit que le trafic se reporte vers les routes concurrentes, ce n’est pas du tout ce qui s’est passé : le trafic sur les 10 principaux axes du centre-ville a baissé de 2 à 7% en quelques mois.

>> Voir l’analyse de l’urbaniste Paul Lecroart « La ville après l’autoroute »
 <<

A Seoul, l’axe de la Cheonggyecheon au début des années 2000 : une voie rapide et un boulevard à 10 files de circulation. Capture d’écran du livre de Paul Lecroart, « La ville après l’autoroute : études de cas ».
A Séoul, la Cheonggyecheon est devenue les « Champs Elysées » de Séoul. Capture d’écran du livre de Paul Lecroart, « La ville après l’autoroute : études de cas »


Pourquoi le trafic routier ne se reporte pas sur les routes

Ce non report automatique du trafic routier vers d’autres routes s’explique facilement : seuls 26% des déplacements sont liés au travail (pendulaires, déplacements professionnels, livraisons…). Voir les résultats de l’enquête déplacements sur le territoire de la métropole de Lyon.

La majorité des déplacements sont dits « non contraints » (loisirs, achats, etc.). Chacun choisit son moyen de transport, mais aussi sa destination, parmi les alternatives disponibles. S’il y a une autoroute, alors les gens utilisent l’autoroute.

S’il n’y a pas d’autoroute, mais des boulevards avec des trottoirs, nombreux sont ceux qui redécouvrent les commerces de proximité. Et les automobilistes restants voient leurs routes soulagées de ce trafic.

Le constat est valable également dans le sens inverse. Si les embouteillages sont un problème très aigu dans les grandes métropoles, l’ajout de capacité routière n’est pas une solution de long terme.

>> Voir la thèse de Gaele Lesteven, de l’Université Paris 1 « Les stratégies d’adaptations à la congestion automobile dans les grandes métropoles ». <<

Rappelons la « Kathy freeway » à Houston. En 2008 cette 2×4 voies est élargie à 2×11 voies pour lutter contre la congestion, pour 3 milliards de dollars. Las, 3 ans après, le temps de parcours de 45 minutes avant travaux est devenu un temps de parcours de… 50 minutes.


Le trafic routier n’est pas comparable à une rivière

Ce résultat spectaculaire, mais contre-intuitif, démontre une surprenante adaptabilité des comportements.

Si notre intuition est trompée sur ce point, c’est parce que nous assimilons les flux de voitures à des rivières s’écoulant inexorablement, contraintes et forcées. Or un flux routier est composé de personnes qui choisissent, à chaque instant, leur mode de transport mais aussi leur destination en fonction des alternatives disponibles.

La conséquence, c’est qu’à partir d’une certain niveau de densité de population et de développement routier, ajouter des autoroutes n’a aucun effet de long terme sur les embouteillages car tout gain de capacité est compensé par une croissance des kilomètres parcourus en voiture. Voir l’étude de Sally Cairns « Disappearing traffic ? the story so far ».

Tandis que déclasser et réaménager en faveur des modes doux se traduit, non pas par plus d’embouteillage, mais par une croissance des déplacements de proximité et des déplacements en transports en commun.

C’est contraire à l’intuition mais c’est la seule réalité qui ait été constatée à chaque déclassement d’autoroute.

>> Voir les études de Sally Cairns « Disappearing traffic ? the story so far » et Paul Lecroart « De l’autoroute à l’avenue urbaine ». <<

A Lyon même ce projet rappelle d’autres réalisations aux conséquences d’abord redoutées pour la circulation automobile : les berges de Rhône, la place des Jacobins, mais surtout la suppression de l’autopont Mermoz au profit d’un boulevard urbain.

Les premiers mois d’adaptation sont difficiles, mais 5 ans après les craintes initiales sont totalement oubliés, seul reste dans les esprits l’amélioration profonde amenée par ces réalisations.


Construire la ville de proximité est logique

Construire la ville de proximité est de toute façon logique à l’heure où les français se déplacent de plus en plus à pied, à vélo, en transports en commun.

À Lyon comme ailleurs, la voiture reste utile mais son usage décroit et le pic automobile des années 1990 est maintenant loin derrière nous.

>> Voir les résultats de l’enquête déplacements sur le territoire de la Métropole de Lyon. <<

Mais si les gens se déplacent moins en voiture, et plus à pied, est-ce bon ou mauvais pour l’économie ? Les études récentes (lire ici, et encore là) montrent que les villes où les gens marchent s’en sortent mieux que les villes où les gens ne font que conduire.

Plus attractives, plus dynamiques, elles savent garder leurs commerces, développer le tourisme, attirer habitants et entreprises en offrant une meilleure qualité de vie.

Cela surprend ceux qui ont appris qu’augmenter la portée des déplacements est bénéfique pour l’économie. Mais cette vérité valable lorsque les réseaux de transports sont peu développés (comme ce fut le cas jusqu’à une période récente de l’histoire) ne se vérifie plus du tout dans nos métropoles hyperconnectées du 21ème siècle.

Corrélation entre le le PNB par habitant et le pourcentage d’emplois et commerces accessibles à pied et en transports en commun dans les grandes métropoles des Etats-Unis. Parmi le mieux classées (en vert), on trouve de droite à gauche : Washington, New York, Boston, San Francisco, Chicago, Seattle. Source : « Foot traffic ahead – Ranking walkable urbanism in America’s largest métros » par Christopher Leinberger.

Plus le réseau routier se développe moins le gain apporté par une nouvelle route est important puisque d’autres routes existent déjà en parallèle.

Le « grand contournement est » est un cas d’école car il est parallèle à l’A46 et éloignée de celle-ci de seulement 2600m en moyenne

Par contre le coût de construction d’une nouvelle autoroute est toujours aussi élevé et sur le simple entretien d’un réseau aussi fourni que le nôtre est déjà une charge considérable.

À titre d’exemple, la simple mise aux normes du tunnel du périphérique nord coûte au Grand Lyon 110 millions d’euros sur la période 2015-2020.

Et pendant ce temps la possibilité de se déplacer à pied et à vélo s’est fait de plus en plus rare. Sédentarité des modes de vie aidant, avoir cette possibilité est devenu un critère de qualité de vie de premier ordre.

C’est pourquoi Zurich, Hambourg où Munich inaugurent des aires piétonnes et des voies express vélos (lire ici, ici ou et se fichent bien de « boucler » leur périphérique incomplet).

Comme à Séoul, ils ont constaté que les aménagements cyclables et piétons ont un excellent rapport coût/bénéfices alors que les trop onéreux projets routiers sont des investissements à perte.

Réseau de voies rapides à Lyon (aire urbaine 2 millions d’habitants) et à Hambourg (aire urbaine 3,5 millions d’habitants) à la même échelle. Lyon dispose d’un réseau de voies rapides largement plus dense et maillé. Pourtant la faiblesse de son réseau autoroutier n’empêche pas Hambourg d’être la métropole la plus prospère d’Allemagne.


Accompagner le déclassement de l’A6-A7 de la réalisation de deux autres autoroutes est une erreur

Aujourd’hui en 2016, la ville marchable, la ville cyclable, la ville de proximité a prouvé ses bénéfices pour le dynamisme économique, tandis que le niveau de congestion routière s’est révélé indépendant de la quantité d’autoroutes construites.

Dans ce contexte, le déclassement de l’A6-A7 est un excellent projet. Pour un investissement limité, il permet de développer les transports en communs, la marche, le vélo, il rend la métropole plus attractive, plus dynamique, plus moderne.

Par contre, accompagner le déclassement de la réalisation de deux autres autoroutes (Anneau des sciences et grand contournement) est une erreur.

Ces projets ne résolvent pas la congestion et ne sont pas nécessaires à notre bonne santé économique. Par contre, ils induisent du trafic automobile nouveau et constituent des gouffres financiers bien réels : 3 milliards d’euros pour l’Anneau des sciences.

Et surtout, attendre leur réalisation pour finaliser le déclassement repousse d’une décennie (si tout se passe bien) les gains attendus.

Pourtant, avec quelques années de recul, les villes qui ont tentés le déclassement « sec » d’autoroutes sans en reconstruire une en compensation (New York, Séoul, San Francisco…) ont toutes gagnées leur pari. Loin de s’affaiblir, elles sont devenues plus attractives et puissantes que jamais.

Lyon ne doit pas avoir peur de les suivre sur cette voie.


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