Elle a bon dos la petite marionnette de bois : adulée quand il faut en vendre à la pelle dans les boutiques touristiques, oubliée quand il s’agit de perpétuer son destin derrière un castelet.
Gérard Collomb lui-même y étant allergique. Élu maire, il fit supprimer les panneaux aux entrées de la ville mentionnant Guignol.
Si différents lieux de Lyon en débitent des spectacles au kilomètre, c’est bien le Guignol de Lyon, rue Louis Carrand dans le 5e, qui délivrait son essence même : caustique et fondamentalement ironique, amusant les enfants comme les parents avec différents niveaux de compréhension. Ce travail a été mené à bien par la compagnie des Zonzons depuis 1998, quand elle a été appelée par Denis Trouxe, alors adjoint à la culture de Raymond Barre, pour succéder à Christian Capezzone qui venait de créer un trou d’un million de francs dans le budget. Autre temps ; autres mœurs.
« C’est l’histoire d’un mec qui n’a plus de boulot »
Cette équipe venue du théâtre (scénographe, comédien…) s’empare alors de ce mythe local et décide, par ce personnage connu dans le monde entier, de rendre visible la marionnette contemporaine au sens le plus large, comme le rappelle Stéphanie Lefort, directrice et auteur de la compagnie. En sortant Guignol de la poussière, ils l’ont considéré. Car de qui s’agit-il ? Stéphanie Lefort lui rend justice précisant qu’il n’est pas né à Lyon par hasard :
« Laurent Mourguet a vingt ans quand commence la Révolution et perd son travail de canut. Il fait alors le marchand ambulant, l’arracheur de dents et agite un petit Polichinelle et, en croisant le Père Thomas, il crée une autre marionnette à l’image de ce dernier : ce sera Gnafron. Voilà que naît le théâtre social sur la place publique et Guignol pour lui donner la réplique. Le terreau historique de Guignol est populaire. C’est encore très actuel : c’est l’histoire d’un mec qui n’a plus de boulot. »
Quel Guignol pour le XXIe siècle ?
Si aucun des membres des Zonzons n’est lyonnais, ils puisent, notamment dans le Journal de Guignol (1914-1970) et les éditos de la Mère Cottivet le phrasé d’ici. Et distillent, grâce à cette marionnette qui s’insurge contre l’autorité, des discours engagés.
Dans Crasse paperasse, il était question d’un couple de Roms sommé de repartir dans son pays, de l’administration trop rigide et de policiers stupides : bref, de remettre l’humanité au cœur du propos. Les grands jubilaient, les enfants riaient aux éclats.
« La Ville de Lyon est aux abonnés absents »
« La gestion du théâtre de Guignol, qu’occupaient Les Zonzons, sera confiée à une compagnie en résidence, qui travaille sur de la marionnette contemporaine mais héritées de la tradition Guignol.
Il deviendrait à la fois un atelier de recherche, un lieu de diffusion ouvert à différentes compagnies qui proposent du Guignol traditionnel et un lieu de démonstration d’étapes de travail pour la compagnie en résidence. »
Rue89Lyon
Cette aventure s’arrêtera le 31 décembre. Depuis 2013, le palais Bondy subit des travaux d’obligation légale de remise aux normes (installation d’un ascenseur…) et le Théâtre de Guignol niché dans la cave à charbon (!) a dû jouer hors les murs. Don’t act. Fini les conventions triennales.
Aujourd’hui, les travaux sont terminés mais la Ville est « aux abonnés absents depuis des mois avec un mépris hallucinant, comme si nous étions des hologrammes », tempête Stéphanie Lefort dans un éclat de rire.
Faute de perspective, la compagnie prend les devants et quitte Lyon pour mener à bien d’autres projets, notamment dans l’Océan Indien.
Comprenant aisément qu’elle a fait son temps, elle aurait simplement souhaité assurer la passation de savoir avec une prochaine équipe. Mais il n’y a pas pour l’instant de cahier des charges, ni d’appel à candidature.
Que vont devenir les 300 marionnettes appartenant à la Ville ?
Stéphanie Lefort craint qu’elles ne soient muséifiées, de même que les pans de décors entassés dans l’ancienne École des Beaux-Arts. Ce patrimoine reconnu dans le monde entier a tout à gagner à rester vivant.
Alors qu’en France, des théâtres comme le Centre dramatique national de Strasbourg, ou Mouffetard à Paris, sont dédiés à la marionnette, que Charleville-Mézières abrite un institut international, Lyon est in fine à la traîne. Même Émilie Valantin qui essaime ses créations grandeurs nature chez Jean Lacornerie (Opéra de quat’sous) ou Denis Plassard (Albertine, Hector et Charles passé par la Biennale de la Danse) est basée en Ardèche.
« Il y a des passerelles à faire entre les arts numériques et les marionnettes ».
Mais rien n’a été encouragé en ce sens, note Stéphanie Lefort, qui aimerait garder à Lyon la biennale Moisson d’avril dédiée à la marionnette, qu’elle avait initiée avec son équipe, tant il y a des ponts à faire avec cet art dans le monde.
Peut-être que, pour une fois, l’aspect soi-disant désuet et folklorique de Guignol pourrait lui rendre service du côté de la Région.
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