On lit aussi des années d’aménagement du territoire qui ont fini, quelques suppressions de lignes ou de trains plus tard, à rendre Porto plus rapidement accessible que Paris depuis Montluçon.
(…) Un jour un vieux m’a dit :
« Ici tout est à une heure de distance. Sauf ce qui est à trois heures. »
Ça m’a fait marrer, sur le coup. Mais il avait raison.
- Clermont-Ferrand : une heure. Bourges : une heure. Moulins : une heure. Guéret ou Aubusson : une heure. Nevers : une heure.
- Paris, Lyon, Limoges, Aurillac : trois heures.
(…) Le train, c’était génial. Pratique et tout. Il y en avait quatre par jour, sur la ligne Montluçon-Paris, dont deux directs, qui s’arrêtaient à Vallon-en-Sully. On garait sa bagnole sur le quai, carrément, et on sautait dans le Corail.
De fait, Paris était tout près. Alors que Lyon… Fallait descendre à Montluçon ou monter à Moulins, changer à Saint-Germain-des-Fossés. Tout un bordel. Laisse tomber. J’y allais pas. Personne n’y allait. Lyon, c’était l’étranger.
Finalement, Lyon s’était rapprochée
(…) La ville, la grande ville, la référence, les week-ends, les boutiques, les restos, les musées, les spectacles, c’était Paris. Reine du monde. Les vieux partaient en groupe quand décembre venait, admirer les vitrines des grands magasins. C’était tout près.
Puis petit à petit, les trains se sont raréfiés. À chacune des grandes réformes horaires, les communicants de la SNCF nous déversaient leur tombereau de mots en -té. Efficacité. Lisibilité. Rapidité. Équité… Tout un vacarme de pensées creuses pour enrober la vérité : Paris allait peu à peu s’éloigner.
On a pourtant persisté un temps, maugréant, à voyager en train. Jusqu’à ce que chacun d’entre nous ne vive sa fameuse fois-de-trop. La période de travaux de trop. L’augmentation de tarif de trop. Le retard de trop. Voire l’annulation de dernière minute de trop.
Quand il a commencé à être clair que le rail ne serait plus jamais la solution pour personne – en tout cas personne qui se déplace pour des raisons professionnelles –, nos cartes se sont brutalement redessinées.
Entre-temps, Lyon s’était rapproché. Le temps de troquer son AX contre un machin plus fiable, et voilà qu’ils avaient fait des travaux sur la nationale 7. Des deux fois deux voies. Des pans à 110. Un long raccord autoroutier depuis Roanne…
La capitale des Gaules venait vers nous à grand pas. On était loin de se douter qu’elle deviendrait, un jour, la capitale de l’Auvergne. Mais déjà, on y prenait l’avion. On y faisait la fête. On y allait voir des spectacles. On s’y réjouissait. On s’y débarrassait dès qu’on pouvait de nos frusques de paysans. Bien sûr, il fallait y aller en bagnole…
Le coup de grâce est venu quand les trains se sont transformé en bus. Le bocage s’est alors divisé en deux : les ceusses qui avaient passé le cap du numérique et les ceusses qui restaient encore sur le côté.
Les premiers ont couru s’inscrire sur les sites de covoiturage, et ont vu la notion de distance se relativiser instantanément. Compter en heures de voyage s’est mis à ne plus faire aucun sens. Lyon ou Paris pouvaient désormais être indifféremment à 2 heures 1/2 ou à 6 heures de route, voire plus, en fonction des aléas. Impossible de prédire ton heure d’arrivée. Tu pouvais tout aussi bien trouver un trajet qui vienne te cueillir sur la place de ton village ou te retrouver coincé des plombes sur le parking de l’Aire des Vérités, à Lapalisse.
Bus Macron : un petit tour et puis s’en vont
Et puis, coup de tonnerre, il y a quelques mois. Les Macronbus ont débarqué à Montluçon, rapprochant tout d’un coup Bordeaux de l’Allier. Bordeaux ! Tout le monde a sauté de joie, la tête déjà remplie de cannelés, de bons concerts et de vin rouge. La purge que c’était, jusque là, d’aller en Gironde ! Soit tu brisais ton PEL sur une autoroute interminable et tout le temps en travaux. Soit tu te fadais la traversée de la Creuse, du Limousin et des Charentes : une épopée parsemée de ronds-points et de radars automatiques. Bordeaux, c’était Tokyo. S’y rendre, on n’y pensait même pas.
Et puis là : Flixbus déboule. Des grands bus confortables, équipés de wifi et tout et tout. On y croyait. On la touchait du doigt, la place des Quinconces. On la voyait déjà, à notre porte, notre nouvelle capitale.
Dans l’enthousiasme, on ne s’était même pas rendu compte que la SNCF avait quasiment supprimé tous les trains pour Limoges – la ligne historique de la cité bourbonnaise – pour les remplacer par des cars avec correspondance. On s’en foutait : Flixbus nous annonçait le paradis.
Cinq mois, ça a duré, l’idylle. Puis, le 6 septembre : fermé. La Montagne en a fait sa une. Pas rentable. Pas assez de passagers. Ciao la compagnie. Fidèle à sa stratégie de dealer d’héroïne, Flixbus a commencé par créer le besoin, puis le manque. Puis s’est fait la malle en sentant tourner le vent. Laissant toute une population aux affres de sa nouvelle dépendance.
Depuis 2005 l’aéroport de Clermont-Ferrand accueille une liaison Ryanair vers Porto qui ouvre un boulevard insensé à tous les rejetons de la génération Y. Aussi simple qu’un coup de fil, deux fois moins cher et tout aussi rapide qu’un aller-retour à Paris, tu peux désormais sur un coup de tête t’extirper de ta campagne pour te rendre dans le Minho.
En 2016, les distances c’est un concept
Tout goupillé, depuis mon bled au milieu des vaches, je suis à quatre heures et demi porte à porte des rives du Douro. Une heure et quart de covoiturage. Une demi-heure d’attente. Deux heures de vol. Trois quarts d’heure de tram. Et bim : tu commandes une Sagres et des olives, au pied du marché Bolhão.
(…) Porto, l’année dernière, j’y suis allé plus qu’à Paris.
C’est là que je me le suis dit : en 2016, les distances, c’est un concept. (…)
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(les intertitres sont de Rue89Lyon)
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