C’est un vaste projet de réfection et de « pimpage » des points stratégiques de la presqu’île de Lyon qui a été présenté à la presse la semaine dernière. Parmi eux, sur la colonne vertébrale de cet hypercentre urbain, on trouve la place Louis Pradel, là où une troupe de riders se donnent rendez-vous quasiment tous les jours, quelle que soit la météo.
Ils ont rebaptisé l’endroit « HDV » (pour « Hôtel de Ville », le bâtiment municipal se situant à deux pas), et on vous racontait ce petit pan de l’histoire culturelle de la ville il y a deux ans sur Rue89Lyon. À ce moment déjà, les acteurs du skate fréquentant la place parlait de « rumeurs » concernant le projet de les en chasser bientôt.
Cette fois, cela n’a plus rien d’un bruit infondé. Le chantier sera lancé de manière imminente, pour être achevé au second semestre 2017. Ci-après, un visuel indiquant les travaux à venir et parmi lesquels il est indiqué en toutes lettres : « Insertion de dispositifs anti-skates ».
À la Métropole de Lyon, on nous confirme que la décision de ne plus laisser cet espace aux skateurs est « totalement assumée ». Au regard des investissements que demandera la rénovation de la place, sa dégradation par l’accueil de la pratique n’est pas envisageable.
Pour rappel, le projet de réfection de l’ensemble de la Presqu’île (et pas uniquement de la place Louis Pradel) devrait engager pas moins de 20 millions d’euros, provisionnés sur ce mandat.
Il a pour but de « valoriser le patrimoine exceptionnel » du coeur de Lyon. Mais pour ses défenseurs, l’histoire et l’utilisation de « HDV » font aussi partie du patrimoine de la ville.
« On n’est pas des gamins attardés »
Dans les degrés de travaux que nécessitent les différentes zones, celle de la place Louis Pradel se place au sommet : c’est bien de « réparation » que l’on nous parle. Steeve Ramy, skateur lyonnais bien connu de ce petit monde hyperactif, reconnaissait d’ailleurs il y a deux ans :
« Il y a 15-20 ans c’était parfait pour skater mais, avec le temps, la place s’est dégradée, en partie à cause de nous il faut le reconnaître. Aujourd’hui, c’est même très compliqué, elle est vraiment éclatée ! »
Tout le monde semble d’accord sur l’état des lieux.
Pour autant, Jérémie Daclin, autre figure du skate à Lyon (plusieurs fois champion de France) et fondateur de la marque Cliché dédiée à cet univers, voudrait que la pratique soit prise en compte dans la réfection de la place, avec des matériaux et du mobilier urbain adaptés.
Dans le but notamment que le lieu ne perde pas ce qui fait son identité et, toute proportion gardée, celle de Lyon aussi :
« On n’est pas des gamins attardés avec qui il n’est pas possible de discuter. Je ne comprends pas cette vision : le skate crée de la vie économique, on le sait depuis longtemps maintenant. Il fait vivre plein de gens à Lyon et au-delà. »
Lyon est d’ailleurs qualifiée de « capitale du business skate » en France, et pas toujours sur un ton positif, car certains pratiquants voudraient continuer à voir leur sport comme une culture urbaine libre et non markettée.
Lyon, « ville cool » ?
Jérémie Daclin rappelle que de nombreuses villes dans le monde ont pris en compte la pratique du skate, Paris notamment avec la place de République ou encore Barcelone, si souvent désignée comme modèle à suivre par le président PS de la Métropole, Gérard Collomb.
Alors qu’un hebdo local tentait la semaine dernière de convaincre, en Une de son magazine, que Lyon est une « ville cool », voilà que la question se repose tout à coup.
Il y a deux ans, Jérémie Daclin nous disait :
« À Lyon, il n’y a pas de skatepark crédible. Et pourtant, aujourd’hui, Lyon est une capitale mondiale du skateboard. Vous prenez un skateur lambda des USA, il connaîtra Lyon. »
Un « rayonnement international » de la ville, tel que le souhaite Gérard Collomb ?
Dans un reportage diffusé au journal de France 3 cette semaine (vidéo ci-après), le jeune Aurélien Giraud explique que c’est à « HDV » qu’il souhaite continuer à s’entraîner pour les prochains Jeux Olympiques, où la discipline est désormais intégrée (depuis le mois d’août 2016).
La question du partage de l’espace public
Si pour les élus, il semble hors de question de revenir sur le sort du spot, ils mettent en avant le fait que la pratique a plusieurs fois été prise en compte, dans les projets urbanistiques récents de Lyon. Comme au parc Sergent Blandan qui a été récemment inauguré avec un skatepark, ou encore avant sur les berges du Rhône qui propose deux bowls très visibles.
Autant de structures bien circonscrites qui n’ont pas les avantages d’un terrain de jeu plus incertain, celui d’une place publique, avec trottoirs longs, obstacles, marches d’escalier et courbes spécifiques.
Julien De Smedt, architecte français qui a le vent en poupe, met fréquemment en avant sa pratique personnelle du skateboard et la façon dont elle peut influencer son travail. À Libération qui posait la question de la dégradation des villes par les skateurs, il répondait en mars 2016 :
« Le skateur est le premier acteur urbain, avant les piétons, les vélos, les voitures, car il est le seul à utiliser l’espace public comme un cadre de vie alors que pour les autres, c’est un simple lieu de passage.
Les skateurs sont des agents de la sécurité urbaine, des jeunes gens actifs, tout sauf délinquants. La délinquance s’arrête quand elle est confrontée à la présence constante d’autres jeunes. »
C’est aussi l’un des arguments qu’avance Jérémie Daclin pour discuter avec les pouvoirs publics à Lyon. Si les skateurs quittent la place Louis Pradel, par qui sera occupée « HDV » ? « Un public pas nécessairement plus plaisant » aux yeux des autorités.
Pas de quoi convaincre David Kimelfled, vice-président PS à la Métropole en charge de l’économie : il considère que les skateurs doivent notamment laisser la place aux touristes, « qui n’étaient pas aussi nombreux il y a trente ans » à Lyon.
Un collectif a lancé une pétition en ligne pour « sauver HDV » (en version française et anglaise, pour l’international) et obtenu près de 8500 signatures en quatre jours. Parmi eux, JB Gillet, skateur professionnel (photo ci-après) qui déclare que « sans HDV », il n’aurait jamais réalisé un parcours aussi remarquable dans la discipline.
Les skateurs ont également adressé ce mardi un courrier à Gérard Collomb, pour être reçus.
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