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À Grenoble, Alain Carignon tente un retour en « trumpisant » le débat public

L’ancien maire de Grenoble – condamné en 1996 à de la prison ferme pour corruption, abus de biens sociaux, et subornation de témoins – organise une mordante campagne de discrédit des gauches grenobloises pour viser la reconquête.

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À Grenoble, Alain Carignon tente un retour en « trumpisant » le débat public

Contesté chez Les Républicains (LR) mais soutenu directement par Nicolas Sarkozy et Laurent Wauquiez, il ambitionne de ravir le leadership de l’opposition de droite.

À 67 ans, Alain Carignon n’a toujours pas dit son dernier mot et il entend bien le faire comprendre à ses rivaux de la droite grenobloise. Depuis la fin de sa détention en 1998 et de sa période d’inéligibilité en 2002, il joue régulièrement des coudes à la veille des scrutins locaux pour revenir dans la course politique et peser sur l’échiquier grenoblois, sans résultat probant jusqu’à maintenant.

Mais l’accumulation des mécontents et les difficultés budgétaires de la municipalité d’Eric Piolle, qui a annoncé avant l’été un vaste plan de rigueur dans les services publics municipaux, donne de nouveaux espoirs de rentrée à l’ancien occupant de l’Hôtel de ville.

Une réhabilitation politique, « comme Juppé »

Affiche de campagne d’Alain Carignon en 2006. DR

Il n’en est pas à son coup d’essai. Par deux fois déjà, il a échoué à la réhabilitation publique par les urnes. Il en rêve pourtant, imaginant pouvoir réitérer celle d’Alain Juppé à Bordeaux. Mais les contestations internes à droite ont toujours été le principal handicap électoral d’Alain Carignon à Grenoble et, inversement, Carignon a aussi été un handicap pour le retour de la droite sur le devant de la scène.

Aux législatives de 2007, malgré le soutien de la fédération iséroise de l’UMP, il ne parvient pas à récupérer la première circonscription de l’Isère qui l’a pourtant élu en 1988 et 1993. Au premier tour, il subit la candidature dissidente de son ennemi intime, Richard Cazenave.

Il est battu au second tour par la socialiste Geneviève Fioraso sur cette circonscription traditionnellement acquise à la droite.

Plus récemment encore, en 2013, il se porte candidat à la primaire de la droite, organisée par la fédération UMP de l’Isère pour éviter un scénario de dissidence à l’élection municipale grenobloise. C’est un fiasco. Matthieu Chamussy est finalement désigné tête de liste de la droite par les instances nationales de l’UMP, mais elles lui imposent la présence d’Alain Carignon en neuvième position. Seulement sept colistiers sont élus au conseil municipal, sur les bancs de l’opposition de droite.

Un proche d’Alain Carignon reconnait que « tout a été tenté » depuis pour le mettre en position élective, quitte à encourager certains des colistiers qui le précèdent à renoncer à leur siège, en vain. Depuis quinze ans, les scrutins se suivent et les camouflets se ressemblent dans sa quête de légitimité démocratique.

« Une opposition dans l’opposition »

Mais à force de ténacité, sa réhabilitation interne a pris un nouvelle tournure depuis la présidence de LR de Nicolas Sarkozy, dont il fût un conseiller officieux à l’Elysée. Le bureau politique de la fédération iséroise est renouvelé et son nouveau président, Thierry Kovacs, le maire de Vienne, est un partisan de la première heure de la remise à flots politique d’Alain Carignon.

Ses plus proches soutiens, Adrien Fodil et François Tarantini, décrochent des sièges de secrétaires départementaux adjoints, ses rivaux Matthieu Chamussy et Richard Cazenave sont cantonnés dans le groupe d’opposition au conseil municipal.

Alain Carignon, porté à la tête d’un inédit « comité grenoblois des Républicains », bénéficie pour sa petite entreprise politique des ressources financières et des militants du parti.

Adrien Fodil, François Tarantini et Alain Carignon, principaux coordinateurs du « comité grenoblois de LR ». Crédit : LR38

Leur mission est de « faire entendre la voix des Républicains dans le débat municipal et de contribuer à l’élaboration d’un projet alternatif ». S’agit-il d’un doublon du groupe des élus de droite pour affaiblir leur parole ?

Alain Carignon évacue la question courtoisement :

« Il y a de la place pour tout le monde. Eux sont à l’intérieur du conseil municipal. Nous sommes à l’extérieur, en soutien. »

Revanchard, Adrien Fodil, est moins tendre avec le groupe d’élus :

« Il y avait eu un très mauvais choix de nos représentants qui ont préféré se pendre que de gagner par l’union en 2014. Ils n’occupent pas assez le terrain et ils sont mous dans leurs actions. Nous avons donc créé une opposition dans l’opposition. Notre action est beaucoup plus active et elle va encore s’accentuer sous la bannière des Républicains ».

Le blanc-seing de Laurent Wauquiez

L’équipe aurait également obtenu le soutien de Laurent Wauquiez pour animer la contestation municipale grenobloise. Donnant la couleur du débat, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes avait promis dans Acteurs de l’Economie « qu’il s’occuperait particulièrement de Grenoble » contre « les ayatollahs de l’écologie ». Charge à eux de préparer le terrain.

Alain Carignon et Laurent Wauquiez lors d’un diner en novembre 2013. Crédit : LR38.

Le site « Grenoble Le Changement » et sa page Facebook virale composent la vitrine numérique de cette opposition virulente à la municipalité grenobloise. Les deux articles quotidiens de ce « média d’opposition » dénoncent « le délabrement de Grenoble ainsi que les renoncements et les scandales de la gestion d’extrême gauche d’Eric Piolle ».

Les reprises des faits-divers à des fins politiques et des photos de dégradations publiques nourrissent l’essentiel des publications.

Mais dès qu’ils en ont l’occasion, les rédacteurs de ces tribunes acerbes ne manquent pas de souligner avec nostalgie les réalisations d’Alain Carignon, quand il était aux responsabilités locales.

« La trumpisation du débat public »

Depuis la rentrée, la dernière réalisation de ce comité s’affiche sur les panneaux et dans les boîtes aux lettres de Grenoble. Une pancarte polémique reprenant les codes du western sur laquelle figurent les visages de 25 responsables politiques des deux dernières majorités municipales de gauche confondues, barrée du slogan « ils ont ruiné Grenoble ».

Des affiches de la campagne « Wanted » du comité grenoblois de LR38 recouvertes d’une affichette d’Alain Carignon. Crédit : VG/Rue89Lyon

À l’image de Richard Cazenave, des élus de la droite municipale se sont publiquement désolidarisés de cette campagne d’affichage diffusée à plus de 80 000 exemplaires :

« Sur le fond ce n’est pas faux, mais sur la forme, ce n’est pas mon approche. C’est irrespectueux des personnes ».

L’écologiste Laurence Comparat, présidente du groupe de majorité municipale répond sur France 3 Alpes :

« Une ligne rouge est franchie. C’est une forme de ‘trumpisation’ du débat public que nous ne pouvons pas accepter. Nous demandons à la droite iséroise de se ressaisir. »

Coups de tampon dans la ville

Deuxième volet de cette campagne de rentrée, le comité grenoblois des Républicains s’est mis en tête d’apposer son sceau dans toute la ville sur cinquante réalisations remontant à l’époque d’Alain Carignon, comme le Synchrotron, le quartier Europole, le Musée de Grenoble ou la station d’épuration des eaux. Il a collé des autocollants à son effigie, sur lesquels sont imprimés « réalisation Carignon », sans rien demander à personne.

Alain Carignon et Edouard Balladur, lors de l’inauguration du musée de Grenoble en janvier 1994. Crédit : LR38

Un bilan sélectif, selon le militant écologiste Raymond Avrillier, considéré comme le tombeur d’Alain Carignon :

« Chacune de ces réalisations est surtout marquée du sceau de son affairisme, comme la station d’épuration Aquapôle confiée en 1985 à ses alliés de la Générale et de la Lyonnaise des Eaux par un contrat douteux de délégation privée, sans aucun contrôle de la concession. 30 années plus tard, on continue d’obtenir l’annulation des décisions illégales prises à cette époque ».

Avant d’enchérir :

« Je suis pour la réinsertion des délinquants. Alain Carignon devrait se retirer tranquillement dans sa palmeraie de Marrakech plutôt que d’espérer toucher à nouveau de l’argent public après avoir été condamné pour les actes les plus graves qu’un dirigeant politique puisse commettre ».

L’espoir d’une démission d’Eric Piolle

Le poids de ce passé judiciaire est minoré par Adrien Fodil qui précise la stratégie de reconquête :

« Faut pas se leurrer, c’est un handicap mais la population grenobloise change vite et tout ne reste pas en mémoire. Si on peut récupérer 10% des voix qui nous ont échappé pour le FN, on gagne en 2020 face à la désunion de la gauche ».

Leur dessein s’appuie également sur une contestation grandissante de l’actuelle municipalité grenobloise après l’annonce d’un plan de rigueur pour compenser la baisse des dotations de l’Etat et échapper à une mise sous tutelle de la préfecture.

Des mesures de « sauvegarde » comme la fermeture de trois bibliothèques, la révision de la tarification du stationnement ou la hausse du prix des cantines et des activités périscolaires qui peinent à passer auprès des Grenoblois et au sein même de la majorité rouge-verte-citoyenne.

Alain Carignon se prend à rêver d’une élection anticipée :

« Comme son modèle Aléxis Tsipras en Grèce, Eric Piolle devrait repasser par les urnes pour retrouver de la légitimité dans son action ».

Gageons que cela n’arrivera pas, mais ledit maire écologiste devra désormais composer avec une opposition bruyante de l’équipe Carignon, déterminée à peser dans la recomposition des forces politiques.


#Alain Carignon

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