Dans un petit garage de Villeurbanne, robots mixeurs, ordinateurs ou téléphones reviennent à la vie. C’est un atelier de réparation électronique. Qui met les mains dedans ? Les propriétaires des objets qui les ont apportés, avec l’aide des bénévoles.
Objectif : comprendre les technologies des objets du quotidien pour éviter de jeter à la moindre panne ou pour contourner l’obsolescence programmée.
Ce soir-là sur les établis du garage de « l’Atelier Soudé » trois patients en souffrance. Un robot mixeur qui n’a plus donné signe de vie depuis longtemps, un smartphone qui ne veut plus se recharger et une tour PC. Leurs propriétaires n’ont pas voulu se résoudre à les jeter avant d’être sûrs qu’il n’y avait plus rien à faire.
« – On est sûrs que c’est ça qui ne marche pas ?
– Non. Mais là, il n’y a plus rien qui marche de toute façon ! »
Gérard, bénévole de l’Atelier Soudé, a ouvert le robot mixeur et tente de localiser la panne. Il l’ausculte à l’aide d’un multimètre avec la propriétaire. Elle ne « l’a jamais vu fonctionner » et s’est dit qu’il aurait été « dommage de ne pas essayer de le réparer avant de le jeter ». Au gré des manipulations, il lui explique le fonctionnement de l’appareil, ses différents composants et leurs fonctions.
Après plusieurs tests, Gérard s’oriente vers la commande de relai qu’il soupçonne de dysfonctionner. En la bougeant manuellement, le robot se met en marche.
« Ce n’est pas la pièce, c’est la commande depuis le microprocesseur. C’est soit un programme qui ne fonctionne plus soit une histoire d’obsolescence programmée », indique-t-il.
Derrière ce terme se cacherait l’action des fabricants de limiter volontairement la durée de vie de leurs appareils pour obliger leurs clients à en changer plus souvent et ainsi consommer plus. Récemment encore Apple a été soupçonné d’avoir avoué que ses téléphones avaient une durée de vie de 3 ans. Il s’agirait en fait davantage d’un cycle de consommation observé chez ses clients.
Si dans certains cas, notamment celui d’imprimantes, l’action volontaire du fabricant a été constatée, difficile de savoir si n’importe lequel de ses appareils a été programmé pour mourir après une certaine durée de vie.
« C’est très difficile de savoir s’il s’agit d’une panne ou d’obsolescence programmée. Bien souvent, si le fabricant ne l’avoue pas lui-même on ne le saura jamais », explique Gérard.
Pour le robot mixeur impossible de changer la pièce mais après avoir bricolé un petit morceau de plastique avec un fer à souder pour bloquer la commande, le robot fonctionne. Coût de la réparation : 5 euros, soit le prix d’une participation à l’atelier.
Revendiquer le droit à la bricole
Le principe de l’Atelier Soudé est donc simple : un atelier où l’on aide et apprend à réparer des appareils électroniques. Le discours et l’ambition de ceux qui le portent n’en est pas moins neutre. Autour du partage de connaissances, l’idée est de combler le fossé qui se creuse entre nous et les appareils du quotidien. Parce que nous ne comprenons pas leur fonctionnement. Parce qu’il est aussi parfois difficile de les réparer.
Les fabricants compliquent l’accès aux systèmes ou aux composants, réduisent la durée de vie des appareils dans certains cas ou ne fournissent pas de pièces détachées permettant de les réparer soi-même. La démarche est alors presque politique : « revendiquer le droit à réparer , explique Baptiste un des permanents de l’association.
« Une boîte de tournevis et un multimètre permettent déjà de faire beaucoup de choses ! », sourit-il.
Et les choses bougent doucement en ce sens. Depuis mars 2015, la loi consommation oblige les fabricants à communiquer la durée durant laquelle ils fourniront les pièces détachées de leurs produits.
Alors, dans les locaux de la Myne, où s’est installée la Paillasse Saône, le garage de cette maison au fond de la petite impasse de Luizet aux abords du campus de la Doua s’est transformé en atelier de réparation. Il est ouvert au public tous les mercredis soir de 18h à 21h, pour la modique somme de 5 euros. Au-delà de 20 euros, la participation est libre.
« Ici, on ne comble pas le plaisir de l’achat »
Sur les étagères traînent des grille-pains, des bouilloires, des voitures télécommandées, de vieux magnétoscopes, des téléphones portables, des câbles secteur… L’Atelier Soudé n’achète pas pour l’heure de pièces détachées et se sert uniquement d’objets de récupération ou donnés par les participants aux ateliers.
Les bénévoles y réparent petit électroménager, ordinateurs et smartphones essentiellement. Mais ce n’est pas toujours facile.
« Certains grille-pains ne sont même pas ouvrables. Les mixeurs c’est parfois difficile. Les bouilloires par exemple, beaucoup de composants sont encapsulés. Les ordinateurs portables, il faut être méthodique mais on y arrive. Parfois on butte mais on le laisse de côté et on y revient », détaille Baptiste.
C’est le cas de Gilles qui ce soir-là venait pour la quatrième fois avec sa tour PC. Il avait envie de la refaire marcher au lieu de la mettre à la benne. « En plus elle est bien plus puissante que ma tour Linux qui a 10 ans ! » indique-t-il. Avec Hubert, ils s’affairent devant la tour au capot ouvert.
« On a changé la carte mère avec une autre qui se trouvait ici à l’atelier. Il s’est remis à fonctionner mais il s’allumait tout seul. L’origine de la carte est incertaine. Mais je ne m’avoue pas vaincu ! » rigole-t-il.
Déjà convaincu par la nécessité de réduire ses déchets ou sa consommation d’énergie, il a connu la structure au salon Primevère. Il a fini par sauter le pas et venir tenter de réparer son ordinateur. Pour lui, l’Atelier Soudé permet de « vaincre l’appréhension » face à la méconnaissance de l’informatique ou des appareils électroniques qui dissuade beaucoup d’essayer de réparer soi-même. Alors on préfère jeter et acheter de nouveau.
« Ici, on ne comble pas le plaisir de l’achat, c’est sûr. Mais on apprend comment ça marche et une fois qu’on sait ça change beaucoup de choses. Je ne connaissais rien au hardware, maintenant j’ai compris. Et jusqu’à maintenant j’en ai eu pour 12 euros de pièces.»
Ses passages à l’Atelier Soudé lui ont donné confiance.
« Je voulais une machine à pain. J’ai appelé du monde autour de moi pour savoir si quelqu’un en avait une inutilisée. On m’en a donnée qui ne fonctionnait pas. Je l’ai réparée et elle fonctionne maintenant. Du coup je passe pour le geek de la famille ».
Hubert s’affaire sur son ordinateur. Ancien directeur d’un SAV (service après vente) dans l’informatique industrielle, il dit avoir « toujours fait ça, démonter des objets ». Il vient donner de son temps depuis le début de l’année.
« Pour transmettre. Mais j’apprends aussi beaucoup ».
« J’ai fait marcher un téléphone qui avait passé trois mois dans l’eau »
Sur l’établi d’à côté, Audrey est venue avec un smartphone qui ne veut plus se recharger. Elle l’a déjà apporté chez un réparateur.
« Il m’a dit que ça venait du connecteur. Mais maintenant il ne marche plus du tout alors qu’avant il se rechargeait parfois », glisse-t-elle.
Dès qu’elle peut, elle « bidouille » et elle a déjà ouvert des blocs secteur notamment pour les réparer. « C’est souvent des faux contacts », dit-elle. Audrey est modeste ; elle estime en savoir « un peu plus que la moyenne » mais « pas grand-chose encore » malgré tout. Sensible elle aussi à réduire ses déchets et à combattre l’obsolescence programmée, elle a décidé de venir à l’Atelier Soudé après en avoir entendu parler à l’INSA de Lyon.
Son téléphone est entre les mains expertes d’Alassane. Il connaît tous les téléphones et tablettes ou presque par coeur. Il a appris « comme ça, en bidouillant » et a poursuivi en voyant qu’il s’en sortait bien.
« Quand je m’occupe d’une réparation, je réussis dans 90 % des cas », sourit-il.
Et au fil du temps les téléphones se sont complexifiés intégrant de plus en plus de composants. Alassane peut illustrer à peu près tout ce qu’il vous explique : il a dans son sac à dos plusieurs modèles d’Iphone, de tablettes et autres smartphones. Certains sont en état de marche d’autres sont cassés et servent de pièces de rechange. Mais c’est là, parfois, tout le problème : ce n’est pas toujours possible.
« Le pire, ce sont les Iphone. Même s’ils semblent similaires en apparence comme l’Iphone 4 et le 4S, à l’intérieur tout est différent. On peut pas utiliser les pièces de l’un pour réparer l’autre. Les vis ne sont pas interchangeables par exemple, les batteries ont une connectique différente… », explique-t-il téléphones et tournevis pentalobe en main.
Mais rien ne semble impossible pour lui.
« Une fois j’ai fait marcher un téléphone qui avait passé 3 mois dans l’eau. Dans ce cas, il ne faut pas essayer de l’allumer et sortir la batterie sinon l’eau entre dans les composants. Si on le désoxyde, on peut le réparer après », raconte-t-il.
Valider les compétences en bricole
Dans la téléphonie, il est confronté aux embûches mises en place par les constructeurs pour éviter ou compliquer les auto-réparations. Ou les rendre onéreuses. Alassane voit souvent passer entre ses mains des téléphones à l’écran cassé après un choc ou une chute. La fonction tactile ne fonctionne alors bien souvent plus alors que l’écran s’allume toujours.
« Le tactile et le LCD de l’écran sont de moins en moins séparés dans les smartphones. Sur le Galaxy S4 par exemple ils ont fait en sorte que les deux soient indissociables. Si l’un des deux ne marche plus, il faut alors changer les deux. Et c’est plus cher», explique-t-il.
Il sort alors une sorte de sèche-cheveux de son sac. Il le branche et un rapide coup d’air sur la main suffit à comprendre qu’il ne vaut mieux pas l’essayer sur sa tignasse. C’est un décapeur thermique. Il l’utilise pour décoller les écrans des tablettes, notamment des Ipad. Car pour certaines d’entre elles, pour accéder à la batterie et la changer en cas de besoin impossible d’y accéder sans avoir décollé l’écran. Une manipulation délicate qui peut rapidement tourner au fiasco. Mais il y a plus fourbe encore.
« Par exemple, sur l’Iphone 6 il y a eu l’histoire de l’erreur 50. L’appareil parvient à détecter que vous avez changé l’écran sans passer par Apple au moment de la restauration via Itunes. Du coup le téléphone est bloqué. Tu ne peux pas le faire toi-même ou aller chez un réparateur », détaille-t-il.
Il ne pourra pas réparer le téléphone d’Audrey ce soir-là, faute de pièces sous la main. Ses compétences apprises en triturant les téléphones, il aimerait pouvoir « les valider » pour en faire son métier. L’Atelier Soudé, organisé en association pour le moment, réfléchit aussi à la suite.
« On commence à avoir un bon réseau de bénévoles et de compétences. On a l’idée de mettre en place une formation entre bénévoles pour professionnaliser ça, peut-être », conclut Baptiste.
Chargement des commentaires…