En un mois, plus de 20 000 visiteurs sont allés la voir. Yoko Ono adhère sans doute à la théorie de l’effet papillon. Un battement d’ailes de la pensée, un petit geste intempestif et libre pourraient provoquer ailleurs, plus tard, des tsunamis, voire une révolution des consciences et des rapports humains.
En 1966, l’année de sa rencontre avec John Lennon, elle écrivait :
« Si les gens prenaient l’habitude d’esquisser une culbute toutes les deux rues en se rendant à leur bureau, d’ôter leur pantalon avant de se battre…
Si les hommes politiques avant de discuter de quoi que ce soit passaient une journée à regarder l’eau d’une fontaine danser dans le parc le plus proche, les affaires du monde ralentiraient sans doute un peu mais peut-être pourrions-nous avoir la paix. »
Depuis le début des années 1950, l’artiste du « Yes » et du « Imagine » (ses mots fétiches) voue une confiance inébranlable aux puissances de l’imagination et aux effets de subversion de la création.
Alors même que l’Expressionnisme abstrait américain (Pollock, De Kooning, Rothko…) bat son plein à cette époque, Yoko Ono troque la profondeur de l’œuvre plastique pour un art où l’objet, la performance ou « l’instruction écrite » seraient non plus une fin mais un commencement. Non plus une représentation, mais une proposition.
Non plus un chef-d’oeuvre sur piédestal, mais un battement d’ailes, l’esquisse d’un sourire, une « lumière de l’aube ».
Nos désirs font désordre
En choisissant de ne pas respecter la chronologie du parcours de Yoko Ono, de 1952 à aujourd’hui, les commissaires de l’exposition ont réussi à conserver cet esprit général de partage et d’invitation à l’expérimentation par soi-même qui traverse toutes les créations de l’artiste, sous des formes diverses.
Musiques, objets, installations, vidéos de performances, films avant-gardistes et textes s’entrecroisent au Musée en se renforçant les uns les autres, dessinant peu à peu ce qui fait le cœur même de l’œuvre : une énergie débordante et rafraîchissante, un enthousiasme contagieux, un désir de faire bouger les lignes avec presque rien : un escabeau à monter pour prendre de la hauteur, des tables de jeux d’échecs où toutes les pièces sont blanches, une salle obscure invitant les visiteurs à entrer en contact par le toucher, des espaces à l’architecture un peu étrange à traverser…
Ou encore l’une de ses nombreuses « instructions » à suivre comme : « Regardez le soleil jusqu’à ce qu’il devienne carré »… L’accrochage réussi et très agréable à parcourir maintient de salle en salle cette capacité d’étonnement de l’artiste et du visiteur.
Artiste et visiteur qui, au fond, tendent à se confondre puisque c’est à nous d’expérimenter, de poursuivre l’œuvre ou de lui donner un contenu ou une signification inédits.
De la mise en jeu à la mise en Je
On entend déjà siffler à nos oreilles les rires sarcastiques de ceux qui s’étonneront de notre sensibilité à une œuvre aussi naïve, voire parfois un peu cruche. Et il est vrai qu’il y a chez Yoko Ono une dose de naïveté désarmante et que, parmi la multitude de ses propositions, toutes ne sont ni originales ni intéressantes.
Certaines expériences doivent être replacées dans leur contexte historique : les films expérimentaux des années 1960 (des paires de fesse en gros plan, la consomption d’une allumette en une durée étirée…), certaines performances, n’ont plus aujourd’hui le même impact transgressif.
La musique de Yoko Ono, très présente dans l’exposition, pose aussi problème. Juliette Volcler, dans son livre Le son comme arme, Les usages policiers et militaires du son, rapporte :
« On a mis en place un programme aux USA pour résister à la torture en cas de capture, un responsable du programme témoigne : « Les stagiaires pensent souvent que c’est la partie interrogatoire du programme qui sera la plus éprouvante, mais en réalité pour la plupart d’entre eux le moment le pire est quand ils sont contraints d’écouter en boucle des sons cacophoniques. Une des cassettes qui génère le plus de stress est celle de bébés qui pleurent sans arrêt. Une autre est un album de Yoko Ono ». »
Mais, ces réserves mises à part, l’œuvre de Yoko Ono active chez nous notre capacité de créativité, du simple jeu aux grands chamboulements existentiels, et nous rappelle, en pleine période cynique, notre besoin de poésie.
Par JED sur petit-bulletin.fr
Lumière de l’aube
Au Musée d’art contemporain jusqu’au 10 juillet
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