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« Shadow Days » : avortements forcés et autres brutalités dans un village de Chine

Shadow Days est la première fiction qui aborde la question de l’enfant unique en Chine. Le film, qui sort ce 30 mars en France, a été réalisé par Zhao Dayong. Pierre Haski de Rue89 l’a rencontré il y a quelques jours. Entretien.

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« Shadow Days » : avortements forcés et autres brutalités dans un village de Chine

Le village où se déroule le film. Situé dans les montagnes du Yunnan, il se vide progressivement de ses habitants.

Le contrôle des naissances, connu comme la politique de l’enfant unique même s’il existait des exceptions à la règle, a certes permis de réduire sensiblement la croissance de la population chinoise, mais au prix d’innombrables abus qui restent un grand tabou. La politique a récemment changé pour permettre désormais deux enfants par couple, en raison d’un vieillissement trop rapide de la population.

Quel a été l’élément déclencheur de ce film sur le contrôle forcé des naissances ?

Ça remonte à l’un de mes premiers souvenirs, quand j’avais 3 ou 4 ans,
Dans le film, on voit un camion qui emmène un groupe de femmes qui doivent subir un avortement forcé. C’est quelque chose dont je me souviens parfaitement : j’ai vu une telle scène, un camion de couleur vert militaire, avec un groupe de femmes debout à l’arrière, emmenées à l’hôpital pour avorter. Et il y avait ma mère parmi ces femmes.
Ce n’était pas forcément une scène terrible à voir, car plusieurs de ces femmes n’exprimaient aucune tristesse. Mais c’est un souvenir qui est resté gravé dans ma mémoire.
Cette politique visant à réduire la natalité est devenue quelque chose de normal en Chine. On vit avec, et personne ne s’y oppose véritablement parce que la propagande a enraciné l’idée que la politique est décidée en haut, et que tout le monde doit s’y plier.
On nous a dit pendant des décennies « nous faisons trop d’enfants, pour avoir une vie meilleure, il faut limiter le nombre d’enfants ». Tout le monde l’a accepté, mais moi j’ai trouvé ça cruel. Mais le fait que tout un groupe humain trouve ça normal fait peur, c’est triste et c’est ça qui m’a intéressé.

Une partie des comédiens est composée de villageois jouant leur propre rôle : certains ont-ils pris conscience de la brutalité de ce qu’ils faisaient ?

Il n’y a eu aucune prise de conscience de la part des acteurs non professionnels lors des scènes où les femmes subissent des avortements forcés.
Les retours de ces acteurs étaient au contraire de se dire que c’était vraiment comme la réalité. Une femme m’a même dit qu’elle avait pensé qu’on l’emmenait réellement à l’hôpital… Mais personne ne s’est dit que ça ne devrait pas être comme ça.
Tout ce qui concerne les moyens employés dans le film pour attraper ces femmes contre la loi est largement en dessous de la réalité qui est bien plus cruelle.

Ce film a été fait avec un tout petit budget et en dehors du système, alors que d’autres cinéastes ont choisi de rentrer dans le système ? Pourquoi ce choix ?
Peu m’importe si le film est réalisé de manière officielle ou indépendante. Ce qui m’importe, c’est que ce que je réalise soit en accord avec ce que je veux faire et ce que j’ai envie de dire.
Si je le faisais dans le « courant officiel » et que je me rendais compte que je ne pouvais pas faire ce que je veux, j’arrêterais aussitôt.
Je travaille avec des petits budgets, ce que j’aime, c’est l’observation de la société actuelle : je me trouve dans une position peu compatible avec les règles de la censure actuelle. C’est la raison pour laquelle je préfère tourner en indépendant. Je sais que je n’obtiendrais pas le visa de censure.
La réalité, c’est que je me prive du marché chinois, mais c’est le prix à payer.

A lire sur rue89

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