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Un groupe Facebook demande l’ajout d’un clitoris à une fontaine de Saint-Etienne

Depuis son installation sur la place de l’Hôtel de ville de Saint-Etienne en janvier 2014, une fontaine déchaîne les passions. Elle fait notamment l’objet d’une demande assez folle de la part de quelques Stéphanois. Réunis dans un groupe Facebook, ils sont plus de 500 à demander l’ajout d’un clitoris à la sculpture, pensée à l’origine comme une simple feuille.

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Un groupe Facebook demande l’ajout d’un clitoris à une fontaine de Saint-Etienne

La fontaine, place de l’Hôtel de Ville (Saint-Etienne) / © Obras

Ce n’est pas la première fois qu’une oeuvre échappe à son créateur et que ceux qui la côtoient se livrent à des interprétations très personnelles. A Saint-Etienne, cette imposante fontaine est surnommée « le bidet » ou « la palourde », mais un groupe de 500 personnes constitué sur le réseau social Facebook a décidé d’y voir un sexe féminin.

Pour Frédéric, à l’origine du groupe « Sauvons la Vulve », le doute n’est pas permis « dès lors que l’on parle d’une fontaine » :

« Ce n’est pas que j’ai l’esprit tordu mais j’ai du mal à croire que l’architecte, qui a probablement passé des heures à travailler sur son œuvre, n’ait pas pensé une seule seconde que sa fontaine ressemblait à une vulve. »

Il faut « redonner à la Vulve sa capacité de jouissance », estime-t-il.

C’est une question d’honneur pour Frédéric et ses copains, plutôt fiers de la fontaine telle qu’ils la voient. C’est d’ailleurs avec beaucoup d’attachement qu’ils en prennent soin, surveillant ponctuellement toute trace de dégradation.

Sur le groupe secret, visible uniquement si l’on en est membre et essentiellement composé de femmes et d’artistes (comédiens, musiciens, dessinateurs, etc.), on poste en général des photos de sexe féminin, des peintures, des réflexions autour de la place de la femme tant dans la société que dans la représentation artistique. Mais aussi des remarques liées à l’imagerie sexuelle féminine, de plus ou moins bon goût.

La création d’une communauté de « féministes engagés »

Créé par le bouche à oreille, le groupe est présenté par Frédéric comme « un lieu de réflexion » dont il a « agréablement perdu le contrôle ». Aussi le groupe est privé.

« Sur Facebook, il y a quand même des enfants, et on ne veut choquer personne », indique Frédéric.

Comme dans une association militante, les membres estiment partager certaines valeurs : la lutte contre l’excision, l’égalité des sexes, défense des poils et des contraceptifs pour hommes.

Outre les gifs parfois coquins, on y publie aussi les oeuvres d’artistes connus comme Bettina Reims, qui expose en ce moment à la Maison européenne de la photographie (MEP), Arnulf Rainer ou encore Jan Saudek.

Plutôt ouverts à toutes les formes d’expression, certains membres se laissent aller à la poésie :

Frédéric se laisse lui aussi aller à quelques envolées lyriques dans le « manifeste » du groupe de « sauvetage » de la fontaine :

« La Vulve ? C’est l’origine du monde pardi ! Au cœur de notre ville ! Elle gicle, elle éclabousse les passants, brille sous le (rare) soleil stéphanois. Adieu les tours phalliques, le béton brut et les pots de fleurs ! Gloire à la Vulve ! »

Souvenez-vous, à Paris, le sapin vert de la place Vendôme avait suscité de violentes critiques de la part des passants qui l’ayant assimilé à un plug anal, avaient exigé son retrait.

Frédéric s’en amuse et ne lésine pas sur les jeux de mots. Technicien son et lumière de 38 ans, celui qui se considère comme « un homme parmi les femmes » a la parole assez libérée, avouant être proche du féminisme américain. L’âme un peu artiste, il voudrait que, partout où l’on s’en inspire, « la femme soit représentée dans sa totalité » et que les tabous, en particulier dans sa représentation artistique soient levés.

Une idée qu’il partage avec sa compagne, qu’il présente comme une « féministe engagée », rencontrée grâce à ce groupe Facebook.

« Faire admettre à l’architecte la portée de son oeuvre »

« Allez jusqu’au bout de votre oeuvre », c’est le message qu’il tente de faire passer à Marc Bigarnet, l’architecte du cabinet Obras qui a imaginé la fontaine de l’Hôtel de Ville. Si son interprétation n’a été confirmée ni par la Ville, ni par l’architecte, l’absence du « clitoris » pose un problème pour Frédéric qui se l’approprie totalement et craint que l’oeuvre puisse apparaître comme « machiste » :

« Si la Vulve est excisée, cela voudrait-il dire que la femme n’a pas le droit de jouir ? Le clitoris est-il toujours un tabou médical ? Il y a vraiment une omerta sur la représentation du sexe féminin. On n’a pourtant aucun mal à représenter un phallus. »

D’autant plus que « Saint-Étienne est une ville éminemment érotique », selon Frédéric. Des deux crassiers « qui pointent leurs sommets comme la poitrine des femmes » au chevalement des mineurs « dans les cavités profondes de Gaïa », l’ingénieur semble avoir de l’imagination à revendre.

L’emballement des membres du groupe autour de la question peut faire sourire mais elle n’en est pas moins importante aux yeux de ceux qui la portent, puisque ces Stéphanois ont écrit deux fois déjà à la mairie, dans le but d’exposer leur projet.

Ils ont joint l’architecte de la fameuse fontaine « pour tenter de lui faire admettre la portée de son œuvre » (si tant est qu’il y en ait une).

Il y a aussi ceux qui n’aiment pas la fontaine

Capture d’écran du groupe Facebook « Pour que la fontaine à l’hôtel de ville de Saint-Etienne soit changée ».

Si le groupe n’a obtenu aucune réponse de la part des services municipaux -sans surprise- Frédéric garde espoir, et conserve une conviction :

« Une vulve sans clitoris, c’est comme un félin sans queue, comme Bonnie sans Clyde. Il faut appeler les choses par leur nom et de la même manière qu’un chat est un chat, une chatte est une chatte ».

Prochaine étape : la distribution de flyers aux passants pour diffuser son message. Elle aura lieu le 21 mars à côté de la fontaine, où se tiendra un atelier « origami » en forme de… vulve.

Le rassemblement ne devrait pas beaucoup plaire à un autre groupe de Stéphanois qui demandent, eux, le remplacement intégral de la fontaine, pas vraiment pour son éventuelle « résonance sexuelle » mais simplement parce qu’ils ne la trouvent pas à leur goût.

Quant à l’architecte, nous avons bien essayé de le joindre pour connaître son point de vue sur la façon dont ces stéphanois se sont appropriés l’oeuvre, sans succès pour le moment.


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