Informer sur ces personnes, c’est la mission gigantesque que s’est donnée une petite équipe de militants. Avec Lyon pour camp de base, ils mettent en ligne au printemps le site Prison insider. Un crowdfounding vient d’être lancé.
Accusé d’avoir participé à l’évasion des pilotes « d’air Cocaïne » de la République Dominicaine, le criminologue Christophe Naudin a été arrêté en Égypte. Il vient d’être extradé. Et est incarcéré dans une prison dominicaine.
Interrogée par France Info, sa femme s’inquiétait, ne connaissant pas la situation de ce pays de la Caraïbe :
« Ce qui m’inquiète le plus, ce sont ses conditions de détention, sa santé et son moral, il a un traitement [médical] assez sérieux ».
Dans quelques semaines, elle pourra cliquer sur le site Prison Insider et, parmi tous les pays recensés sur le site, obtenir les principales infos sur les prisons de la République Dominicaine.
Un observatoire international
C’est en tout cas ce que projette de réaliser l’équipe à l’origine de Prison Insider. Un défi qui n’effraie pas Bernard Bolze.
Cet ancien journaliste lyonnais a fondé en 1990 l’Observatoire international des prisons (OIP). Aujourd’hui, il reprend le flambeau de cet OIP qui n’a gardé d’international que le nom. Restent des sections nationales et parmi elles, seule la section française demeure très active.
Autour de ce militant lyonnais que l’on connaît aussi pour sa campagne contre la double peine « une peine, point barre », on trouve une vingtaine de personnes dont deux à temps plein.
Mais, surtout, des correspondants sur les cinq continents. Pour le moment ce réseau se construit. Ils sont aujourd’hui au nombre 20 à transmettre des infos. Actuellement en phase de création, le site Internet devrait être lancé au mois de mai prochain, d’abord en trois langues (anglais, français, espagnol).
« Une information vulgarisée, dans sa langue »
Le projet est de centraliser toute l’info sur les prisons du monde et la rendre accessible au plus grand nombre. Le site veut aussi faire de l’investigation en produisant sa propre info via des enquêtes journalistiques.
La coordinatrice du réseau international, Emilie Deudon, défend l’originalité de Prison Insider :
« L’information existe mais est disséminée dans de multiples sites sur les prisons. Il reste très difficile d’accéder à une information vulgarisée et dans sa langue ».
A titre d’exemple, le site britannique « World Prison Brief » l’Institute for Criminal and Policy Research (ICPR) de l’université de Birbeck fourmille de données.
Mais il est d’un accès trop ardu, selon Emilie Deudon :
« Ce sont des sites universitaires. Il n’y a pas d’infos pratiques, pas d’illustrations ou de photos, pas de prises de position ».
A l’inverse, Prison Insider qui veut proposer une vulgarisation de ces infos s’appuie sur des fiches synthétiques par pays et sur un travail graphique.
L’une des questions auxquelles l’équipe de ce site veut répondre est : comment informer les proches des détenus, surtout s’ils sont incarcérés dans un pays étranger ? Il y a trois types de besoins auxquels Prison Insider veut répondre :
- Un besoin d’informations-service. Pour savoir, par exemple, comment rendre visite à un détenu ? comment lui faire parvenir de l’argent ?…
- Un besoin d’informations documentaires. Dans le but de connaître les conditions de détention : combien de détenus par cellule ? sont-ils correctement nourris ?…
- Un besoin d’un espace pour agir. Pour alerter ou témoigner sur ce que les proches vivent.
Infos gratuites/infos payantes
Il y aura deux manières d’accéder au contenu du site. En accès libre, les infos-service, en cas d’arrestation d’un proche. On trouvera aussi :
- la fiche de son pays (en fonction de l’adresse IP de l’utilisateur)
- les dernières actualités de son pays
- des photos des prisons de son pays
- les 10 dernières actu mondiales
Une participation au forum est prévue.
En accès payant, l’internaute aura accès à « tout sur tous les pays », sous la forme des fiches-pays. Les grandes enquêtes réalisées par des journalistes seront également payantes. Pour aller plus loin, une partie « analyse » devrait mettre en lumière et vulgariser les travaux de chercheurs (anthropologues, juristes, sociologues ou autres).
En ne s’interdisant pas de critiquer les instances supranationales, comme les mécanismes nationaux de prévention ou les bailleurs de fonds.
Photos et dataviz sur les prisons
Dans cette partie payante également, la traduction graphique de tendance. Un graphiste, une fois par an, va illustrer de grandes tendances. C’est la patte de Bernard Bolze qui a fait appel à des artistes pour des interventions sur la prison. La dernière en date concerne l’ancienne prison de Lyon, juste avant sa transformation.
La première à s’y coller est l’illustratrice et auteure de BD Pome Bernos, connue notamment pour sa Chronique d’un pigeon parisien. Voir ci-dessous.
L’accent est mis sur la photo. Avec une approche en image par pays qui viendra compléter un rapport annuel narratif. La coordinatrice du pôle multimédia, Judith Le Mauff décrit le principe :
« Il ne s’agit pas d’être exhaustif mais de partager un regard subjectif dans un format précis et relativement court (environ 20 images). Avec comme idée que l’image ne soit pas seulement décorative ».
Pour ce travail, l’équipe de Prison Insider est aidée par le photographe Gregoire Korganow, connu pour son travail aux côtés du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)
Avec, toujours, une visée de vulgarisation, selon la coordinatrice du pôle multimédia :
« On veut proposer une brève analyse d’une image de prison dans une visée pédagogique par un professionnel ».
Prison Insider peut également compter sur le soutien du photojournaliste Reza, lui-même incarcéré pendant trois ans en Iran.
« Un site partisan »
Avec pour nom Prison Insider (en anglais dans le texte), l’équipe ambitionne de parler « de l’intérieur de la prison ».
« On souhaite aussi laisser une place aux détenus sans confisquer la parole. »
Sans apporter plus de précisions sur la manière d’y parvenir. Quand on connait les difficultés, notamment en France, pour faire sortir cette parole des murs de la prison. Rue89Lyon peut en témoigner.
Le site affiche clairement la couleur : il s’agit d’« un site partisan » :
« Partisan d’un monde avec moins de prisons, où s’inventent des peines non privatives de liberté, réparatrices. Où sont dénoncées des pratiques cruelles, inhumaines et dégradantes. Les droits humains ne se divisent pas, ne se négocient pas. Personne ne peut admettre de vivre dignement quand d’autres vivent dans l’indignité. »
Les gens de Prison Insider sont-ils abolitionnistes ?
« A notre sens, le respect des droits fondamentaux est incompatible avec la prison ».
Mais ils voient la fin de toutes les prisons comme un objectif lointain. La question que se pose Prison Insider est plutôt de savoir comment l’on fait « pour avancer dans un monde avec moins de prison ». Pour Bernard Bolze :
« Ce n’est pas brûlons les prisons, mais déconstruisons les prisons. »
Par conséquent, le site pourra lancer des campagnes d’opinion ou en relayer.
« Si un de nos correspondants nous alerte sur un point particulièrement grave, on peut être à l’initiative d’actions. Mais on peut aussi s’associer aux mobilisations des autres ONG ».
Outre se faire le relais de ses propres campagnes ou de celles des autres, la partie « Agir » du site est envisagée de manière « multiforme », par exemple :
- Des témoignages envoyés pourront être mis en ligne dans un format texte, son ou vidéo.
- Des contributions libres d’artistes (BD, dessins, textes, sons) « sur l’enfermement et la liberté ».
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