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Vétérans du nucléaire : « nos maladies radio-induites seront-elles un jour reconnues ? »

Le président de la République arrive ce lundi en Polynésie française.

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Vétérans du nucléaire : « nos maladies radio-induites seront-elles un jour reconnues ? »

François Hollande est attendu sur la question des retombées des essais nucléaires français.

Le gouvernement traine des pieds pour prendre en compte la « dette nucléaire » et indemniser les victimes et la population

Et la population locale « subit toujours les conséquences sur sa santé et son environnement », comme le notait, l’Observatoire des armements, dont le siège est à Lyon.

> Nous republions notre article du 3 septembre 2013 sur les vétérans des essais nucléaires, dont l’association a également Lyon pour siège.

Jean-Claude Hervieux, membre du bureau de l’association des vétérans des essais nucléaires. © Adeline Charvet

Le licenciement du « délégué polynésien pour le suivi des conséquences des essais nucléaires », le 13 juin 2013, a fortement ébranlé les vétérans du nucléaire. Ils se sentent désarmés dans leur lutte pour la reconnaissance des maladies radio-induites. Rencontre avec des vieux messieurs qui nous racontent leur jeunesse irradiée au soleil.

 

« Gaston Flosse est totalement négationniste »

La scène se passe à Lyon, loin des atolls de Polynésies. La colline de Saint-Just accueille le siège national de l’association des vétérans des essais nucléaires, l’Aven.

Son président, Jean-Luc Sans, est dépité et indigné.

Certes, il « s’attendait à des changements » suite au retour au pouvoir de Gaston Flosse, élu président de la Polynésie française en mai dernier. Ce dernier soutient en effet que les essais nucléaires ont eu des conséquences sanitaires négligeables :

« Gaston Flosse fait partie de la vieille équipe qui est totalement négationniste face aux conséquences des essais nucléaires. Avec son élection, nous nous sentons un peu désarmés ».

Mais le licenciement de Bruno Barrillot, « délégué polynésien pour le suivi des conséquences des essais nucléaires » fait courir le risque que « le dossier de la reconnaissance d’un lien entre les maladies des vétérans et les essais soit complètement enterré » :

« Les études en cours sur les conséquences des essais nucléaires sur la faune et la flore en Polynésie n’arriveront jamais à terme ».

Le président des vétérans des essais nucléaires est d’autant plus indigné que, lors d’une conférence de presse, le 3 juillet dernier, l’ex-délégué Bruno Barrillot a rendu publics 58 documents confidentiels récemment déclassifiés. Ces documents relatent les opérations nucléaires réalisées dans le Pacifique :

« Toute la Polynésie, soit l’équivalent de la surface de l’Europe, aurait été contaminée », a conclu Bruno Barrillot.

La Polynésie fait partie des deux zones qui occupent l’Aven depuis sa création en 2001 (justement sous l’impulsion de Bruno Barrillot). 193 essais nucléaires ont été menés par l’Armée française et ses équipes, militaires et civiles de 1966 à 1996. L’association s’occupe également des 17 essais réalisés en Algérie de 1960 à 1966.

Reportage sur les essais à Mururoa diffusé le 28 janvier 1996. © INA

 

« A 38 ans, j’ai fait un infarctus sans cause apparente »

Le licenciement puis les déclarations de Bruno Barrillot a ramené Jean-Luc Sans à sa jeunesse.

Il a 17 ans, en 1970, quand il monte à bord d’un bateau de la Marine nationale comme mécanicien pour la sécurité. Direction : la Polynésie française.

« Sur 110 équipiers, les deux tiers avaient entre 17 et 23 ans ; on ne se rendait compte de rien du tout. On avait des notes de service qui disaient que 90 secondes après l’explosion, on ne risquait rien », partage-t-il.

L’aventure au soleil s’achève. Et la vie se poursuit.

« A 38 ans, j’ai fait un infarctus sans cause apparente, sans antécédent. Puis, j’en ai fait un deuxième, puis un troisième, puis une phlébite, puis mes os se sont décalcifiés ».

En 2001, il se rapproche de l’association des vétérans, tout juste créée :

« Quand, en 2001, j’ai vu une émission sur l’Aven, je me suis demandé si tous ces problèmes de santé ne viendraient pas de ma présence lors des essais nucléaires en Polynésie ».

Aujourd’hui, il a peu de doute :

« Les membre de l’Aven ont une surmortalité de 17% et une espérance de vie de 60 ans ».

60 ans, c’est son âge justement. Le chiffre tombe comme un glaçon, mais pas une fatalité.

 

Il récupère le matériel contaminé à Hammoudia, dans le Sahara

Au bureau de l’Aven, siège également Jean-Claude Hervieux, 70 ans, vétéran des essais en Algérie et en Polynésie française. Le nucléaire le propulse aussi vers sa jeunesse.

Il a 22 ans et « bac -5 » quand il est embauché par la Compagnie générale d’électricité (CGE) comme électricien pour des missions dans le Sahara. Il est chargé de l’accès à l’éclairage sur les bases montées pour les essais nucléaires de l’Armée française.

En mars 1963, il fait partie de ceux qui récupèrent le matériel contaminé à Hammoudia, dans le Sahara. Il raconte :

« Nous étions équipés en tenue spéciale mais nous enlevions nos masques pour essuyer la sueur et nos gants pour être précis ».
« Assister à un tir nucléaire, c’était l’aboutissement d’un chantier. Nous avions le sentiment d’être acteurs d’événements exceptionnels, sans doute en raison de notre âge et du manque d’informations », replace-t-il.

 

Un dosimètre qui signale « irradié »

Jean-Claude Hervieux, vers la soixantaine, a voulu en savoir plus : il a demandé au ministère de la Défense copie intégrale des relevés de ses dosimètres – qu’il portait sur la poitrine lors des séjours en Algérie.

« Un dosimètre signale ‘irradié’ mais on m’a répondu qu’il avait dû être irradié pendant son stockage », remarque Jean-Claude Hervieux, peu crédule.

« Sur 51 résultats de mesure, j’ai un dosimètre irradié. Peu avant, il y a eu un tir où j’étais présent. Le mois suivant le dosimètre est noté « détérioré ». Et suite à cela, on me fait passer ma première visite médicale et rester en France six mois », rapporte-t-il pour appuyer son sentiment de manque de transparence.

Il a le désagréable sentiment d’être floué : le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) lui répond ne pas trouver de dossier à son nom… mais à celui de son père, des documents font état d’un contrôle à une date où il se souvient avoir été en vacances en Norvège…

 

« On plongeait en maillot là où il y avait eu les essais »

Deux ans après le Sahara algérien, en 1967, le jeune Jean-Claude se retrouve à Mururoa où il vit principalement en maillot de bain. Il pense également avoir été contaminé :

« On plongeait en maillot pour récupérer les câbles là où il y avait eu des essais. Plusieurs aspects nous attiraient : l’aspect voyage mais aussi l’aspect financier. A 29 ans, ça m’a permis d’acheter ma maison ».

Pour lui aussi, l’histoire se corse quand le corps lâche. A 55 ans, il perd connaissance sans raison apparente. Quand il apprend l’existence de l’Aven, il fait le lien avec l’exposition aux radiations, sans certitude malgré tout.

Aujourd’hui, il ne s’estime pas « avoir de symptômes significatifs » et pense faire partie de ceux qui ont de la chance.

Pourquoi alors avoir entrepris des démarches pour récupérer ses données personnelles ? « Je voulais que justice soit rendue pour moi et pour les autres ».

 

« 90% des dossiers sont rejetés »

Le gouvernement français peine à reconnaitre les maladies radio-induites et les conséquences des essais nucléaires menés par son armée. La loi Morin, relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français, promulguée en 2010, représente un demi espoir. Elle expose en effet que toute personne atteinte de maladie listée pourra obtenir réparation car il y a une présomption de causalité.

Mais le président de l’Aven pointe la limite majeure de cette loi :

« L’Etat considère les effets des essais nucléaires négligeables. C’est à partir de là que 90% des dossiers sont rejetés. Les membres du comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le Civen, au sein du ministère de la Défense, n’ont pas intérêt à dire que la radioactivité est dangereuse ».

Jean-Luc Sans fait référence à André Aurengo, médecin désigné par le ministère de la Défense en 2010 pour faire partie du Civen alors qu’il a été membre du CA d’EDF.

 

« A Papeete, tu ris sur l’île. A Fanga, tuerie sur l’atoll. »

« Sur 700 dossiers déposés à la commission, 4 ou 5 ont été indemnisés (….) Il faut pousser les portes mais il y a un effet d’âge, ceux qui avaient 20 ans en 1960 ont aujourd’hui 70 ans », poursuit Jean-Claude Hervieux.

Malgré tout, il prend les choses avec humour : pour accompagner ses mémoires, il a écrit une série de maximes, telles que « A Papeete, tu ris sur l’île. A Fanga, tuerie sur l’atoll. »

Plusieurs parlementaires, notamment socialistes, se sont penchés sur le sujet sous la présidence Sarkozy. L’Aven se montre ainsi optimiste suite au changement de majorité. Depuis avril 2012, un décret reconnait 21 maladies radio-induites, comme les leucémies, le cancer du côlon, de la thyroïde (contre 36 par le gouvernement américain selon l’Aven). Alors, les vétérans s’activent pour la reconnaissance de davantage de maladies.

A l’appui, une étude épidémiologique est programmée pour fin 2013/2014 auprès de 4000 anciens de la Marine ou de la Police.

« Nous allons ouvrir un pôle santé pour informer les médecins généralistes des problèmes liés à la radioactivité », annonce Jean-Luc Sans.

 

 

 

 


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