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« Il n’y a pas eu pareille innovation dans le piano numérique depuis 10 ans »

La première fois qu’il défend son projet devant des personnes à convaincre, Chakib Haboubi a dans les mains un piano cassé. Et pour cause, il l’a lui-même scié consciencieusement.

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Chakib Haboubi a créé Adèle H, la société qui commercialisera son piano "Phoenix". Crédit : Rue89Lyon.

L’idée tient dans les morceaux qui ne sont pas encore connectés : imaginer un piano dont les deux extrémités se referment, sur le système d’un triptyque permettant de diviser sa taille par deux et de le transporter aisément. 

Elle paraît simple, elle va pourtant demander des mois de travail aux ingénieurs que Chakib Haboubi est parvenu à emmener avec lui.

Chakib Haboubi a créé Adèle H, la société qui commercialisera son piano « Phoenix ». Crédit : Rue89Lyon.

En entrant dans le hangar au-dessus duquel le logo de la société Adèle H a été collé, on est pris dans les grosses vagues de Wagner poussé à fond. C’est L’Or du Rhin, prélude d’une trilogie fantastique qui va construire tout un univers déployé par la suite à partir d’éléments naturels.

Pour Chakib Haboubi, c’est à deux pas du quartier de Confluence que cela commence. Son univers, c’est ce local, cube de béton pour le moment vide, dans lequel trône un seul et unique piano, en partie démonté.

Musique pliable

C’est un Phoenix. Dans la matinée, on verra un copain de Chakib venir bidouiller sur l’engin, afin de calculer le nombre exact d’heures de travail qu’un tel objet demande. On lui pose la question.

“Environ 7 heures, lâche-t-il. Sans doute un peu moins.”

Le piano Phoenix imaginé par Chakib Haboubi, en cours de pliage. DR

Les premiers pianos seront prêts dans trois mois. Objectif : les voir correctement positionnés dans les magasins de distributeurs (une cinquantaine choisie par Chakib Haboubi), à la rentrée de septembre prochain.

Mais pour arriver à cette échéance, le chemin aura été long et relativement périlleux, à la hauteur du défi technologique.

“Je pense que c’est la meilleure innovation que Lyon a vue depuis bien longtemps”.

Ces mots sont lâchés sans filtre ; on n’y entend pas une pointe de prétention. Chakib Haboubi en est sincèrement convaincu, lui qui connaît si bien l’objet piano.

Il a passé plus de 10 ans à Bellecour Musique, un magasin central et bien connu des musiciens de la région.  Il y monte un réseau resserré avec les écoles alentours, avec des associations et fait doubler le chiffre d’affaires du lieu en quasi un an.

Chakib se présente comme un “vrai commerçant”, qui a eu des parents eux-mêmes commerçants. Il raconte :

“Mon père me disait, nous, les Carthaginois, nous sommes soit des guerriers, soit des commerçants. On a choisi commerçant.”

Le piano Phoenix totalement plié. DR.

Faire rentrer 88 touches et une obsession dans la voiture

En dehors de la boutique, Chakib sait aussi mettre en oeuvre ses idées pour la promotion de cet instrument auquel il voue du temps et de l’affection. L’opération “Piano dans la ville”, à Lyon, c’est lui. Des pianos dispersés dans l’espace public, dans quelques rues et dans les parcs, pour que tout le monde puisse les toucher, y jouer.

Enfant, sa mère l’inscrit dans une école de musique, à Saint-Priest. Il veut faire du piano mais le cours affiche complet. Il choisit, au hasard, un autre instrument, l’alto dont il suivra l’apprentissage pour faire plaisir à sa mère, “qui se saigne pour les payer”. Ce n’est que bien des années après, suite à une maladie et une opération lourde, qu’il se met au piano, poussé par un ami. Il joue une dizaine d’heures par jour.

Chakib ne se défait plus de cet instrument. Il a d’ailleurs créé l’association PianoThé, qui réunit professionnels et amateurs plusieurs fois dans l’année, pour des concerts à l’Embarcadère ou encore à la Clef de Voûte.

“On boit du thé, on joue du piano. C’est simple. Je dis toujours qu’à ces réunions, la fausse note est de mise.”

Il joue souvent. Partout, dès qu’il peut. Chakib voudrait pouvoir transporter son piano, mais c’est impossible.

“Mon idée d’un piano qui se replierait de cette façon est vraiment née de mon besoin personnel. Je pense qu’on est nombreux à être intéressés par un instrument de qualité, qui serait facile à transporter.”


Pianos en liberté

De quoi Adèle H. est-il le nom ?

D’une taille classique de piano de 88 touches, soit près de 150 centimètres, le Phoenix peut passer à 62 centimètres. C’est dans le système des charnières permettant de rabattre les deux extrémités de l’instrument que réside l’innovation. Imaginée par un ingénieur auquel Chakib a expliqué sans posséder aucun jargon technique son souhait, elle est désormais protégée.

“Si elle est copiée ? Tant mieux, c’est tout ce que je me souhaite”, ironise Chakib.

Il se souvient de réunions techniques entouré d’une dizaine d’ingénieurs, auprès desquels il a dû apprendre à s’expliquer. Aujourd’hui, Chakib maîtrise la chaîne et peut parler précisément de la moindre pièce montée sur son Phoenix ; 57 personnes différentes sont intervenues à ses côtés depuis 2014.

Des dizaines de personnes ont travaillé sur le projet d’Adèle H. DR

Avant d’entrer pour la première fois dans son local, de toucher son premier piano monté, Chakib a gagné plusieurs concours qui lui ont donné d’une part confiance dans son projet et d’autre part les moyens de le lancer réellement. 130 000 euros ont été nécessaires en investissement, recherche et développement.

Chakib fait les comptes :

  • 35 000 euros par le biais de concours divers
  • 30 000 euros via le concours « Emergence » de la BPI France
  • deux enveloppes BPI France : aide à l’innovation et prêt d’amorçage.
  • 67 500 euros en fonds propres
  • le soutien du réseau Entreprendre

“Tout se tient quand on a besoin de fonds pour un projet. Chacun des acteurs attend que l’autre se lance et lui dise « ok », ce qui nous met parfois dans des situations pas simples, quand on a besoin d’investir tout de suite.”

Les succès s’enchaînent, les galères aussi liées à des lenteurs et des incertitudes qui lui font penser parfois qu’il est “un peu fou”.

“Je me sens sur le fil depuis 2014”.

Funambule et par le même temps solide sur ses jambes, Chakib imagine embaucher assez vite cinq personnes, un chef d’atelier, un intégrateur numérique, un commercial et un secrétaire.

“Un secrétaire, oui, pas forcément une secrétaire. On féminise toujours ce mot. C’est comme dans la musique, tous les noms sont masculins, c’est un milieu où le féminin n’a pas de place. C’est aussi pour ça que j’ai appelé ma société Adèle H.”

C’est le prénom de sa fille suivi de l’initiale de son nom. C’est aussi le prénom de celle de Victor Hugo, connue pour avoir été très douée pour le piano.

“Une restitution du son incroyable”

D’abord lancé dans l’impératif d’améliorer et de rendre possible le transport de l’instrument, Chakib a vite glissé dans l’envie de créer un instrument hors pair, un “vrai piano de prestige”.

“Par facilité, par cohérence, j’ai trouvé autour de moi tout ce dont on a besoin pour faire ce piano.”

Par exemple, le bois vient d’Ardèche, il est découpé dans la masse et laqué à Brignais, à quelques encablures de Lyon. L’enceinte vient de chez Focal, entreprise de pointe à Saint-Etienne.

“Il n’y a pas eu d’innovation dans le piano numérique depuis 10 ans. Là, ce qu’on propose, c’est une véritable innovation de rupture.”

Au fur et à mesure que le projet a avancé, Chakib a misé sur « le top » :

“Je voulais le plus beau des sons de piano”.

La fréquence de scrutation des touches passe de 127 à 762 degrés avec le Phoenix. Pour donner son contenu à cette palette de possibilités étendue sur une seule touche, une vingtaine de concertistes sont passés dans l’entreprise qui a spécialement modélisé le son.

“Avec une restitution incroyable”.

Chakib peut déjà en profiter avec celui qui trône au milieu de son hangar. Mais à la veille de voir arriver enfin les pianos flambant neufs et emballés, le pianiste a un tout petit moins le temps de jouer.

 

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Ici, vous lirez des portraits de personnes qui se sont jetées dans le grand bain. Elles portent un projet créatif et mettent dans sa réalisation beaucoup d’elles-mêmes, de leur porte-monnaie, de leur temps disponible… Leur but ? Se tailler un job sur-mesure, bouger les modèles économiques et mener leur barque tout à la fois. Chronique de ces cheminements souvent longs, jonchés de nuits blanches, de craintes comme de grands enthousiasmes. Une rubrique réalisée en partenariat avec CCI Lyon Métropole.

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