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A Lyon, du « buzz 2.0 » pour faire condamner un prêtre pédophile

Ce mercredi, un curé lyonnais a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. Le père Bernard Preynat est poursuivi pour des agressions sexuelles sur des enfants. Lors de sa garde à vue, il a reconnu les faits, prescrits pour partie.

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Capture d'écran du site Internet "La Parole Libérée"

Cette nouvelle affaire de pédophilie qui touche l’église catholique est le résultat d’une démarche certainement unique en France. De longues années après les faits, les victimes de ce prêtre ont en effet choisi de faire du bruit via Internet et les réseaux sociaux pour recueillir un maximum de témoignages afin qu’une enquête soit ouverte.

« On a voulu utiliser Internet pour lutter contre l’omerta dans l’église catholique et recueillir des témoignages. Faire du buzz 2.0 était notre seule manière de faire en sorte que l’affaire ne soit pas classée ».

Bertrand Virieux, 44 ans, cardiologue de profession, est le secrétaire de l’association des victimes du père Bernard Preynat qui encadrait les scouts du Groupe Saint-Luc. Leur association a été nommée, à dessein, « La Parole Libérée ».

2.0, leur démarche est aussi l’histoire des traces laissées sur Internet et d’une bataille de communication.


Un prête toujours au contact des enfants, merci la presse en ligne

En 2014, un certain Alexandre, ancien scout du Groupe Saint-Luc rencontre un autre ancien scout.
Comme lui, il a fréquenté ce groupe dans les années 1980 qui avait pour base Saint-Foy-lès-Lyon, une commune de la banlieue chic de Lyon, où officiait le père Bernard Preynat.

L’ancien scout Bertrand Virieux raconte :

« Alexandre et son vieux copain scout ont fini par s’avouer mutuellement qu’ils avaient été victimes d’abus sexuels de la part du père Bernard ».

Alexandre décide alors de contacter l’évêque et cardinal de Lyon, Philippe Barbarin. Ce dernier lui assure qu’il va prendre des mesures à l’encontre de ce prêtre toujours en activité.
Mais Alexandre ne voit rien venir.

En faisant de rapides recherches sur Internet, il constate que le prêtre est toujours en contact avec des enfants en tant que responsable de paroisse à Roanne, dans la Loire.

En juin 2015, il écrit au procureur de la République de Lyon qui ouvre une enquête préliminaire.
Pour anticiper la sortie de cette affaire dans la presse, le diocèse de Lyon publie un communiqué de presse le 23 octobre. Même si le texte reste très évasif, la démarche est inhabituelle.
Le communiqué du diocèse a pour effet de multiplier les articles sur le sujet.

Au bas d’un de ces articles publiés sur Internet, sur le site de Tribune de Lyon, un ancien scout, François Devaux, aujourd’hui âgé de 36 ans. Il laisse un commentaire expliquant qu’il est lui aussi une victime du père Bernard Preynat.

Au début du mois de décembre, Bertrand Virieux tombe sur le commentaire. Les deux prennent contact.

C’est le début d’un sprint médiatique.


« Le bras armé du capitaine de police »

Problème pour ces victimes, la plupart des faits sont prescrits. Il faut donc recueillir d’autres faits qui ne tombent pas sous le coup de la prescription de 20 ans qui limite les poursuites à des faits pour lesquels une plainte a été déposée avant les 38 ans de la victime.

Bertrand Virieux explique :

« On s’est dit qu’on allait être le bras armé du capitaine de police. Comme on est dans le cadre d’une enquête préliminaire, la police a peu de moyen. S’il ne peut pas se déplacer, il peut recevoir des victimes. On va lui en envoyer à son bureau ! »

Pour encourager les victimes à témoigner Bertrand et François créent un site Internet très bien conçu, où ils mettent en ligne des témoignages, à commencer par le leur.

Même s’ils sont édulcorés, ces textes sont à la limite du soutenable. Bertrand Virieux :

« Il fallait qu’on assume. Même si ça n’a pas plus à tout le monde, c’était notre seul manière de faire en sorte que l’affaire ne soit pas classée sans suite ».

Capture d’écran du site Internet « La Parole Libérée »

Le site est lancé fin décembre en même temps que le dépôt des statut de l’association. Après quelques jours de conception et, surtout, de nombreux appels téléphoniques pour retrouver des anciens scouts, les premiers témoignages sont mis en ligne ainsi que des documents qui crédibilisent la démarche de l’association.

On peut retrouver notamment les aveux du prêtre. Il s’agit d’une lettre écrite par le père Preynat aux parents de François Devaux en 1991 :

« Lundi je suis allé chez le Cardinal Decourtray, à sa demande, et il m’a lu la lettre que vous lui avez envoyée à mon sujet. Que vous demandiez mon départ rapide de Saint Luc et que je ne sois plus responsable d’enfants. Je le comprends très bien et vous savez que je n’ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi aussi une blessure dans mon coeur de prêtre ».


Un coup médiatique réussi

François, Bertrand et les autres fondateurs de l’association se lancent dans une course contre la montre.

« Le capitaine de police nous avait donné jusqu’à février. Sans faits non prescrits, l’enquête serait classée sans suite par le procureur de la République ».

La poignée de victimes fondatrices de l’association devient auxiliaire de police en alimentant le site et le compte Twitter à la recherche d’autres anciens scouts.

Pour se faire connaître, ils organisent le 12 janvier dernier une conférence de presse au club de la presse de Lyon.

Les retombées sont d’importance. C’est simple, on les retrouve partout dans les médias.

On retrouve l’association dans l’émission Sept à huit de TF1.

Ils passent en direct sur Europe 1 mais aussi chez Jean-Jacques Bourdin, sur RMC/BFMTV.

La liste des sujets sur l’affaire du père Preynat est longue et fait l’objet d’une page qui s’actualise tous les jours.

Un premier pari est, pour eux, en passe d’être réussi. Une information judiciaire a été ouverte, basée sur une trentaine de témoignages, affirment-ils. quatre seulement concernent des faits non prescrits.
C’est le cas du président de l’association François Devaux. Pour lui, les faits remontent à 1990.


Le diocèse de Lyon dans le viseur

Très habile dans le maniement de la com’, comme on l’a vu lors de la visite du Cardinal Barbarin en Irak ou pour le pèlerinage de Lourdes, le diocèse de Lyon s’est fait dépasser par les événements et surtout la masse d’informations contenues sur le site de « La parole libérée ».

Toujours en mode communication de crise, le diocèse a pondu un texte suite à la conférence de presse de l’association :

« A ce jour, il est impossible de connaître précisément les éléments dont disposait Mgr Decourtray (décédé en septembre 1994, ancien évêque de Lyon, ndlr) au moment où il a décidé de suspendre la mission de ce prêtre, avant de lui confier une nouvelle charge pastorale quelques mois plus tard. »

S’agissant du cardinal Barbarin, « il a reçu les premiers témoignages au sujet de ce prêtre à l’été 2014 » :

« Il a donc demandé que soit conduite une enquête, avant de prendre l’avis de la congrégation pour la doctrine de la foi. C’est à l’issue de cette enquête et de cet avis, et quoique les faits reprochés soient anciens, qu’il a décidé de lui retirer toute forme de ministère au 18 mai 2015. »

« Faux », répondent les membres de l’association :

« Le père Preynat est resté tout l’été à Roanne. Pour une urgence, on fait mieux ».

C’est encore les traces laissées sur Internet par la presse locale qui sont convoquées.
Le Pays Roannais évoque cette fin de carrière : il devait rejoindre Lyon « pour intégrer le Sedif, le service diocésain de la formation ». Cela ne ressemble pas vraiment une sanction.

Capture d’écran du Pays Roannais.

Bertrand Virieux, le secrétaire de l’association :

« On ne fait pas de procès d’intention mais les déclarations du diocèse sont contradictoires. On se pose des questions. Ce n’est par exemple pas acceptable de l’avoir laissé jusqu’en août. Il y avait encore des enfants à son contact ! »

L’association accuse le diocèse de non-dénonciation d’actes pédophiles. Les victimes lyonnaises font le parallèle avec l’évêque Pican condamné en 2001 pour avoir couvert son abbé.

François Devaux et Bertrand Virieux se définissent comme « lanceurs d’alerte ».

« On n’a rien contre l’église. Certains dans l’association sont restés catholiques, d’autres non. On veut faire bouger les lignes pour que jamais plus cela ne se reproduise dans l’église. On veut mettre en avant une sorte de conspiration du silence dans l’église. La pédophilie est un cancer. Ça ne doit plus se reproduire. »


« Il ne faut pas regarder les événements du passé avec notre regard de 2016 »

Alors que les victimes ont créé un site Internet alimentés de documents tous plus accablants les uns que les autres, le diocèse de Lyon est dans une communication de crise a minima.

C’est une retraitée, ancienne responsable de l’œcuménisme qui a été envoyée au front. En charge du dossier, Régine Maire passe son temps depuis le début de l’année à répondre aux journalistes.

Elle rejette les accusations de « non-dénonciation » formulées par l’association « La Parole Libérée ». Elle excuse le cardinal Decourtray qui a simplement « déplacé » pendant six mois le curé après une lettre des parents de François Devaux :

« Il ne faut pas regarder les événements de 1991 avec notre regard de 2016. A l’époque, c’était l’omerta. Si cela se produisait aujourd’hui, avec les consignes du pape François, décision aurait été prise de dénoncer les faits auprès des autorités ».

Pour elle, quand le père Preynat dit, dans ses aveux faits à la police et au juge, que « sa hiérarchie était au courant », il veut parler de sa hiérarchie de 1991. S’agissant de la direction actuelle du diocèse, Régine Maire réaffirme que le cardinal Barbarin n’a pas été mise au courant avant l’été 2014, ni aucun autre membre de la hiérarchie de l’église catholique à Lyon.

Mais elle comprend la colère des victimes qui ont constaté que le père Preynat est resté en fonction jusqu’en août 2015 alors que le diocèse avait annoncé dans un communiqué qu’il avait été révoqué en mai.

« Au crédit du cardinal Barbarin, il a lancé une enquête dès qu’il a su ».

 


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