C’est l’éternelle question : comment surveiller les surveillants dans le cadre d’un état d’exception qui restreint les libertés ?
Après des initiatives comme celles du journal Le Monde, un « Observatoire des dérives de l’état d’urgence » est lancé par la Ligue des droits de l’Homme (LDH) dans le Rhône, ce mardi.
A l’image d’autres sections de la LDH en France, le nouveau président de la fédération du Rhône (élu en décembre dernier), Patrick Canin, entend dénoncer « tous les abus » liés à cet état d’urgence :
« Un état d’exception peut être acceptable dans les premiers jours. Mais ensuite, sur la durée, ce n’est pas acceptable ».
450 perquisitions dans la région et zéro procédure antiterroriste
Patrick Canin, par ailleurs maître de conférence en droit privé à l’université Pierre Mendes-France de Grenoble, s’appuie sur les récents chiffres rendus publics par le président de la République et, localement, par le préfet du Rhône.
Le 7 janvier, François Hollande a justifié, une fois de plus, la nécessité de l’état d’urgence en expliquant que « les perquisitions administratives qui ont mis au jour vingt-cinq infractions en lien direct avec le terrorisme ».
Mais selon le parquet de Paris (qui centralise les dossiers terroristes), cité par Le Monde, seules 4 procédures issues des perquisitions administratives sont entre les mains de sa section antiterroriste. Les 21 infractions restantes concernent le délit d’apologie du terrorisme.
Pour la nouvelle région, le préfet a rendu public des chiffres de deux mois d’état d’urgence. Si le nombre de personnes qui font l’objet d’une fiche S et le nombre de Rhodaniens présents en Syrie n’ont pas bougé depuis sa dernière communication, le préfet a divulgué quelques chiffres actualisés pour Auvergne-Rhône-Alpes :
- Assignations à résidence : 33 dont 10 dans le Rhône
- Perquisitions administratives : 450 dont 103 dans le Rhône
- Interpellations suite à des perquisitions administratives : 90 dont 32 dans le Rhône
Trafic d’armes et de stupéfiants
Selon le parquet de Paris contacté par Rue89Lyon, les 4 procédures antiterroristes engagées en France après des perquisitions administratives ne concernent pas les perquisitions de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
En d’autres termes, dans la région, le parquet a apporté des suites à des perquisitions administratives mais jamais pour des affaires de terrorisme.
Selon le préfet, ces suites judiciaires ont concerné des trafics d’armes (127 armes ont été saisies à ce jour) et de stupéfiants.
Mais les procédures peuvent s’avérer fragiles. A Grenoble, trois personnes poursuivies pour du trafic de shit viennent d’être relaxées. C’est la question de la rédaction de l’arrêté de perquisition administrative qui a été soulevée.
A Lyon, la dernière intervention médiatisée des unités de police antiterroristes s’est déroulée à Vaulx-en-Velin le 5 janvier dans le cadre d’une enquête préliminaire ouverte par le parquet de Paris. Rien à voir avec une perquisition administrative.
« Détournements de procédure »
Pour le président de la Ligue des droits de l’Homme du Rhône, on assiste à un « véritable détournement de procédure » :
« On utilise une procédure pour autre chose que pour lutter contre le terrorisme. Ces perquisitions administratives sont pratiques pour les policiers notamment pour lutter contre le trafic de drogues mais posent problèmes pour les libertés publiques. D’autant que les tribunaux administratifs n’exercent pas un contrôle suffisant. Cela nous confirme aussi que les dispositions de l’état d’urgence sont inutiles en matière de lutte antiterroriste. »
Afin de « dénoncer ces abus » en matière de perquisition ou d’assignation à résidence, l’Observatoire entend travailler sur des cas précis. Trois dossiers seraient aujourd’hui à l’étude.
« Notre but est de recenser tous les abus. Pour chaque cas, une instruction sera menée par des juristes (avocats et/ou magistrats). Au terme de cette instruction, nous rendrons compte de ces dérives ».
Parmi les premiers à avoir répondu à l’appel de la LDH, le Syndicat des avocats de France (SAF). Pour le président de la section de Lyon, Thomas Fourrey, cet « observatoire » présente un double intérêt :
« Pour l’instant, nous avons très peu de retour sur les procédures judiciaires ou les recours engagés. Cet observatoire va donc nous permettre de rassembler des infos. Et maintenant que l’état d’urgence est installé dans la durée, notre démarche peut également inciter les personnes assignées à résidence ou dont le domicile a été perquisitionné à se défendre ».
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