Au moment de mettre le point final à son texte, ce n’est plus le cas.
Triste concours de circonstance. Non, ce papier n’est pas une nécrologie ; il est une discussion ouverte sur l’importance directe et indirecte d’un homme sur d’autres hommes, sur l’impact d’un génie bien au-delà des supposées limites de sa portée culturelle.
Comment la carrière de David Bowie a influencé le rap ? David Bowie a-t-il influencé Public Enemy ?
David Bowie a-t-il ouvert la voie à des artistes tels que Kanye West ? On se penche sur ce que le musicien aux yeux vairons a apporté au hip-hop.
Et vice-versa : Blackstar, le 27e album de David Bowie, a été influencé par l’album de Kendrick Lamar To Pimp A Butterfly.
Son producteur Tony Visconti (complice de Bowie depuis 40 ans) explique à Rolling Stone en novembre que l’album a pris naissance, suite à de premiers enregistrements, sous l’influence de l’oeuvre de Kendrick :
« On écoutait beaucoup de Kendrick Lamar. On a fini avec quelque chose qui n’a rien à voir, mais ce qu’on aimait c’est le fait que Kendrick soit aussi ouvert d’esprit et n’ait pas enregistré un disque purement hip-hop. Il a envoyé de tout dedans, et c’est exactement ce que nous souhaitions faire. Le but, de nombreuses manières, c’était d’éviter le rock & roll. »
Un album de David Bowie, c’est toujours un évènement dans le monde de la musique. Déclarer publiquement que c’est un artiste hip-hop qui a influencé le concept de Blackstar, c’est une première pour un artiste de l’envergure de Bowie.
Effet Boomerang ? Juste retour des choses ? Bien que la trace dans le rap de ce grand artiste, qui a su transgresser tous les codes, ne saute pas aux yeux, l’influence de David Bowie sur le mouvement n’est pas à négliger. David Bowie : une inépuisable source d’inspiration pour le hip-hop ?
Samplé sans vergogne
La musique de David Bowie a fourni une multitude de samples aux morceaux de rap. De « Under Pressure » qu’il a enregistré avec Queen, utilisé par Vanilla Ice pour son tube populaire, en passant par« Let’s Dance » récupéré par Puff Daddy et Notorious BIG pour leurs morceaux « Been Around The World », jusqu’à « The Take Over » de Jay Z utilisant un sample de « Fame« , morceau de Bowie de 1975, ou J Dilla se servant des percussions de « Soul Love » pour « Take Notice » issu de son légendaire Ruff Draft : l’influence du musicien britannique sur le rap est partout.
Il n’y a qu’à regarder cette liste « reddit » pour en juger ; Bowie transcende les clivages. Différentes générations de beatmakers/rappeurs, différentes écoles : la musique du rouquin inspire l’ensemble du mouvement. Il est clairement cité par les rappeurs comme l’un des musiciens les plus influents de son temps.
En 2000, le sondage « Under Influence » conduit par la revue « New Musical Express » auprès de créateurs divers fait de David Bowie l’artiste le plus influent.
Parmi les rappeurs interrogés : Eminem ou… Public Enemy.
Macklemore fait également partie de ces MC qui ont toujours cité l’artiste britannique parmi leurs références. À ses débuts, le emcee de Seattle s’est même fait appelé Raven Bowie.
Pas étonnant alors que le clip pour son morceau « And We Danced » reprenne les éléments visuels du film Labyrinthe – le titre du track n’est d’ailleurs pas sans rappeler « Let’s Dance » de Bowie.
Dans ce film fantastique de 1986, dirigé par le réalisateur de Dark Crystal et créateur des muppets Jim Henson, Bowie interprète un roi gobelin. Macklemore fait visiblement partie de la génération de gosses marqués par le long-métrage.
Kanye West, le « Ziggy Stardust du hip hop »
L’album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders From Mars sorti par David Bowie en 1972 – classé dans la liste des meilleurs albums de tous les temps par différents magazines – est un conte musical. Un album au concept farfelu autant qu’habile qui a donné à l’artiste une excuse pour parler de bisexualité et utilisation de drogues au travers de l’histoire d’une rock star et de sa chute.
Il ne reste que cinq ans d’existence à la planète Terre et Ziggy Stardust, venu d’une autre planète, se présente aux humains avec un message pour les guider dans la fin des temps.
Si tout le monde s’accorde à dire que les années 70 sont une mine d’or pour la musique, il faut rappeler qu’incarner un alien bisexuel et addict, dans la Grande Bretagne qui amènera Margaret Thatcher au pouvoir quelques années plus tard, ce n’était quand même pas rien.
Une provocation, une rébellion qu’on retrouve dans le mouvement hip-hop depuis ses premiers balbutiements. The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders From Mars n’est ainsi pas un déclencheur pour les envies contestataires des rappeurs, loin de là, mais il fait clairement office de pont entre deux cultures qui se trouvent des points communs, comme c’est le cas avec de nombreux autres albums de légende.
« Avec la musique noire, il y un argument social très fort » pour Bowie
Très tôt, David Bowie a reconnu l’ampleur du mouvement hip hop. Dans un entretien enregistré en 1993 (à voir ci-après), lorsqu’il est interrogé sur une déclaration précédente dans laquelle il avançait que « les seules personnes dans l’industrie de la musique qui sont réellement créatifs sont les rappeurs ».
David Bowie ajoute :
« La qualité et la portée du message social s’est vraiment déplacé vers les marchés noirs et hispaniques. Et c’est de là que vient la nouvelle force de la musique. Avec la musique noire, il y un argument social très fort. »
Parfois, l’influence du chanteur est encore plus directe : en 2007, Saul Williams appelle son 3e album The Inevitable Rise and Liberation of NiggyTardust !.
Moins directement mais de manière peut-être plus évidente encore, c’est dans l’inconscient d’un artiste comme Kanye West que l’image de Ziggy Stardust s’inscrit le plus profondément.
Par ailleurs, si Kanye West nous a convaincu de quelque chose, à l’instar de David Bowie, c’est sa capacité à se renouveler, à surprendre avec des directions inattendues, parfois incomprises par son public.
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