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Tarantino se paie huit salopards pour un nouveau western

Des chasseurs de primes et leur prisonnière pris en étau entre le blizzard et de potentiels agresseurs dans une baraque de fortune. Près de trois heures de palabres sanglantes rythmées par les notes de Morricone. Ça aurait pu tourner au théâtre filmé ; c’est du pur cinéma à grand spectacle. Tarantino se bonifie avec le temps. Et les westerns.

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Tarantino se paie huit salopards pour un nouveau western

De par sa connaissance monstrueuse du cinéma et son admiration pour Howard Hawks, Tarantino devait s’y attendre : lorsque l’on commence à s’immiscer dans l’univers du western, s’en extraire n’a rien d’une sinécure. Une question d’adhérence (celle du sang frais et visqueux aux bottes ?) ou d’adhésion intime à sa logique dramaturgique parfaite et épurée.

Car l’Ouest n’est pas un monde sans foi ni loi. Connaissant des règles absolues et définitives, il séduit par sa radicalité claire, impitoyable, ne souffrant pas la moindre circonstance atténuante. L’Histoire américaine s’y est écrite, forgée à partir de mythes (con)fédérateurs.

Depuis, nombreux sont les auteurs et cinéastes à être venus puiser dans cet immense territoire narratif, cet idéal de liberté faisant figure de paradis perdu et abstraction du rigorisme moral contemporain — tel Tarantino. Vous ne trouverez donc pas de minauderies hypocrites dans Les Huit salopards, ni de révisionnisme des comportements d’époque pour éviter de heurter nos ligues de vertu d’aujourd’hui.

Puisque l’histoire se déroule après la Guerre de Sécession, ça fume, ça boit, ça jure, ça donne du «nigger», ça avoine les femmes comme les hommes. Et ça tue. Froidement. Ce que l’on cache sous le tapis, le refoulé de l’Amérique héroïque, ressurgit en rouge vif.

Ce cadre sans tabou est un champ idéal pour animer des figures épiques et des villains plus qu’abominables. Mais aussi pour cultiver des symboliques personnelles (en insistant avec malice jusque dans le générique sur le 8, pareil à la bille noire du billard marquée du fatidique chiffre) ou relever des défis techniques.

Par exemple, s’offrir le parangon de l’image argentique en tournant, chose inédite depuis les années 1970, en 70mm Ultra Panavision 2.76 — un format peu habituel pour des scènes d’intérieur et de rares extérieurs enneigés, et cependant attaché à l’image «bigger than life» du western.

Le (re-)nouveau western

On objectera que QT n’a pas attendu Django Unchained (2013) pour signer des westerns : d’une certaine manière, depuis Reservoir Dogs (1991), son œuvre entière est constituée de variations ou de transpositions sur ce thème, décalées dans le contexte du polar ou du film de genre. S’il se garde ici d’appliquer servilement tous les codes attendus, il se montre très respectueux de ce qui constitue pour lui sa forme originelle (Hawks, Leone et Corbucci) en se refusant de l’hybrider violemment à d’autres ambiances, comme il se plaît à le faire ordinairement — même la séquence whodunit qu’il s’octroie s’intègre sagement dans l’intrigue.

Un privilège qui en amène un autre : l’accord d’Ennio Morricone, sollicité pour une partition originale. Coiffé du Stetson de westerner, Tarantino ne fait plus “le malin” accumulant d’improbables citations érudites. Il s’est trouvé, s’est recentré — jamais trop tard pour bien faire. Fini l’épate punky-funky : dans Les Huit salopards, son attention semble toute entière portée sur la construction dramatique et les problèmes de réalisation pure posés par un quasi huis clos, catalyseur majuscule du western canonique.

Les héros sont ici pris au piège dans un espace réduit, comme dans Rio Bravo (1959) et ses nombreux dérivés (dont Assaut de Carpenter). La menace est à la fois extérieure — le froid du blizzard — et intérieure — des commensaux qui ne sont pas ce qu’ils prétendent être —, ce qui n’est pas sans évoquer… The Thing (1982) de Carpenter, adapté par le même Hawks au début des années cinquante.

On reste en terrain connu ; mais paradoxalement QT réalise grâce à cela quelque chose de totalement neuf.

L’aversion longue ?

Il fut un temps, pas si lointain, où Tarantino proclamait que «le cinéma [était sa] religion et la France [son] Vatican». Des mots prononcés à l’occasion de la remise en 2013 de son Prix Lumière dans la ville de Lyon — qui, si l’on extrapole sa pensée, devenait l’équivalent de la chapelle Sixtine ; la région Rhône-Alpes se transformant en basilique Saint-Pierre du 7e art.

Que dirait le fidèle paroissien du sort réservé à son lieu de culte vénéré, privé de messe… c’est-à-dire négligé par la «tournée nationale d’avant-premières» des Huit salopards qui s’est déroulée durant les fêtes ? Une tournée de projections de la version de prestige de 3h07, présentant un préambule musical, un entracte et surtout la particularité d’être effectuée au format 70mm Ultra Panavision 2.76 — celui du tournage, donc conforme aux souhaits du réalisateur.

Las ! Seules cinq salles commerciales en France semblaient disposer du matériel adéquat/de l’envie/du public/de l’autorisation du distributeur (biffez la proposition superflue) pour organiser ces séances. Tant mieux pour les spectateurs de Lomme, Elbeuf, Rochefort, Aix-en-Provence et accessoirement Paris (où le film dispose de toutes façons d’une salle permanente en 70mm) et à leurs dynamiques exploitants — l’un d’entre eux est d’ailleurs le Président de la Fédération Nationale des Cinémas Français — et dommage pour les publics de Lyon, Grenoble et Saint-Étienne qui ont fait pénitence.

Même cinématographique, une religion demeure soumise aux caprices du clergé et aux trahisons des apôtres.

Les Huit salopards
De Quentin Tarantino (ÉU, 2h47/3h07) avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh…

Par Vincent Raymond sur petit-bulletin.fr.

 


#Cinéma

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