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Yann Frisch, champion du monde de magie, à Lyon : « On ne peut pas croire un clown »

Sacré champion du monde de magie avec un numéro qui a fait le tour du web et des télés, le prodigieux Yann Frisch, 25 ans, truste désormais les théâtres avec « Le Syndrome de Cassandre ».

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Yann Frisch, Crédit Photo : Sylvain Frappat

Un seul-en-scène métaphysique troublant de noirceur qu’il présente aux Subsistances.

Yann Frisch, Le syndrome de Cassandre, © Sylvain Frappat

Petit Bulletin : Comment avez-vous découvert la magie et le cirque ?

Yann Frisch : Cela s’est fait plus ou moins en même temps. J’ai d’abord commencé par découvrir le jonglage, une première passion quand j’avais 9 ans. La magie est arrivée quand j’en avais 10-11. J’ai ensuite pratiqué ces deux disciplines sur mon temps libre : la magie de façon un peu autodidacte, avec des bouquins, et le jonglage et le cirque via une école de cirque municipale, près de chez moi au Mans. Je faisais régulièrement des présentations publiques, je participais à des festivals.

Vers 16-17 ans, à l’âge où se pose la question de savoir ce qu’on veut faire dans la vie, je me suis rendu compte que je voulais faire du spectacle. Je suis parti faire une formation de cirque préparatoire à Lyon, à Ménival, sachant que je me sentais plus proche de ce que je voyais en nouveau cirque qu’en magie.

C’est à Lyon notamment que j’ai découvert le clown, avec Christophe Guétat qui a été très important pour la suite. Quelque chose s’est déclenché. Puis j’ai intégré l’école du cirque de Toulouse, le Lido.

Vous parlez du nouveau cirque, qui s’est libéré des codes traditionnels du cirque sur piste. Vous-mêmes faites un grand écart assez rare, en vous produisant aussi bien au Plus grand cabaret du monde qu’aux Subsistances…

Oui, car en réalité, je viens de là aussi. J’aime bien le beau music-hall, les beaux numéros de clowns. Par exemple, une de mes petites fiertés avec « Baltass«  [le numéro qui lui a valu ses titres, vu plus de 400 000 fois sur Youtube, NdlR] est qu’au moment où il a commencé à buzzer sur Internet, dans la même semaine j’avais des propositions de scènes nationales et du Crazy Horse. Cette forme-là de magie séduit des réseaux et des milieux très différents. C’est quand même une petite réussite, d’autant que ce n’était pas une intention de départ.


Yann Frisch – Baltass à « Vivement Dimanche » par Spi0n

Peut-être est-ce parce que la magie est l’un des derniers arts populaires qui s’adresse à tout le monde…
Maintenant, beaucoup d’artistes commencent à poser un regard d’auteur sur la magie. Elle devient alors un langage à part entière. Mais il ne faut pas qu’une certaine magie en remplace une autre. Il faut que les choses s’élargissent, s’ouvrent. Je suis absolument convaincu de son potentiel artistique.

Je serai mort avant d’avoir fini d’imaginer tout ce qu’il est possible de faire avec ce qui n’est d’ailleurs pas vraiment une discipline, car la magie n’est pas liée à un artisanat.

C’est plus un concept, car elle peut relever de l’agilité manuelle, de la construction. J’ai pratiqué dix ans de jonglage mais je me suis rendu compte que je n’avais pas grand chose à raconter avec. Je regrettais que dans le cirque, qui contient de nombreux agrès, malgré le fait qu’on essaye d’enlever les codes, il y a toujours une sorte de contrainte à montrer une forme de virtuosité.

Avec la magie, les seules contraintes qu’il faut enlever sont celles qui sont dans notre tête et qui nous empêchent de penser un peu plus loin. Dès lors qu’on ne se situe plus dans le réel tangible, il est infini.

Dans « Le Syndrome de Cassandre », vous incarnez un véritable personnage. Pourquoi l’avoir imaginé si sombre, au point de tout prendre à contre-pied ? Vous avez finalement peu recours à la magie pour incarner ce clown sinistre…

Oui, la magie n’est pas aussi mise en avant que dans « Baltass ». Ce qui est embêtant quand on met des mots sur des choses, c’est que les gens viennent avec des attentes. Et si, dans « Le Syndrome de Cassandre », la magie est hyper importante, elle est aussi relativement discrète. À aucun moment, sauf quand il y a de la parodie, elle n’est montrée. Car elle est censée incarner le réel du clown, sa normalité, différente de la nôtre.

L’idée de base est partie d’une improvisation en clown ; j’étais arrivé sur scène avec une bouteille d’eau et j’avais dit aux gens qu’un incendie se déclenchait en coulisses et qu’il fallait que tout le monde parte en précisant bien que ce n’était pas une blague. Évidemment, personne n’est parti. Et quelqu’un est venu me voir en me disant que personne ne pouvait me croire parce qu’on ne peut pas croire un clown. Non seulement on ne peut pas le croire, mais en plus on n’a pas de doute.

C’est là où ça devient un peu tragique : tant qu’un clown ne se « déclownise » pas, qu’il garde sa voix un peu chelou, sa façon de bouger et ses expressions, il est condamné à être un personnage qu’on ne peut pas croire. Ce n’est pas que le clown n’existe pas, mais il n’existe pas dans notre réalité. À moi de faire que son réel ne soit pas comme le nôtre. C’est pour ça que la magie vient naturellement incarner le fait qu’il ait un rapport à l’imaginaire plus concret que nous.

Je serai mort avant d’avoir fini d’imaginer tout ce qu’il est possible de faire avec ce qui n’est d’ailleurs pas vraiment une discipline, car la magie n’est pas liée à un artisanat. C’est plus un concept, car elle peut relever de l’agilité manuelle, de la construction.

Mais alors pourquoi, à la fin, nous expliquer les tours ? Pour réduire l’écart entre son univers et le nôtre ?

À la fin, il tente de jouer à l’humain car il se rend bien compte que personne ne le croit. Sa dernière tentative est de ressembler à l’homme : saluer, remercier les gens, parler du théâtre, du décor mais, comme il le fait au mauvais endroit, on ne le croit toujours pas. Il explique des choses mais on voit bien que c’est faux. Donc au lieu d’enlever un masque, il remet le sien de façon encore plus caricaturale. Et comme il s’énerve, il devient encore plus clown qu’avant. Sa volonté de se faire passer pour autre chose que lui échoue complètement. Sa nature le rattrape.

À vous entendre, des metteurs en scène de théâtre comme Robert Lepage ou Joël Pommerat pourraient être considérés comme des magiciens, dans leur façon de mouvoir un décor de façon imperceptible…

Oui et non. Il y a deux façons d’utiliser la magie : soit elle est de l’ordre du langage, soit de l’ordre de la mise en scène. On fait ça comme on aurait pu faire autre chose. Quand Mary Poppins arrive en volant, que ce soit de façon invisible ou avec un système à vue, c’est une question de mise en scène. La magie n’est pas le cœur du propos.

Je n’ai pas une grande connaissance de ce que font Pommerat et Lepage, mais j’ai l’impression qu’ils utilisent la magie comme un savoir-faire de construction qui fait que les choses peuvent nous paraître merveilleuses. Ce n’est pas pour autant qu’ils utilisent le langage de la magie. Il ne faut pas oublier que c’est aussi un adjectif. Parfois quelqu’un se met à chanter et on dit que c’est magique, car quelque chose d’impalpable, de mystérieux se produit.

Tant qu’un clown ne se « déclownise » pas, qu’il garde sa voix un peu chelou, sa façon de bouger et ses expressions, il est condamné à être un personnage qu’on ne peut pas croire. Ce n’est pas que le clown n’existe pas, mais il n’existe pas dans notre réalité.

Quelle réaction vous inspirent les propos de Laurent Wauquiez, candidat LR en Auvergne-Rhône-Alpes qui déclare dans son programme, en parlant du chômage, qu’il faudrait «fermer les formations fantaisistes comme celles des métiers du cirque et des marionnettistes…» et «ouvrir des formations débouchant sur des vrais jobs» ?

Je trouve cela complètement honteux et dramatique. C’est le reflet d’une méconnaissance et d’une suffisance. J’accepte que des gens le pensent, mais de là à le défendre publiquement… Cela prouve vraiment qu’il y a un endroit de non-rencontre totale. Je ne pense même pas que l’on puisse raisonner cet homme. Il ne sait pas de quoi il parle et il a un tel mépris que j’ai peur que ce soit compliqué de discuter avec lui.

Le Syndrome de Cassandre du 9 au 12 décembre à 20h, aux Subsistances.

Propos recueillis par Nadja Pobel sur petit-bulletin.fr.


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Photo : LB/Rue89Lyon

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