Ridley Scott est du style à remettre l’ouvrage sur le métier. Obsessionnel et perfectionniste, sans doute insatisfait de ne pas avoir repris à Cameron le leadership sur la SF spatiale avec Prometheus (2012) – qui ressuscitait les mannes (toujours très vivaces) d’Alien en lui offrant une manière de préquelle – le cinéaste semble cette fois avoir voulu en remontrer à Cuarón et Nolan, les nouveaux barons du genre.
Deux auteurs qui, comble de l’impudence, lui avaient emprunté (l’un dans Gravity, l’autre dans Interstellar) son approche réaliste des séjours cosmiques, très éloignée du traitement ludique propre au space opera. Et qui fait de l’espace un contexte original dans lequel s’instaurent des événements générateurs de tension, d’un suspense – et non une fin en soi.
Cette rivalité implicite (on pourrait parler d’émulation) entre cinéastes, rappelant la course à la Lune entre les grandes puissances de la Guerre froide – chacune rivalisant de conquêtes et d’annonces narquoises pour affirmer sa suprématie – ne s’effectue pas dans la surenchère, décidément trop tape-à-l’œil. Mais au contraire dans la sobriété, le minimalisme, le plus subtil des territoires. Le plus intérieur, aussi : l’introspection, au milieu de l’infiniment grand. Scott se lance donc lui aussi dans cette direction. Ce qui n’ôte rien à son art du spectaculaire.
Houston, j’ai raté la navette
Dans les trois petits mots de son titre français, Seul sur Mars résume son pitch – la version originale, The Martian, se montre un tantinet plus poétique, convoquant l’imagerie du Martien « de naissance » extraterrestre. La gageure pour Scott consiste à rendre palpitante, vivante, originale cette histoire.
En l’occurrence, la découverte par l’infortuné astronaute Mark Watney de son abandon sur Mars par ses camarades d’expédition, qui l’ont laissé pour mort. Sans moyen de communication, avec un stock de vivres restreint et des chances de survie aléatoires dans un milieu plus qu’hostile, le miraculé nargue pourtant les statistiques. Car il dispose d’un atout de taille sur cette terre infertile : il est botaniste.
Voilà déjà une bifurcation intéressante par rapport aux survivals traditionnels, où il est en général question de chasseurs et de chassés, donc d’instinct prédateur et carnassier ; de défense violente contre un agresseur. Ici, le salut de Mark dépend de ses connaissances agronomiques : un autre que lui, même supérieurement doué en technologie, n’aurait pu survivre. On trouve un point de convergence avec La guerre des mondes : un vivant terrestre inattendu — le végétal remplaçant ici les microbes — permet à l’Homme de triompher de l’agresseur martien. Joli pied-de-nez à l’Homo technologicus.
Mais Scott ne se borne pas à filmer Watney tel un Robinson de l’espace, fumant ses pommes de terre avec ses excréments et soliloquant comme Santiago, le pêcheur du Viel Homme et la Mer d’Hemingway ; il en fait un aventurier déjouant par la réflexion les multiples chausse-trapes surgissant au fil des « Sols » (les jours martiens). Il n’y a que l’intelligence à opposer à l’hostilité minérale pour lutter contre le temps.
Mars ou crève
On est loin de cette « Solitude » sur la Terre — qui occupe une part non négligeable du film, puisque Scott suit comme un thriller politique, dans l’esprit de son Mensonges d’État (2008), la gestion de crise par la NASA : l’évaluation par les autorités, en terme d’impact économique, mais aussi d’image, d’une (ou plusieurs) opérations de sauvetage. Montrant au passage quelles difficultés une grande agence gouvernementale pourrait rencontrer si elle s’aventurait à travestir des faits : le degré de surveillance planétaire (voire interplanétaire) est désormais tel que toute information occultée finit par être révélée — discréditant davantage par contrecoup ceux qui avaient tenté de la soustraire à la connaissance du public.
Or, même Mars n’échappe plus à la vidéosurveillance…
Quant à la psychologie, son traitement est des plus intéressants. Là encore, la force physique ou hiérarchique à distance se trouve inopérante sur les équipiers de Mark, perdus dans l’espace entre Mars et la Terre. Les ordres de leurs supérieurs ont un impact nul sur leurs décisions, tant grand est leur sentiment de culpabilité. C’est donc par un biais psychologique que peut être manipulé cet équipage…
Seul sur Mars est du genre à captiver pendant 2 heures. Alors, lorsque surviennent les signes annonciateurs du happy end — il ne s’agit pas d’un spoiler : vous connaissez beaucoup de grosses productions hollywoodiennes se concluant par un échec, et vouant de fait les spectateurs au pessimisme ? — on s’ennuie un peu. On sait qu’on va assister à la mise en œuvre opérationnelle de la technique de sauvetage ultime, et que plus aucun accroc majeur n’entravera l’expédition (pas comme dans Mission to Mars de De Palma) ; il faut donc attendre l’issue heureuse, avec fatalité. On se consolera en se disant qu’en terme de finale, c’est visuellement somptueux, et surtout bien meilleur que les grotesques contorsions caoutchouteuses de Schwarzenegger dépressurisé sur le sol martien, en clôture de Total Recall…
Seul sur Mars
De Ridley Scott (ÉU, 2h14) avec Matt Damon, Jessica Chastain, Kate Mara…
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Par Vincent Raymond sur petit-bulletin.fr.
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