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Festival Lumière 2015 : Scorsese, un cinéphile à Lyon

Le Crime était presque parfait

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Festival Lumière 2015 : Scorsese, un cinéphile à Lyon

Proposer à un amateur de cinéma de faire escale au festival Lumière, c’est comme donner à un bec sucré l’opportunité de passer la nuit dans une pâtisserie. Et quand Martin Scorsese s’infiltre aux fourneaux, comment résister à la tentation de goûter à tous les délices qu’il se propose de servir ?

Martin Scorsese and Robert de Niro sur le tournage de Taxi Driver (1976).

Martin Scorsese est parmi nous. Sur les murs, les abribus, les vitrines et surtout, dans les esprits. D’aucuns attribuent sa venue en terres lyonnaises à la proximité de l’hommage que lui consacre la Cinémathèque française (dès le 14 octobre). On mettra volontiers cette conjonction sur le compte du hasard : même s’il ne fait pas son âge, Scorsese est désormais entré dans une période de sa vie où se succèdent les honneurs et les life achievements.

Lui qui, pendant des lustres, a attendu qu’on lui remette son Oscar (c’était en 2007), parcourt aujourd’hui la planète de musées en célébrations — le MoMa de New York achève en ce moment même une exposition-rétrospective présentant une partie de sa collection personnelle d’affiches.

Cela, bien évidemment, sans que Marty ne cesse de tourner. Ni de voir des films : s’il exerce depuis près d’un demi-siècle son métier de cinéaste, il n’a certes pas abandonné sa carrière de cinéphile, engagée une quinzaine d’années plus tôt.

Un comble pour cet homme qui a renoncé à la prêtrise : Scorsese semble entré en cinéphilie comme on entre en religion, avec la foi d’un apôtre, et l’exaltation d’un évangélisateur.

Qu’est-ce que la cinéphilie ?

Passion communicative ou claquemurante, la cinéphilie possède, il faut le dire, bien des visages… Y compris celui d’une merveilleuse névrose collective, dont le festival Lumière peut s’enorgueillir d’accentuer les symptômes. À chacune de ses éditions, il nous renvoie à cette question paradoxalement jubilatoire et térébrante : est-on un assez suffisamment « bon spectateur » ; à quel degré dans l’échelle de la cinéphilie se situe-t-on ?

Si l’on en croit l’adage, lorsque l’on se compare à nos voisins de fauteuil, il faut soit se lamenter, soit se consoler. Mais si d’aventure l’on se mesurait à certains des invités du festival, et notamment à des mètres-étalons tels que Bertrand Tavernier, on en serait réduit à pleurer des larmes de sang tant ces « superspectateurs » défient les règles, les normes humaines : non seulement ils ont tout vu (au moins une fois), mais leur encéphale a tout enregistré, jusqu’au moindre sous-détail.

Par bonheur, leur amour du cinéma, ogresque et compulsif, ne se concevant pas sans partage ni transmission, ils programment des films qui les ont modelés, des films qui leur ressemblent ou qui ressemblent à leur conception du cinéma. Ainsi, au sein de sa section « Voyage dans le cinéma français », Tavernier révèle l’éclectisme généreux de ses goûts, mêlant raretés d’importance et légères avec le même enthousiasme.

Tarantino il y a deux ans, se montrant en cela fidèle à son image d’obsessionnel, voire de fétichiste pervers, s’était ingénié à projeter des films invisibles ou non-vus — comme ceux de Leonyde Moguy, dont personne à part Tavernier (évidemment) n’avait eu connaissance. Parce que son hôte dispose du merveilleux pouvoir de composer sa Carte blanche, le Festival reflète donc, à travers sa cinéphilie, un peu de la personnalité du Prix Lumière. À quoi ressemble celle de Mister Scorsese ?

Le choix du roi

Que sa sélection a dû être rude ! Le vaste corpus qui en résulte — 17 films — rend compte de l’immensité de sa curiosité, et explique en partie son savoir encyclopédique. Embrassant quasiment un siècle de cinéma, ces longs métrages proviennent du monde entier, sans tropisme exagéré pour la production occidentale.

En parcourant la liste, on devine qu’elle a été composée pour satisfaire à la fois les néophytes sans les effrayer (quelques noms connus affleurent ici ou là) comme les vieux briscards du 7e art, toujours ravis de revoir un classique ou de découvrir quelque inédit. On la découvre surtout exempte d’évidence.

Ainsi, (1954) d’Alfred Hitchcock est-il présenté dans sa fameuse version 3D — histoire de montrer au passage qu’Avatar n’a rien inventé en terme de spectacle à suspense immersif.

Évidemment figure Colonel Blimp (1943), film de chevet de Scorsese par le duo Powell & Pressburger, qui définit le genre épique pour le cinéma couleur avant David Lean.

Ou Le Grondement de la montagne (1954) de Mikio Naruse, moins convoqué que Ozu, mais tout aussi prompt à décrire la retenue empruntée ou la sensibilité contenue des êtres — un peu comme chez Wharton.

Comment ne pas comprendre son admiration pour le Lucky Luciano (1973) de Rosi, ni voir en filigrane dans quelle mesure cette chronique l’a indirectement nourri pour ses propres réalisations ?

Diversité des formes, des styles et des thématiques, qui place à égale distance du regard Yeleen (1987) de Souleymane Cissé et La Terre (1930) de Dovjenko, soit deux manières très différentes de considérer l’Homme face à son espace, face à lui-même.

À ces 17 films, il convient d’ajouter une sélection de 5 œuvres restaurées par la Film Foundation’s World Cinema Project, pilotée par Scorsese — parmi celles-ci figurent notamment La Noire de… (1966) d’Ousmane Sembène ainsi que Insiang (1976), le plus célèbre film philippin, signé Lino Brocka.

Car la cinéphilie ne considère pas la frontière comme un obstacle ou une entrave, au contraire ; la cinéphilie est un territoire. La cinéphilie est un langage.

Du lundi 12 au dimanche 18 octobre. Retrouvez toute la programmation du festival : Festival Lumière

Par Vincent Raymond, sur petit-bulletin.fr.


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