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« L’agriculture (bio) sera un des premiers utilisateurs de drones »

Dans un salon agricole bio, on s’attend à trouver des outils pour désherber sans pesticide, pour gérer ses sols de façon écologique ou travailler ses vignes naturellement. Mais des robots et des drones pas vraiment.

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Benoît de Solan ingénieur chez Arvalis (à gauche) et Thibaud Leroy de la Chambre d'Agriculture de la Somme. Crédit : BE/Rue89Lyon.

Benoît de Solan ingénieur chez Arvalis (à gauche) et Thibaud Leroy de la Chambre d’Agriculture de la Somme / Photo BE pour Rue89Lyon

Au salon Tech&Bio (à Valence dans la Drôme), à côté du cheval de trait ou d’une sorte de rosalie aménagée pour labourer sa parcelle, on trouve donc un drone calculateur de biomasse ou une robot électrique désherbant de 40 cm pour maraîchers. Le tout au service du bio (mais pas seulement).

Lorsqu’on a fait un tour du salon on ne les remarque pas. Ni cachés ni mis en avant et pas vraiment regroupés. Au milieu des engins et des outils agricoles, le « salon des techniques agricoles bio et alternatives » présente pourtant des machines qui roulent toutes seules entre les rangs de salades. A la place de l’agriculteur ou du concessionnaire agricole, c’est un développeur ou ingénieur robotique qui répond à nos questions de néophyte halluciné.

Manette de Playstation 4 et port USB

C’est le cas au stand de l’entreprise Naïo Technologies, qui présente son petit robot Oz. Petit, ce n’est rien de le dire : il fait 40 cm de large et le double en longueur, monté sur ses quatre roues motrices. Comme ça, il ressemble à un gros camion télécommandé.

Ce robot destiné aux maraîchers permet de désherber les parcelles entre ou dans les rangées des légumes. La version actuellement commercialisée embarque un guidage laser placé à l’avant qui repère les lignes de culture et se dirige dans le couloir entre les plants. La prochaine mouture utilisera un guidage par caméra plus précis. Une fois arrivé en fin de rangée, le robot doit pouvoir effectuer un demi-tour.

La démonstration de l’engin attire les curieux. Un groupe de Monténégrins mais aussi des jeunes, intrigués notamment par une manette de Playstation 4. Le robot est autonome dans la parcelle à travailler. Il faut toutefois le paramétrer au préalable. Nombre de rangées, distance de la rangée, écartement des plants et distance de demi-tour, grâce à une interface minimaliste. Mais en dehors, il est dirigé par télécommande, en bluetooth.

« Pour l’instant on fait avec une manette de Playstation 4 pour la démonstration, mais la nouvelle télécommande avec laquelle il sera équipée l’an prochain aura une plus grande portée et intégrera un écran », explique Aymeric ingénieur robotique et cofondateur de Naïo.

Télécommande de Playstation 4 pour guider le robot Oz en dehors de la parcelle / Photo BE pour Rue89Lyon

Une fois le travail terminé, ou s’il rencontre une difficulté, Oz envoie un SMS à l’agriculteur grâce à une simple carte SIM. Sur le côté de l’appareil, un port USB permet d’y connecter une clé pour effectuer les mises à jour.

« Les mises à jour, c’est nous qui les faisons, on assure un suivi de terrain », explique Matthias, ingénieur agronome chez Naïo.

« Mais qui peut se le payer ? »

Le robot se veut une alternative au désherbage manuel particulièrement pénible ou à l’utilisation de produits phytosanitaires. Autrement dit, éviter de se casser le dos ou de balancer du désherbant (même bio). Il est électrique et fonctionne avec des batteries au plomb qui lui assurent une autonomie de deux à trois heures. Avec une vitesse de 2km/h, il peut traiter une parcelle de 1000m2 par heure « selon le type de sol « .

Mais c’est donc l’agriculteur qui s’adapte à lui et pas l’inverse.

« Il faut faire une petite mise à jour de la parcelle pour qu’il fonctionne. Surtout en début et fin de rangée pour qu’il trouve la ligne de culture », explique Aymeric.

Impossible d’utiliser Oz dans une culture en planches (avec trois ou quatre rangées de plants rapprochées) que l’on retrouve dans les plus grosses exploitations. Autre frein possible à son achat, son prix : 20 000 euros l’unité.

Avant qu’on ne la pose, la question jaillit derrière notre épaule :

« Mais qui peut se le payer ? »

Le cofondateur avance ses arguments :

« On a commercialisé une vingtaine de robots. On a vendu à des maraîchers bio ou d’autres qui veulent réduire l’utilisation de phytosanitaires et qui vendent en direct ou en AMAP. Ce qu’il faut voir avec ce robot c’est le temps qu’il dégage pour des petits maraîchers, pour faire d’autres tâches, notamment l’été, période pendant laquelle ils ont tout à faire en même temps. Et dans le bio, le désherbage prend beaucoup de temps. On nous dit souvent que c’est un jouet mais en fait les gens changent d’avis quand d’autres l’ont testé. »

Dégager du temps mais aussi s’éviter le coup de la main-d’oeuvre ? Durant les démonstrations au public, le poids du « coût de la main d’oeuvre élevé en France » est parfois avancé. Dans l’assistance, les visages dodelinent en signe d’acquiescement. Au micro, on modère un peu les propos :

« Le but n’est pas de supprimer des postes. Mais Le robot devient très vite rentable et peut permettre de l’embauche à d’autres postes que celui des saisonniers », avance-t-on chez Naïo.

Algorithmes pour robot désherbant

Pour toucher le marché des plus gros maraîchers, éventuellement même conventionnels, la société toulousaine a élaboré, en association avec Carré, un autre robot, plus grand mais au principe semblable. Anatis assure les mêmes fonctions que son petit cousin Oz mais en passant cette fois au-dessus des cultures. Il est donc compatible avec des rangées rapprochées type planches. Il s’agit du premier prototype de ce modèle. Sur l’engin trône encore un PC qui atteste de la phase de test encore en cours.

Robot Anatis, développé par Naïo et Carré, permettant de désherber des cultures en planches, ici des salades, au salon Tech&Bio / Photo BE pour Rue89Lyon

Jean, développeur chez Naïo, explique que tout le système embarqué ou presque a dû être créé sur mesure :

« Ce type de robot n’existe pas encore sur le marché. On a fait fabriquer la carte électronique du robot qui est l’équivalent de la carte mère d’un ordinateur. Le logiciel fonctionne mieux ainsi. Pour le guidage, on a créé un algorithme. L’objectif ici est d’interpréter une scène, faire une fusion de plusieurs données, pour adapter le robot à une situation. »

Ce robot est équipé d’un guidage par caméra qui « permet de voir le relief et la couleur selon les différences de lumière », afin de se  guider entre les rangées et travailler par différents types de temps. Le développeur fait son propre parallèle :

« Oz, c’est comme un aveugle avec une canne qui bute à droite et à gauche et à la place de la canne c’est le laser. Anatis, lui, on lui a rajouté la vue. »

Son coût n’est pas encore connu mais il sera « au moins le double de celui d’Oz », soit minimum 40 000 euros.

Sur le stand voisin, chez le fabricant Garford, on rigole bien de ses jeunes qui fabriquent des robots qui désherbent tout seuls. La marque s’affiche sur sa brochure comme « l’unique fabricant de bineuse à guidage par caméra couleur ». Ici pas de robot, mais un outil installé à l’avant d’un tracteur et qui propose notamment une bineuse capable de désherber entrer les rangs mais en même temps entre les plants.

Le vendeur rappelle qu’un salon c’est aussi un esprit foire et qu’il faut bien vendre sa marchandise et discréditer la concurrence.

« C’est un gadget leur truc. Ils se mettent à quatre dessus pour le faire fonctionner et ça ne marche que pour une parcelle donnée. Aucun agriculteur n’acceptera de faire marcher un engin tout seul comme ça dans on exploitation. »

« Si j’ai la 4G dans le champ, j’envoie directement les données du drone »

Enlever les mauvaises herbes, ameublir la terre, la robotique peut aussi faciliter la gestion des exploitations. C’est là qu’entrent en jeu les drones. Deux modèles autopilotés sont présentés sur le salon : un drone avion, l’Agridrone et un drone multirotor, l’Airphen. A cause du vent, la démonstration n’est pas possible ce mercredi. Mais Thibaud Leroy de la Chambre d’Agriculture de la Somme assure un SAV efficace :

« L’agriculture et l’agriculture bio seront les premiers utilisateurs de drones. C’est fabuleux le monde de l’agriculture : il y a plus de technologie que dans l’automobile ».

Le jeune homme, agriculteur et aujourd’hui conseiller en agriculture, porte jeans et baskets Adidas montantes -un look qui casse l’image poussiéreuse de l’agriculture et le discours qui va avec. Avec son drone avion Agridrone développé avec Airinov, il apporte un diagnostic de fertilisation sur les cultures de blé et de colza.

Le drone survole les parcelles et à l’aide de ses capteurs (caméras multispectrales) fournit une carte de la biomasse. En fonction des rendements attendus par l’exploitant, les données collectées doivent permettre d’ajuster au mieux la dose d’azote à apporter.

« On fournit après les vols les cartes de fertilisation aux agriculteurs. S’ils sont équipés d’un guidage GPS sur leur tracteur et d’une pesée sur leur épandeur, ils l’introduisent dans leur ordinateur de bord et la fertilisation des sols sera modulée précisément en fonction des données collectées grâce au drone ».

Drone Agridrone d’Airinov qui grâce à son capteur sert à établir des diagnostics fertilisation pour les cultures / Photo BE pour Rue89Lyon

Auparavant, ce service n’était possible que par satellite. Maintenant, Thibaud peut récupérer les données géographiques des champs à survoler puis planifie un plan et une hauteur de vol. Il n’a plus qu’à lancer le drone.

« Je récupère les données dans une carte SD. Je les envoie après sur les serveurs d’Airinove. Si j’ai la 4G dans le champ, j’envoie directement les données, ça fait gagner une demi-journée parfois. Sinon, c’est le soir en rentrant ou bien si je passe au McDo à midi, je me connecte au WiFi. »

Le service est ensuite facturé à l’hectare survolé.

L’engin a une autonomie d’une vingtaine de minutes durant laquelle il peut couvrir jusqu’à 40 hectares.

« Mon record c’est 88 ha en 40 minutes, en deux vols. Mais dans la Somme, avec les cultures en parcellaires, les champs tous plats, c’est facile. Tu poses la voiture, tu le lances et il revient tout seul. »

« Les agriculteurs bio ne sont pas les plus technophiles »

Benoît De Solan, travaille pour Arvalis – Institut du végétal à Avignon, et juge inéluctable l’arrivée des drones et des données capteurs dans la culture.

« Dans l’élevage, les salles de trait sont truffées de capteurs depuis déjà cinq ans. Dans la culture, les possibilités sont très larges grâce au drone qui n’est qu’un outil de transport mais qui permet d’apporter des capteurs sur de grandes surfaces ».

Lui travaille surtout avec des « sélectionneurs », des entreprises qui cherchent à mettre au point de nouvelles variétés. Là, son drone et ses capteurs mis au point avec sa start-up Hi-Phen, aident à aller plus vite pour analyser des surfaces d’essai qui « comptent généralement 1000 parcelles avec des variétés et des conditions de culture à chaque fois différentes ».

Avec des caméras multispectrales ou thermiques, il mesure ainsi la température à la surface des feuilles pour savoir si les plants sont assez irrigués ou encre l’état de la photosynthèse et les causes des variations.

« Notre drone prend environ une photo par seconde. Puis le logiciel corrèle et colle toutes les photos jusqu’à faire une mosaïque globale. Un vol peut représenter jusqu’à plusieurs gigaoctets de données. Ensuite il faut les analyser. »

Drone multirotor et le capteur mis au point par Hi-Phen / Photo BE pour Rue89Lyon

Ici, on n’est plus dans le bio. Si l’azote n’est pas vraiment la tasse de thé du bio et que ce service s’adresse surtout à des producteurs conventionnels, l’utilisation raisonnée de produits phytosanitaires est mise en avant. Benoît De Solan l’avoue :

 « Le bio n’est pas le secteur sur lequel on s’est le plus concentré. Les agriculteurs bio ne sont pas les plus technophiles. Mais l’intérêt des drones est réel parce qu’il permet d’anticiper et c’est très important dans des cultures bio. Encore plus que dans le conventionnel. »

Pour Thibaud Leroy, ces services sont avant tout tournés « vers le conventionnel parce que c’est le plus répandu ». Mais l’utilité pour le bio existe et les gens sont réceptifs malgré tout assure-t-il.

« Au-delà du maraîchage, avec un drone on peut déceler la flavescence sur des vignes et vite repérer le premier pied touché. Ou avec des caméras 3D analyser la qualité des parcelles dans l’arboriculture ».

Tout cela n’aurait pas été possible il y a encore quelques années auparavant. Pour les deux hommes, l’explosion du marché des smartphones et de la miniaturisation des systèmes GPS a boosté le marché des drones et changé aussi les mentalités dans le milieu.

« Avant l’intégration des nouvelles technologies étaient longues dans l’agriculture. Là, les drones c’est apparu il y a peu et en un ou deux ça s’est vraiment implanté ».

Avant de partir, un visiteur amusé par l’engin se hasarde à une question dans un large sourire :

« Et vos drones là, est-ce qu’ils permettent de compter les travailleurs au black dans les exploitations, pour voir celles qui en déclarent 10 et en font bosser 40 ? »


#Agriculture

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