SURL : Virginie tu dis : “Le punk rock ça devait rester un sport d’homme.“ Et toi Casey, dans l’un de tes premiers morceaux, tu rappais : “Les mecs, va falloir suivre ma plume attentivement, capter la compétence de ma rime”, comme si tu t’adressais à un milieu de mecs aussi. À quel moment on réussit à s’affranchir de ça ?
V.D. : Dans le punk rock ou dans la funk, ce qui m’a plu, que les chanteurs ou musiciens ne s’habillent pas forcément comme des mecs, par exemple. Prince, Bootsy Collins, ils n’arrivaient pas sur scène de la façon la plus virile qui soit. Il y’avait cette ambiguïté, mais classe, qui fait rêver les mecs et les filles. Ce qui m’intéresse à un moment donné c’est pourquoi tout le monde revient dans sa case.
Casey : L’anomalie, c’est ça le punk. Dans tous les mouvements, on finit par reproduire une norme. La meuf qui arrive dans un milieu d’hommes comme le punk, c’est elle la vraie anomalie. Peut-être que les gars se replient sur des fondamentaux, pour se rassurer ? Comme si la perte du pouvoir en tant que gars, ça effrayait.
C’est quelque chose que t’as éprouvé même dans le milieu rock Casey, quand t’as pu tourner avec Zone Libre ? Ou toi quand tu as habité à Lyon Virginie?
Casey : Tu sais dans le rock, l’anomalie c’était pas seulement d’être une fille, mais c’était aussi d’être renoi et rappeuse. Avec Zone Libre on aurait dit limite que Serge [Serge Teyssot-Gay, guitariste, ndlr] ramenait un centre de réhabilitation. J’ai vu beaucoup de condescendance. « Serge et ses amis rappeurs. » (rires) Genre qu’est ce que tu fous là toi ? Mais t’es marrant, c’est Chuck Berry qui a inventé le rock’n’roll ! Le rock, c’est la culture en place en France, et c’est un milieu de blancs et de mecs. C’est consanguin. En fin de compte, l’ouverture d’esprit était de notre côté.
Virginie Despentes : Au début des années 90 je trainais dans le seul bar hip-hop de Lyon, le Cool K. Il y avait que des mecs du rap et moi, venant du rock, et on s’est mis à faire du rap ensemble. On répétait dans ce bar. La sensation d’être une meuf était vachement plus légère que dans les milieux rock. Evidemment, tu te prenais toujours deux trois vannes, mais on avait la sensation que c’était plus ouvert. Et c’était contraire à l’idée qu’on avait de nous mêmes, on se croyait au sommet puis tout d’un coup on se retrouvait dans un endroit plus ouvert et mixte.
À quel moment évoluer en marge devient un choix alors ?
Casey : Quand tout est assumé. Par exemple je suis noire, c’est une réalité mais j’aime aussi défendre ça. Virginie, elle est féministe, pas seulement parce qu’elle est une femme mais aussi parce qu’elle le veut. Ça pose la question de qui tu choisis d’être, ce que tu portes…
V.D. : Moi je ne me sens pas dans la marge depuis longtemps. J’ai grandi dans la marge, j’assumais, ça me plaisait. Ensuite ? Quand ça s’est écroulé j’ai compris que c’était fragile. Je suis allée voir ailleurs, un peu partout. Quand on a fait Baise Moi, je traînais avec les gens du X, c’était vraiment une marge, ça m’a plu aussi. Et puis je suis encore allé voir ailleurs. Je ne me sens pas, comment dire… C’est comme les trucs lesbiens, ça m’a vachement habité, mais je me sens trop vieille pour me fixer, même à une marge.
Vous avez peur de décevoir ?
V.D. : À fond. Je ne comprends jamais ce que les gens trouvent à mon écriture. Quand t’es chez toi, que t’écris Baise Moi, que t’es contente et que tu le fais lire à tes potes tout va bien. Mais quand ça devient un métier, ça met une pression. Je ne sais pas ce qui se passe entre le texte et les gens qui le lisent. Alors du coup, à chaque fois je continue en me disant « essaie quand même, ça va peut être marcher ». (rires) Je sais pas comment tu le vois toi ?
Casey : C’est sûr que quand tu écris, tu parles de toi pour aller vers l’autre sans savoir comment c’est reçu. Tu n’as pas de pouvoir là-dessus. Quand les gens apprécient, dans le fond, ils pensent te connaître, quand t’es amené à les croiser ça peut être spécial comme interaction. Je ne sais pas quoi faire de ça… Je ne sais pas quoi faire des gens qui aiment bien ce que je fais. Ça fait plaisir, bien sûr, mais la façon qu’ils ont d’interpréter ce que tu fais leur appartient, tu ne fais pas partie de cette équation.
V.D. : C’est vrai. Je vois comment je réagis avec tes morceaux, ça déclenche des trucs vraiment intenses mais, comme tu dis, quelque part ça ne te regarde pas. Et puis quand t’es en train de faire un disque ou un livre, il n’ y’a pas de magie. Ou du moins elle t’échappe. Toi tu fais ta cuisine. C’est le premier truc que j’ai entendu de Kaaris : « J’suis dans la cuisine, tu bouffes ce que je te prépare. » Ça m’avait fait réfléchir. Quand tu fais ton truc, c’est ça, t’es dans la cuisine. Et il y’a pas de magie dans la cuisine.
Le bouquin que vous êtes en train de lire ? Le disque que vous écoutez ?
Casey : Le bouquin ça va être celui de Virginie, Vernon Subutex. Le disque, je n’avais pas écouté quand il est sorti, mais c’est le Kendrick. J’ai vu sa prestation aux BET Awards, j’ai trouvé ça vénère. J’aime beaucoup Kendrick, plein de potes me disent que c’est pété, mais moi j’aime bien.
V.D. : Là, j’écoute un disque de Jamie XX mais je sais pas pourquoi j’écoute ça. (rires) Et comme bouquin, comme je suis jury d’un prix, j’en ai 250 à lire, j’en lis deux par jour. C’est des livres que je n’aurais pas forcément lus autrement, donc c’est assez bien.
Justement, dans quelle mesure les sous-cultures ne deviennent pas la norme, centrales ?
V.D. : C’est normal, c’est dans l’avant-garde. Tu vois par exemple, Actuel, c’était que des zonards. Après ces gens-là, c’est devenu Canal +. Donc oui, les choses deviennent centrales, puis d’autres gens arrivent derrière, ça se renouvelle et ainsi de suite.
Casey : Tout peut co-exister. D’accord, c’est pas ce qui se joue dans les grandes salles qui me fait le plus vibrer. Parfois tu tombes sur des petites choses et “oh merde”. Et même le mainstream, il y a des trucs que j’aime, des films que j’aime, des musiques que j’aime. Je ne suis pas en guerre moi, t’es dans la vie c’est tout, tu fais avec ce qu’il y a, avec ce que t’es, c’est tout.
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Quelles perceptions vous avez l’une de l’autre ? Est-ce que vous connaissez vos travaux respectifs ?
Casey : C’est un pote qui m’a fait découvrir le travail de Virginie, parce qu’il est vraiment fan de ce qu’elle fait. Moi je ne connaissais pas, j’entendais parler de Virginie Despentes, mais je n’ai jamais vraiment eu la curiosité d’aller voir. Je l’ai découvert comme ça, c’est très récent et j’ai vraiment kiffé l’article des Inrocks suite aux attentats de Charlie hebdo. Au moment où tout le monde était Charlie, que ça vienne de ce côté là, d’une écrivaine et une réalisatrice en place. Et que tu puisses dire ça, ça m’a fait du bien. Que tu sois blanche aussi parce que ça compte dans ce que tu as dit. Je me suis dit bon, ça va, on est pas seuls. Parce que ça a été dur. Tu es une renoi, tu ne peux pas être Charlie, c’est mort, c’est exclu.
V.D. : Moi je connais le travail de Casey depuis longtemps, depuis “Hostile au stylo”. Je me disais en venant que depuis que je suis à Paris, au début des années 1990, j’entends parler de Casey. Je ne connais pas bien le hip-hop, notamment français, même si je sais qu’il n’y a pas tant de meufs que ça. Ensuite y a eu l’album Libérez la bête et le projet Zone Libre que j’ai vachement aimé. Avant de venir, je regardais le travail d’Asocial Club, dont j’apprécie le visuel. Que ce soit pour la performance, la voix ou pour les textes et l’attitude, il n’y a pas tellement d’artistes meufs qui sortent des trucs bien. Pour en revenir à Charlie, c’est vrai que j’ai eu pas mal de réactions négatives. C’était bizarre, parce que c’était souvent des gens qui…
Casey : … des gauchos qui ne savaient pas qu’ils étaient des enculés ?
V.D. : Ouais, plein de gens différents disons.
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