L’Irish bar Au Tooley’s est encore calme, il est 18 h. Alice, 24 ans, et Gérald, 44 ans, accueillent les curieux. Il s’agit de la cinquième soirée roux qu’ils organisent. Ce lundi 1er juin, ces deux-là ont décidé de déménager la soirée qui s’était déroulée jusqu’à aujourd’hui au Johnny Walsh’s, un autre pub irlandais de la rue Saint-Georges, dans le 5e arrondissement.
Les deux gingers n’hésitent pas à faire le premier pas lorsque de nouvelles personnes viennent découvrir les soirées roux de Lyon qui ont lieu tous les premiers lundi du mois.
Gérald, livreur de quenelles, privilégie la dimension conviviale de l’apéro pendant ces soirées :
« Le fait d’être entre roux permet d’avoir un premier sujet de conversation et de briser la glace. »
Le concept est simple : organiser une Ginger Party tous les mois, avec des prix spéciaux pour les roux et ceux qui jouent le jeu, c’est à dire qui viennent avec des perruques -très appréciées. Au choix on trouve la pinte de Kilkenny (une bière irlandaise) ou le fameux ginger ale (à base de soda au gingembre) ; rien n’est laissé au hasard.
Au départ, « c’était un petit délire » explique Gérald :
« L’idée est venue en buvant un canon avec Alice, qui est serveuse. Elle a commencé à me dire que ça ne serait pas bête de n’avoir que des roux de l’autre côté du comptoir. »
À ce moment là, lui-même avait dans la tête d’organiser un grand « apéroux » -ça ne s’invente pas- en septembre prochain lors du festival Jazz sur les places dans lequel il s’est investi.
« Je voulais organiser un gros événement dans l’année avec le plus de rouquins possible. Si on arrive à être 100 ce serait déjà bien. »
Unique en France, ce type de rassemblement existe dans d’autres pays européens, notamment aux Pays-Bas qui organise chaque année un grand rendez-vous pour les roux.
« Ce n’est pas pour lutter contre les discriminations »
Même si les moqueries sur les roux peuvent parfois être évoquées, ce sujet n’est pas le plus abordé dans les discussions. Gérald explique qu’il n’a lui-même « jamais été vraiment persécuté. »
Sa complice Alice, anglaise expatriée depuis septembre 2013 à Lyon, a, elle, subi une période de harcèlement en Angleterre alors qu’elle était encore sur les bancs de l’école. Les moqueries se sont intensifiées, jusqu’à ce qu’Alice angoisse à l’idée d’aller en cours. Adolescente elle est même allée jusqu’à se teindre les cheveux en noir :
« C’était vraiment horrible… Je ne le referai jamais. »
En France, elle a le sentiment qu’il y a moins de harcèlement envers les roux. Aucune étude sérieuse sur le sujet n’existe mais le sujet est récurrent dans l’actualité. Un documentaire « Souffre-douleurs, ils se manifestent » a été diffusé sur France 2 en février dernier.
Récemment, le procès d’un homme soupçonné d’avoir projeté de tuer les princes Charles et William afin que le prince Harry puisse accéder au trône a fait grand bruit. Il voulait voir un roi roux sur le trône, déclarant s’être toujours senti « marginalisé et dévalorisé » à cause de sa couleur de cheveux.
L’imagerie autour des roux, et des rousses plus particulièrement, en appelle à la sorcellerie voire à la prostitution, beaucoup de fantasmes et de mauvais clichés rôdent autour des gingers. Un constat qui avait inspiré Romain Gavras pour réaliser le clip Born Free pour la chanteuse Mia. Le film fait le récit terrifiant de l’extermination d’hommes roux par une armée de soldats.
Adélaïde, qui a les cheveux flamboyants raconte en rigolant que certains journalistes ont posé « des questions à la con » pour pouvoir les faire passer pour une bande d’anciens persécutés. Alice n’a « pas très envie » de parler de harcèlement, car la soirée roux n’est pas engagée dans un combat :
« Ce n’est pas une soirée pour lutter contre les discriminations. »
La défense des roux ne l’intéresse pas. Pour elle, à l’école, les enfants ne sont jamais tendres entre eux, quelle que soit la différence physique.
« Pas de militantisme », confirme Gérald, que tout le monde appelle « Dgédgé ». On ne peut pourtant pas croire qu’ils ne souhaitent pas modifier un peu la réputation de leurs copains de cheveux.
« Perpétrer l’espèce »
Alice et Gérald sont ravis de l’effet du bouche à oreille et de l’écho que les médias font de leurs soirées. De Vice à Femme Actuelle, en passant par RTL et Metronews, des articles sont parus par salves.
En France les roux représenterait 5% de la population, il y en aurait 13% chez les Écossais et seulement entre 1 et 2% à l’échelle mondiale. Le rendez-vous créé à Lyon a un « intérêt communautaire » pour les organisateurs.
C’est la deuxième fois qu’Amélie, une trentenaire, vient au rendez-vous :
« J’étais réticente au départ. J’avais peur du côté clan, mais je me suis retrouvée avec des gens sympas. Ça m’a donné envie de revenir. »
Tout comme Julien pour qui c’est une première, prévenu via la page Facebook de la soirée (la prochaine aura lieu ce lundi 6 juillet). Vers 20h30, le bar commence à se remplir. Avec au total une bonne quinzaine de roux et plus d’une quarantaine de personnes, toutes teintes capillaires confondues.
Alors que que la soirée est sur le point de se terminer un jeune couple s’amuse. La jeune fille est rousse et son copain, affublé d’une perruque orange, est brun. La jeune fille nous explique qu’ils ne feront jamais ensemble d’enfant :
« Je veux uniquement un roux pour faire mes enfants, pour pouvoir perpétrer l’espèce. »
Selon une étude contestée mais relayée par The Independent, les roux seraient en voie d’extinction à cause du réchauffement climatique.
Et après le Redhead Day UK, un autre rendez-vous en Angleterre, d’ampleur européenne cette fois, est en train de s’organiser : un festival des roux, « Ginger Pride Festival« , à l’horizon 2016.
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