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Au Vinatier, l’hôpital psychiatrique gère la crise

« Danger grave et imminent ». Par deux fois, les 15 et 23 juin, la CGT de l’hôpital psychiatrique du Vinatier a activé cette procédure d’alerte concernant les urgences du principal HP de Lyon.

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Une chambre de l'Usip au Vinatier. Photo de 2010 ©FCaterini/Inediz

Le 15 juin, on comptait 27 patients accueillis. A minima, 20 patients sont soignés en permanence aux urgences alors que la capacité est de 11 lits. Une alerte de ce type avait déjà été déclenchée à la fin du mois de janvier 2015 par la CGT qui réclame toujours une augmentation des effectifs.

Nous republions notre article du 13 février 2015.

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« Série noire », « tensions »… Les médias locaux usent de termes très sombres pour évoquer la situation du principal hôpital psychiatrique lyonnais, le Vinatier. L’agression d’un infirmier fin janvier suivi des suicides de deux patients et d’un infirmier a déclenché la colère des équipes qui étaient appelées à faire grève ce jeudi 12 février.

La direction de l’établissement plaide une concomitance malheureuse des faits. Mais ces suicides et cette agression ont conduit au grand déballage des problèmes de l’hôpital psychiatrique qui, plus que jamais, gère la crise.

Le 12 février, les agents du Vinatier étaient appelés à faire grève et à se réunir devant l’ARS. Un autre mouvement grève est également annoncé pour le 16 février ©LB/Rue89Lyon

A l’hôpital psychiatrique, les soignants travaillent au quotidien avec des patients suicidaires. Certains passent à l’acte et parviennent à se donner la mort.

Le directeur, Hubert Meunier, a tenu à rappeler que Le Vinatier enregistrait « chaque année trois à six décès de patients par suicide ». Alors pourquoi des agents ont-ils appelé le Progrès pour étaler ces suicides sur la place publique ?

Réunis ce jeudi devant l’Agence Régional de Santé (ARS) à l’appel de la CGT, FO et SUD, les quelque 200 agents du Vinatier (infirmiers pour la plupart) ont été rejoints par des employés des autres hôpitaux psychiatriques lyonnais. Pour appuyer leurs demandes de « plus de moyens » et « plus de sécurité » , ils faisaient la chronique des récents événements :

Dans un contexte, disent syndicats et certains médecins, d’« absence d’écoute de la direction », rendre public des suicides et une agression serait, selon les mots d’un agent du Vinatier, une façon de se saisir de « faits divers » pour « dire les choses » afin d’alerter sur les principaux problèmes que connaît le principal hôpital psychiatrique lyonnais. Nous en dressons la liste.

1/ Aux urgences du Vinatier, « la honte »

Les urgences psychiatriques, c’est la principale porte d’entrée du Vinatier. Et ce service appelé Unité médicale d’accueil (UMA) va mal. Ce jeudi 12 février, on compte 22 patients pour 11 lits. Taux d’occupation de 200%.

Faute de chambres en nombre suffisant, des lits sont installés pour la nuit dans les salles fumeurs, dans les couloirs ou dans les chambres individuels. La journée, ces lits surnuméraires sont repliés et les patients doivent attendre, en pyjama, dans le hall d’accueil des urgences.

Natalie Giloux, la responsable de ce service, dit sa « honte » de prendre en charge ainsi des personnes souffrants de graves troubles psy (schizophrènes, bipolaires…) :

« En psychiatrie, on doit mener un travail avec la personne pour qu’elle ne conteste pas le soin. Car l’un des principaux symptômes est la méconnaissance ou le déni de la maladie. On a besoin de temps avec les personnes. On essaye de faire au mieux mais parfois on est dépassé. Du coup, on va donner plus de tranquillisants pour calmer les personnes. Mais ce n’est pas une solution que de soigner contre son gré. ça n’amène à rien ».

Pour ne rien arranger à cette suroccupation, les patients restent de plus en plus longtemps avant d’être transférés vers un autre service. En janvier, près d’un cinquième des personnes sont restées plus de trois jours, la durée maximale théorique de prise en charge aux urgences.

Régulièrement, le docteur Giloux lance des signaux d’alerte. Le défenseur des lieux de privation de liberté est même venu faire une visite, accompagné d’un substitut du procureur.

En juin, la direction du Vinatier a ouvert une unité de dix lits pour de courtes hospitalisations. Mais le désengorgement n’a été que temporaire. Et depuis novembre, le service est de nouveau surchargé.
Il y a quelques semaines, le 27 janvier, ce sont les syndicats qui ont donné l’alerte après avoir atteint le record de 30 patients. Un article est paru dans le Progrès et la direction a octroyé un infirmier supplémentaire.

Certes, il y a eu un « effet Charlie ». Des personnes fragiles ont pu décompenser suite aux attentats des 7, 8 et 9 janvier. Mais ce phénomène conjoncturel n’explique qu’une petite partie de cet afflux.

Les urgences du Vinatier. ©LB/Rue89Lyon.fr

 

2/ Trop de demandes, « on ne prend que les personnes en crise »

Les urgences traduisent le malaise de tout l’hôpital psychiatrique. Pour le comprendre, il faut regarder toute la chaîne de l’hospitalisation.

Au Vinatier, 80% des malades pris en charge ne fréquentent pas l’hôpital. L’hospitalisation ne se fait qu’en cas de crise. En règle générale, la personne atteinte d’une maladie mentale peut être suivie en ville pour son traitement.

Le territoire français est divisé en secteurs géographiques. Pour chaque secteur un centre médico-psychologique (CMP) qui dépend d’un hôpital psychiatrique. Ce CMP est chargé de suivre « en ambulatoire » les malades.

Créé dans les années 60, le « secteur » est aujourd’hui complètement bloqué. Les CMP ne parviennent plus à répondre à une demande exponentielle de soins « psy ». A Lyon, il faut entre un et trois mois pour obtenir un rendez-vous.

Ces moyens extra-hospitaliers limités rendent difficile le travail de prévention et de suivi. Or si on soigne les patients plus tôt, on rencontre une meilleure adhésion au soin et les malades prennent mieux leur traitement.

Faute de quoi ils sont soignés quand ils sont en crise. Et dans ce cas-là, ils se font hospitaliser. Et ce sont eux et les plus précaires qui deviennent prioritaires. Les autres seront fortement incités à aller en cliniques privées.

Pour remédier à ce problème, les syndicats plaident pour une augmentation du personnel dans les CMP.

Solution balayée par le directeur du Vinatier qui met en avant le contexte de vaches maigres des finances publiques. Lui défend une restructuration des secteurs en fusionnant certaines structures (CMP, hôpitaux de jour) pour faire des économies d’échelle. Des opérations de ce type sont en cours.

Dans les autres hôpitaux psychiatriques lyonnais, comme à Saint-Jean-de-Dieu, la forte demande en soin psy est gérée au moyen d’un autre expédient : on ajoute des lits pliants dans les services.

 

3/ Des lits supprimés

L’été dernier, le Vinatier a inauguré un énorme bâtiment qui regroupe toute la psychiatrie adulte, soit 350 lits. Il en a coûté près de 90 millions d’euros.

Comme le raconte le psychiatre Jean-Pierre Salvarelli, président de la communauté médicale d’établissement (CME) du Vinatier, il a fallu supprimer 40 lits pour construire ce bâtiment :

« On a réorganisé les services pour que les personnes puissent avoir le même type de soin ».

En terme d’hôtellerie notamment, il y a désormais une douche par chambre individuelle. Conséquence : la suppression de ces lits et des temps d’hospitalisation qui ont légèrement augmenté crée un blocage au niveau des urgences.

Car les urgences doivent « muter » les patients vers ces services qui disposent de moins de lits.
Les syndicats défendent ainsi le rétablissement de ces 40 lits.

Si 40 lits ont été supprimés, la direction affirme au contraire que 122 lits ont été créés, notamment 60 lits dans une Unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA), sorte d’ « hôpital-prison », et 40 lits à l’Unité pour malade difficile (UMD), au fonctionnement quasi carcéral. Mais ces unités de haute sécurité, au recrutement interrégional, ne correspondent pas à l’immense majorité du public accueilli dans les secteurs.

Il faut se rappeler que le Vinatier comptait 794 lits en 1999 et n’en compte que 675 aujourd’hui.

Le nouveau bâtiment du Vinatier qui regroupe toute la psychiatrie pour adultes. ©LB/Rue89Lyon

4/ Les patients SDF scotchés à l’hôpital

En aval de l’hospitalisation, l’hôpital psychiatrique est confronté à la rareté des solutions pour faire sortir des malades qui nécessite un accompagnement quotidien et sont SDF.

Pour 20 et 30% des patients du Vinatier, on ne trouve pas de place dans un foyer. Ces malades doivent rester de longs mois à l’hôpital. Ce qui explique également l’engorgement des unités de soin.

Le psychiatre Jean-Pierre Salvarelli :

« L’hôpital psychiatrique assure des missions qui ne sont pas les siennes. Nous faisons office de structures médico-sociales pour des personnes qui ne peuvent pas vivre seules ou n’ont pas de domicile. Par ailleurs, nous accueillons des personnes qui ne relèvent pas de la maladie psychiatrique comme les cérébro-lésés ».

Faute de structures d’accueil en nombre suffisant, certains patients peuvent également être remis à la rue une fois leur état stabilisé.

Environ un tiers des SDF présenteraient un trouble psychiatrique sévère. C’est un phénomène d’ »externement », comme le nomme le psychiatre Jean Furtos, fondateur de l’Observatoire régional sur la souffrance psychique en rapport avec l’exclusion (ORSPERE).

Ce déficit de structures médico-sociales est particulièrement aigu (et connu) à Lyon. L’Etat et le Conseil général du Rhône ont financé la création de quelques « maisons relais » et foyers où les malades stabilisés peuvent vivre en collectivité avec un soignant pour les aider. Mais les besoins restent gigantesques.

5/ Dans les services, des équipes sous pression

Quotidiennement, la responsable des urgences, Natalie Giloux, le reconnaît : « on met la pression sur la direction du Vinatier et les responsables de services » pour trouver des lits afin de désengorger les urgences.

Et les chefs de service répercutent cette pression pour libérer des lits. L’infirmier Mathieu Berquand-Merle, délégué du personnel CGT, raconte :

« Dans nos services, on fait sortir les patients le plus vite possible. Pour des patients qui devaient rester 15 jours de plus pour bien stabiliser leur état, on prend le risque de les faire sortir plus tôt et de les renvoyer chez eux, en espérant qu’il ait un toit. On n’a pas le temps de finir le travail avec l’extra-hospitalier pour qu’ils prennent bien le relais ».

Dans leur pratique, les infirmiers évoquent des soins basés uniquement sur la prise de médicaments (neuroleptiques, calmants…), du fait des effectifs « a minima ». Tony, un infirmier de 28 ans, témoigne :

« On est au minimum, soit deux infirmiers pour 25 patients. Et très souvent à cause d’absence, on se retrouve à 1 pour 25 patients. Moralité, on passe notre temps à donner des médicaments. C’est quasi impossible de développer des activités thérapeutiques ».

Martine, une infirmière de 57 ans se souvient du début des années 90 qui ressemble à une époque faste où l’ »on était régulièrement quatre pour 35 patients » :

« On pouvait se poser et discuter avec les patients et le mettre en confiance. Ça permet de les apaiser. Aujourd’hui, on n’a que quelques minutes pour leur donner les pilules. Et s’ils refusent, ça peut tout de suite monter en pression ».

Les soignants décrivent « un cercle vicieux » ou « une cocotte-minute » : on se sent mal au travail et les patients le ressentent alors que, angoissés, ils ont besoin d’être rassurés.

« On gère la crise et quand le patient est stabilisé, il faut vite le mettre dehors », souffle Tony.

Elodie, 22 ans, vient de commencer son métier d’infirmière en psychiatrie. Et déjà des interrogations :

« On fait un travail où le coeur de notre métier est la relation humaine. J’ai l’impression, faute de temps, de ne pas faire correctement mon travail. Ce n’est pas encore de la maltraitante. Mais nous n’en sommes pas loin ».

Une chambre de l’Usip au Vinatier Photo de 2010 ©FCaterini/Inediz

6/ L’appel d’urgence ? Plus disponible

Depuis cet été, le Dispositif d’appel d’urgence (DAU) que porte les blouses blanches a été arrêté. Il avait été mis en place il y a trois ans et permettait, en cas d’urgence, pour prévenir d’autres soignants et la sécurité en indiquant sa localisation.

Suite à une série de dysfonctionnements, la direction de l’hôpital a préféré l’arrêter. Le Vinatier est même en procès avec le fabricant. En attendant qu’un expert termine les responsabilités de chacun, des téléphones sans fil font office de système de substitution. Mais à quelques endroits, dans les services, le téléphone ne passe pas. Et les soignants craignent d’être agressés sans pouvoir prévenir des collègues. Elodie, infirmière, explique venir au travail avec « appréhension » :

« Depuis cet été, on s’inquiétait de l’absence de DAU. C’était même un miracle que rien ne se soit passé alors que, parfois, on a un téléphone pour quatre ou cinq. Et puis il y a eu l’agression au couteau de ce collègue à l’unité Flavigny ».

Les syndicats demandent naturellement la remise en route le plus rapidement possible de ce DAU.

Le psychiatre Jean-Pierre Salvarelli analyse ce sentiment d’insécurité en précisant tout d’abord que ces situations de violence sont rares en psychiatrie :

« Nos patients sont davantage eux-mêmes des victimes de la violence. Mais il peut y avoir des agressions ».

Il ajoute :

« On soigne en équipe pluri-professionnelle. Notre outil de soin, c’est l’équipe elle-même. Pour cela, il faut « faire équipe » et ça prend du temps. Or la restructuration de la psychiatrie pour adultes, liée à l’ouverture du nouveau bâtiment, a fragilisé les équipes soignantes de chaque unité qui a été reconfigurée. Et des événements comme ceux que nous vivons en ce moment n’aident pas. On est pas rasséréné et on assure moins bien le soin. »

Et de conclure :

« Le sentiment d’insécurité est un obstacle au soin. »

 


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