Comme souvent dans pareil cas, n’ont été cités que les « incontournables ». Il a forcément fallu évoquer ses rôles de Saroumane dans Le Seigneur des Anneaux et du Comte Dooku dans Star Wars, ou les films de Tim Burton. Pour les plus anciens, Dracula, Fu Manchu, Scaramanga et les rôles de monstres dans les films de la Hammer étaient une évidence.
Pour les cinéphiles bien informés, pas moyen d’oublier notamment les deux films préférés de Sir Christopher, souvent cités dans les nécros, The Wicker Man (Robin Hardy, 1973) et Jinnah (Jamil Dehlavi, 1998). Mais ces choix ont laissé dans l’ombre une jolie brochette de rôles étonnants, improbables, parfois saugrenus et souvent injustement oubliés.
Entre cousins
Ainsi, on n’a pas lu souvent que Lee fit ses grands débuts dans la série Kaleidoscope de 1946 à 47 avant de partager une loge et des débuts laborieux avec un certain Roger Moore en cachetonnant anonymement avec lui dans Trottie True de Brian Desmond Hurst tourné en 48.
Entre deux rôles de monstres silencieux, Lee retrouvera le futur 007 en 1959 dans un épisode d’Ivanohé, dans lequel il incarne le cruel Sir Otto. Il affronte encore Moore en 1974, dans L’homme au pistolet d’or, offrant à Sir Christopher l’un des meilleurs rôles de méchants de la série des James Bond, Francisco Scaramanga. A ce sujet, on a peu évoqué les liens familiaux qui unissaient le comédien au créateur de Bond, Ian Fleming, et le souhait non satisfait de ce dernier de voir son cousin Christopher incarner le sinistre Dr. No dans le film éponyme, premier épisode de la saga 007 tourné en 1962.
On sait aujourd’hui que durant la guerre, les deux cousins ont trempé dans l’espionnage et les actions militaires mais, si Fleming s’en est publiquement inspiré pour inventer James Bond, Lee est resté étonnamment discret sur ses faits d’armes, lui qui était réputé (et parfois craint) pour se répandre en anecdotes interminables sur son sujet préféré : lui-même.
Christopher Lee était également très ami avec Patrick Macnee, inoubliable John Steed dans la série Chapeau melon et bottes de cuir et avec qui il joua Hamlet en 1948. Mais c’est probablement plus à son allure inquiétante qu’à cette longue amitié qu’il devra d’apparaître deux fois dans la série, car lorsqu’il joue une première fois dans The Avengers (épisode Interférences, 1967, saison 5), il est déjà connu pour avoir incarné nombre de créatures gentiment inquiétantes.
Les producteurs de la série l’engagent donc tout naturellement pour en jouer une de plus, une sorte de robot tueur inventé par un professeur également incarné par Lee et répondant au savoureux patronyme de Franck N. Stone, allusion au rôle de Frankenstein joué par Lee dix ans auparavant. Dans l’épisode Interrogatoires (1969, saison 6), il est le machiavélique Colonel Mannering, un agent ennemi qui extorque des secrets aux agents anglais en leur apprenant à garder le silence en cas d’interrogatoire.
Au fil de sa carrière, Lee ne s’éloignera jamais de la télévision et apparaitra dans quelques classiques tels que Cosmos 1999 ou Les drôles de dames, et dans une quantité de téléfilms et feuilletons, notamment Shaka Zulu en 1986 et Le Tour du monde en 80 jours en 1989. On le verra même incarner le Prince Philip dans un dégoulinant nanar pour la télévision américaine, Charles & Diana, a Royal Love Story en 1982.
Holmes and co
Timidement évoqués ici ou là, les liens unissant Christopher Lee au personnage de Sherlock Holmes méritent des précisions, car son statut, au sein de la grande famille des comédiens qui ont incarné le détective, est unique. Lee est en effet le seul à avoir incarné non seulement Holmes, mais aussi son frère Mycroft, puis le Dr. Watson et enfin l’un des personnages emblématiques des romans, Sir Henry Baskerville. Commençons par Sir Henry, héritier de la malédiction familiale dans l’excellente production Hammer du Chien des Baskerville réalisée en 1959 par Terence Fisher avec, dans le rôle de Holmes, celui qui allait devenir au fil des années et des films tournés ensemble, le meilleur ami de Christopher Lee, l’immense Peter Cushing.
De Frankenstein s’est échappé (Terence Fisher, 1957) à Dracula vit toujours à Londres (Alan Gibson, 1973) en passant par Le cauchemar de Dracula (Terence Fisher, 1958) ou Le crâne maléfique (Freddie Francis, 1965) Cushing a passé une bonne partie de sa carrière à pourchasser des créatures, vampires et autres momies, incarnées par son ami Lee. Dans Le chien des Baskerville, pour une fois les deux hommes sont dans le même camp et affrontent ensemble le fameux chien « venu de l’enfer ».
Ensemble également parmi les méchants puisque les deux amis officieront du côté obscur de la Force, Cushing dans le rôle de Moff Tarkin dans La guerre des étoiles (1977) et Lee dans celui de Dooku dans la seconde trilogie Star Wars.
Laissée vacante par Cushing, Christopher Lee emprunte la pipe de Holmes trois ans plus tard dans Sherlock Holmes et le collier de la mort de Terence Fisher, puis dans les téléfilms Sherlock Holmes and the leading Lady (1991) et Incident at Victoria Falls (1992) où il retrouve son cousin Macnee dans le rôle de Watson. Mais ici, comme intimidé par ce rôle mythique, Lee apparait très académique et guindé, à des années lumière du virevoltant Cushing. Heureusement, entretemps il aura incarné Mycroft Holmes, frère de Sherlock dans La vie privée de Sherlock Holmes, de Billy Wilder (1970).
C’est peut-être le rôle le plus intéressant dans l’oeuvre de Conan Doyle, que ce frère fantasque et mystérieux qui navigue avec dextérité dans les eaux troubles de l’espionnage. Un personnage haut en couleur, moins caricatural et plus profond que Sherlock et auquel Sir Christopher apporte sa grandeur et sa présence hypnotisante, saupoudrée d’un léger soupçon de fantaisie.
Films catastrophe
En 1977, installé au Etats-Unis, Lee cède à la mode des « films catastrophe ». Il embarque dans l’un des épisodes de la fameuse saga Airport, lancée en 1970. Des histoires d’avions en péril à vous dégouter des transports aériens, remplies de stars internationales. Cette fois, dans Les naufragés du 747, le Boeing piloté par Jack Lemmon se retrouve immergé au fond de l’océan et les paris sont ouverts sur qui, parmi les célébrités, s’en sortira.
Pour qui aurait échappé à ce pensum multi rediffusé, on ne dévoilera pas le sort de Sir Christopher (qui meurt noyé). Jamais sur ‘pause’, il est un gitan tourmenté par les nazis dans Passeur d’hommes avec Anthony Quinn, Rochefort dans Les 3 mousquetaires (1973) et sa suite On l’appelle Milady (1974), juge chasseur de sorcières dans Le trône de feu (1970), toubib dans Gremlins 2, Commandant Rakov dans Police Academy / Mission à Moscou et rien moins que Ramsès I dans le téléfilm Au commencement en 2000.
C’est dire la diversité des rôles que Lee peut aborder, d’autant qu’il parle un nombre invraisemblable de langues, dont le français sans accent, et qu’il peut tourner dans des productions partout dans le monde. Mais jusqu’à son gros come back au début des années 2000 avec Le Seigneur des Anneaux et Star Wars, Lee va pas mal végéter dans des rôles anodins frôlant parfois la figuration, puis devenir une sorte d’icône, de caution prestigieuse embauchée pour relever la sauce un peu fade de films tels que Les rivières pourpres 2 en 2004.
D’ailleurs, cela ne s’invente pas, c’est sous le simple nom « The Boss » qu’il apparait dans son dernier film, Angels in Notting Hill sorti en 2014.
Avec une filmographie de près de 250 films, Sir Christopher Lee, né le 27 mai 1922 dans le quartier de Belgravia à Londres, est mort le 7 juin 2015 dans le quartier de Chelsea, à Londres, à l’âge de 93 ans. Dans son auto-biographie, Lord of Misrule, bon gros pavé paru en 2003, Lee s’attarde longuement sur celui qui fut son pire ennemi à l’écran mais son plus grand ami dans la vie, Peter Cushing, décédé en 1994. Les voilà enfin réunis du même côté.
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