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Tsonga en demi-finale de Roland-Garros, avec deux boyaux de vaches

Rafael Nadal a largement fait la promo de sa nouvelle raquette connectée signée Babolat, mais on sait moins que cette société lyonnaise fabrique aussi depuis plus d’un siècle des cordages en boyau naturel, de « façon artisanale ». C’est ce qu’utilise Jo-Wilfried Tsonga, aujourd’hui en demi-finale de Roland-Garros.

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Tsonga en demi-finale de Roland-Garros, avec deux boyaux de vaches

Pour le mener jusque là, il aura fallu de l’entraînement mais aussi que plusieurs bovins trépassent afin de fournir (une partie) du cordage du joueur français durant le tournoi. Petit voyage de l’abattoir au tamis de la raquette de Tsonga (ou de la vôtre).

Jo-Wilfried Tsonga lors de Roland-Garros 2012 / Photo CC by Carine06 via Flickr

Un des principaux équipementiers de tennis mondiaux se trouve à Lyon. La société Babolat, fondée à la fin du 19e siècle, a gardé son siège rue André Bollier, à Gerland, et reste gérée par la famille du même nom. Elle fabrique son premier cordage en boyau naturel en 1875 avant de se lancer progressivement sur le créneau.

Depuis, les tamis des raquettes ont vu apparaître des cordages synthétiques qui sont aujourd’hui les plus répandus. Mais son cordage en boyau naturel modèle VS, mis au point en 1925 est toujours fabriqué à ce jour.

« C’est un travail très physique, réservé aux hommes »

Le cordage en boyau naturel provient à l’origine du corps d’une vache. Contrairement à certaines croyances, ce ne sont pas ceux des moutons (utilisés un temps) ou encore de chats ou de chiens. Dix étapes plus tard, c’est un cordage sur votre raquette. Comment est-ce possible ? On vous l’explique sans odeur et sans douleur.

Première étape : la découpe des boyaux.

« On veut obtenir des lanières de 4 cm de large sur les boyaux qui mesurent entre 40 et 60 mètres », explique-t-on chez Babolat.

Il faut par la suite les découper à la longueur moyenne nécessaire pour corder une raquette, soit environ 12 mètres. A ce stade, les lanières mesurent 12,65 mètres.

« C’est un travail très physique, essentiellement réservé aux hommes ».

Babolat a mis au point ses propres machines pour assurer cette première étape.

Vient ensuite, le « dépouillage ». Il s’agit d’enlever la paroi interne du boyau ou techniquement « sa couche de cellule transversale ». Le but est de ne conserver que « les cellules longitudinales offrant au boyau sa fameuse élasticité ». On parle aussi de séreuse, pour la partie du boyau recherchée.

Babolat a besoin de 15% des vaches tuées en France pour ses cordages

Maintenant, il faut faire un premier tri. C’est la quatrième étape, le triage sous UV pour éliminer les lanières endommagées. Le tri se fait à l’oeil nu sous la lampe à UV et à la main. Les boyaux sont ensuite attachés autour d’un crochet. C’est ici qu’ils commencent à ressembler pour la première fois à une corde.

Etape de « l’attachage ». Les lanières de boyaux sont regroupées par 7 et attachées à leurs deux extrémités pour commencer à former une corde / DR

Sept lanières sont attachées ensemble à leurs deux extrémités. Elles ont perdu 40 cm entre temps et mesurent maintenant 12,25m.

Les cordes sont ensuite plongées dans sept bains chimiques différents en l’espace de 24 heures. Elles sont ainsi tannées, blanchies et nettoyées. Elle ressemblent alors à de très longs spaghettis.

Les boyaux sont plongés dans plusieurs bains chimiques pour être tannés / DR

24 heures supplémentaires sont nécessaires à leur séchage. Etendues, elles subissent des torsions pour extraire l’eau et « assurer la répartition des efforts sur chaque lanière et la cohésion entre elles ».

Les cordes sont « rectifiées » : elles passent dans un appareil qui polit les cordes sur toute sa longueur au diamètre (jauge, dans le jargon du tennis) souhaité. Une corde de tennis a une taille allant généralement entre 1,1 millimètres et 1,40 millimètres .

Des échantillons de corde sont ensuite testés, puis « choisis » à la main et à l’oeil par des ouvrières pour écarter les cordes présentant des défauts visuels. Elles sont ensuite conditionnées et enroulées dans l’emballage qu’ouvriront le cordeur ou le fournisseur.

Fabrication du cordage en boyau naturel dans l’usine de Babolat à Ploërmel / DR

Environ 300 000 cordes sortent de l’usine de production de Babolat en Bretagne chaque année. Le lieu n’a pas été choisi par hasard, de nombreux abattoirs sont installés sur place et dans l’Ouest.

Le fabricant lyonnais a décidé, « pour se rapprocher d’eux », de délocaliser sa production de cordage en boyau naturel à Ploërmel : 35 personnes travaillent à la fabrication des cordages qui reste « totalement artisanale », selon la société.

Pour atteindre ce niveau de production, Babolat a directement équipé ses abattoirs fournisseurs de ses propres machines de découpes. La fabrication commence donc dès l’abattoir. A raison de deux boyaux de vache pour une raquette, pour atteindre son volume de production le nombre de vaches nécessaires est élevé.

Franck Fernier, chef de produit, estime que Babolat utilise les boyaux de « 15% des vaches abattues en France ».

Le temps de fabrication est lui aussi très long.

« Il faut au global un mois pour fabriquer un cordage en boyau naturel alors qu’il faut seulement quelques jours de production pour un cordage synthétique, selon la technologie », indique-t-on chez Babolat.

Il vous en coûtera 40 euros pour vous sentir Tsonga

Le cordage en boyau naturel est connu pour son confort de jeu, sa souplesse naturelle et son maintien de la tension. Le collagène, présent dans les boyaux, est responsable de ses vertus d’élasticité. Pas étonnant donc que de nombreux joueurs et joueuses professionnelles cordent avec du boyaux naturels, notamment ceux de chez Babolat.

Mais pas totalement. Pour compenser la longévité réduite (le synthétique s’use moins rapidement), une solution hybride est souvent adoptée : une moitié de cordage en boyau naturel, l’autre en synthétique.

En plus de Tsonga, la marque lyonnaise équipe en cordage les Français Julien Benneteau (47e joueur mondial) et Benoît Paire (71e) ou encore la Danoise Caroline Wozniacki (5e joueuse mondiale) et la Polonaise Agnieska Radwanska (14e).

Reste que tout ce long processus de fabrication a un inconvénient en bout de chaîne : son prix. Si les stars du tennis, sponsorisées par les fabricants, n’ont pas de souci de ce côté-là, les joueurs amateurs doivent faire un gros effort pour goûter au plaisir du boyau. Un cordage synthétique vous coûtera en moyenne entre 15 et 20 euros (hors pose), le boyau naturel vous demandera d’en dépenser environ le double, soit 40 euros (hors pose) pour le modèle historique VS Team de Babolat par exemple.

Cela peut monter jusqu’à 60 euros chez d’autres fabricants. Un cordage hybride reviendra à un prix intermédiaire, aux alentours de 30 euros (hors pose).

Si dans le tennis on a coutume de dire que le cordage compte pour 50% des performances, jouer avec du boyau naturel ne vous fera pas atteindre les demi-finales de Roland-Garros. Vous serez moins riche d’une cinquantaine d’euros environ (pose comprise cette fois) mais vous serez cordé comme Tsonga.


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