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Häagen-Dazs à Lyon : des glaces au goût amer pour les salariés

Que se passe-t-il à Häagen-Dazs Lyon ? Chez le glacier de la rue de la République pris d’assaut au premier rayon de soleil, les problèmes sociaux semblent s’accumuler. Après deux rassemblements il y a un an, une salariée vient de gagner son procès aux prud’hommes.

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Le 21 juin, rassemblement devant Häagen-Dazs, magasin rue de la République.

Le 21 juin, rassemblement devant Häagen-Dazs, magasin rue de la République. ©DR

Il y a un an, les 14 et 21 juin 2014, ils étaient quelques dizaines à manifester devant le magasin principal Häagen-Dazs de Lyon pour dénoncer de mauvaises conditions de travail.

Pour contrer le mouvement, le patron de la boutique (une franchise) avait fait signer des affichettes aux salariés pour dire tout le bien qu’ils pensaient de leur employeur.

Quelques mois plus tard cette communication de crise d’un genre participatif a pris un coup. A Lyon, Häagen-Dazs est confrontée à une série de procédures judiciaires qui lèvent le voile sur la manière dont la marque de glaces qui se veut « haut de gamme » traite les salariés de ses boutiques.

Le 21 juin, lors d’un rassemblement devant Häagen-Dazs, des panneaux sont dressés par la direction du magasin de la rue de la République. ©DR

1. Une assistante manager brimée

Dans un jugement daté du 9 mars 2015, le conseil de prud’hommes de Lyon a donné raison à une ancienne salariée de la boutique de la Rue de la République et a condamné la société S.F. et Cie Häagen-Dazs (société qui possède le magasin de la rue de la République mais également celui de la place des Terreaux).

Les juges ont reconnu qu’Assia, 23 ans, embauchée comme « assistante manager » avait eu raison d’acter de sa propre initiative la rupture de son contrat de travail, parce qu’elle était « à bout ». Ce qui signifie que les juges considèrent qu’elle a été licenciée « sans cause réelle ni sérieuse ».

Les prud’hommes ont donc reconnu que cette « assistante manager », qui avait deux ans d’ancienneté au moment des faits, avait été brimée et ramenée au rang de simple employée notamment par la « privation de toucher la caisse, par le retrait des clés de la boutique, par le cantonnement à la plonge » :

« Il ressort une volonté d’isolement de la part de son supérieur, Monsieur XXX, notamment en demandant aux autres salariés de ne plus adresser la parole à Madame XXX et en la coupant du contact avec la clientèle ».

Si le conseil de prud’hommes de Lyon n’a pas reconnu le harcèlement moral, il a été jugé que :

  • la mise à pied disciplinaire dont elle avait été l’objet était abusive
  • plusieurs jours fériés n’avaient pas été payés
  • le temps d’habillage ne lui était pas rémunéré contrairement à ce que prévoit la convention collective.

Häagen-Dazs Lyon a fait appel du jugement.

 

2. Des salariés ne sont pas payés quand il pleut

Dans le même temps, la direction d’Häagen-Dazs Lyon qui possède outre le magasin de la rue de la République celui de la place des Terreaux vient de signer une transaction avec deux autres ex-salariés qui poursuivaient leur ancien employeur aux prud’hommes. Dans l’un de ces deux dossiers, on apprend que des salariés ne sont pas payés quand il pleut.

Assia, la « manageuse adjointe » qui vient d’avoir gain de cause, a témoigné de cette pratique. Il lui arrivait parfois de demander aux employés de base de rentrer chez eux car il n’y avait pas assez de consommateurs de glaces, du fait du mauvais temps.

Cette pratique explique les variations de rémunération qu’a connues un des deux ex-salariés pour lesquels Häagen-Dazs Lyon a préféré sortir le chéquier, afin d’éviter un nouveau procès.
Ce salarié avait signé successivement deux CDD à temps plein, soit 35 heures hebdomadaires ou 151,67 heures mensuelles payées au smic.

Mais quand on consulte une partie de ses fiches de paye, on relève qu’en mai 2013 il ne travaille que 120 heures payées 915,73 euros. En juin 2013, ça augmente un peu, il fait 132 heures payées 1 002,19 euros. En juillet, ça diminue à 124 heures payées 942,67 euros. En août et septembre, il touche enfin le smic prévu dans son contrat de travail. Mais en octobre, rebelote : il fait 118 heures payées 896,65 euros.

Nous avons également eu accès à une attestation d’un salarié, à destination de la direction. Il écrit :

« J’accepte de travailler en dessous des heures prévues par mon contrat, soit ne pas obligatoirement réaliser mes 35 heures par semaine ».

Pour Häagen-Dazs, il s’agit d’un problème d’« heures supplémentaires non versées ».
Chose curieuse, l’autre transaction concerne presque le cas inverse. Un étudiant étranger devait travailler à temps partiel au risque de se voir retirer son titre de séjour. En tant qu’extra-communautaire, les étudiants sont en effet limités dans leur droit au travail.

Mais pour lui, Häagen-Dazs Lyon demandait de réaliser plus d’heures de travail que son statut ne le permettait.

3. Une politique anti-syndicat à Häagen-Dazs

En mai 2014, Vannak Vong avait près de dix ans d’ancienneté quand il a été licencié pour « faute grave », à savoir « un comportement nuisant au bon fonctionnement de la boutique », selon l’agence de communication qui s’est chargée de nous répondre concernant Häagen-Dazs Lyon.

Syndiqué à SUD, cet employé ferraillait avec sa direction pour que des élections de délégué du personnel soient organisées pour les deux magasins des Terreaux et de la rue de la République, gérés par le même patron via deux sociétés distinctes.

Après avoir obtenu la reconnaissance de l’unité économique et sociale devant les tribunaux et donc la possibilité d’organiser ces élections, Vannak Vong avait pu se porter candidat en décembre.

Mais il n’a pas recueilli suffisamment de voix. C’est le « superviseur » (le numéro 2 du magasin), celui-là même qui a pris en grippe Assia, qui a été élu délégué du personnel.

Quelques mois plus tard, Vannak Vong était licencié.

Vannak Vong, ex-syndicaliste de Häagen-Dazs Lyon. ©DR

En tant que candidat aux élections professionnelles, ce syndicaliste de SUD n’aurait pas dû être licencié comme n’importe quel autre salarié. Il eût fallu demander l’autorisation de l’inspection du travail car Vannak Vong bénéficiait d’une protection particulière.

En octobre dernier la cinquième section de l’inspection du travail du Rhône a reconnu formellement qu’il s’agissait bien d’un salarié protégé.

Il a été dressé un PV portant sur des infractions à l’article L 2411-7 qui précise que l’autorisation de licenciement est requise pendant six mois pour le candidat, au premier ou au deuxième tour, aux fonctions de délégué du personnel.

L’affaire doit être jugée aux prud’hommes en février 2016.

A noter que des magasins Häagen-Dazs ont déjà été épinglés pour leur pratique anti-syndicale. Le délégué syndical CGT de la boutique des Champs Elysées avait été mis à pied à titre conservatoire.

4. Une image de marque à préserver

Bien que franchisés, les magasins français d’Häagen-Dazs n’assurent pas leur propre communication à l’endroit des journalistes.

Celle-ci est assurée par une agence de com’ parisienne, Image 7. La marque américaine de crème glacée essaie de soigner sa réputation, pour garder un positionnement haut de gamme.

C’est donc une communicante qui nous a parlé alors que nous souhaitions contacter le franchisé qui possèdent les deux magasins lyonnais, celui de la place des Terreaux et celui de la rue de la République.

La ligne de défense consiste à expliquer que ces affaires ne « concernent pas directement » le franchisé de Lyon mais la gestion de son prédécesseur.

L’actuel patron de Häagen-Dazs Lyon a en effet repris les deux boutiques en décembre 2013 mais il est tenu, au nom de la continuité des contrats de travail, d’assumer la gestion précédente.

Cet argumentaire souffre d’une grosse limite : le licenciement de l’employé syndicaliste s’est déroulé six mois après le changement de franchisé.

Quel que soit le propriétaire des boutiques, Häagen-Dazs ne semble pas tolérer les syndicats. Frédéric Leschiera, responsable du syndicat SUD commerce a défendu tous ces salariés d’Häagen-Dazs Lyon en conflit avec leur direction. Pour lui, au-delà du glacier, c’est la question de ces marques qui fonctionnent avec des magasins franchisés qui se pose :

« Häagen-Dazs impose à ses franchisés des consignes très strictes de fonctionnement mais dès qu’il y a un problème, se défausse sur le franchisé. Il faudrait une loi qui crée une unité économique et sociale sur l’ensemble des franchisés pour qu’il y ait au moins un comité d’entreprise ».

Propriété depuis 2002 de General Mills (géant américains des produits alimentaires), Häagen-Dazs n’est pas dans une bonne passe et « réduit la voilure » selon Franchise magazine. Elle compte une quarantaine d’adresses début 2015 contre 90 au début des années 2000.


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