Un dealer, un client. Vendre, acheter. Ou, à tout le moins, désirer le faire. Car la pièce que Bernard-Marie Koltès a écrite en 1985, quatre ans avant son décès (suivront encore Roberto Zucco ou Le Retour au désert) est un prélude à l’action : ce qui se dit durant 1h15 a trait à la réflexion qui préfigure le geste de céder. Pourquoi et comment s’établit ce lien entre l’un et l’autre, qu’est-ce que ce désir dit de nous ?
Quand bien même l’objet de la transaction ne serait pas une drogue, il y a bien une dépendance – voire une nécessité vitale de consommer. Bienvenue, en conséquence, dans ce temple moderne de la pulsion d’achat qu’est le centre commercial de la Part-Dieu, où se cognent aux vitres des enseignes, comme ils se cognent à eux-mêmes, des protagonistes en plein doute.
Roland Auzet, qui n’a pas peur de se confronter à des textes âpres, fussent-ils pour les enfants (Aucun homme n’est une île, récemment), a choisi de confier ces rôles, jusque-là toujours masculins, à des comédiennes. Un choix qui, sans renverser le propos, a le mérite de prouver que les rapports marchands ne sont pas genrés.
Le jeu reste à distance
Anne Alvaro (passée récemment au TNP avec l’inégal Prince de Hombourg dirigé par Corsetti) et Audrey Bonnet (quasi-égérie de Pascal Rambert vue dans l’indélébile Clôture de l’amour et le très agaçant Répétition) incarnent ces protagonistes avec rage, avec flegme aussi quand il le faut. Bonnet écope toujours de personnages en survie, qui nous sont révélés au moment où ils tanguent furieusement. Son talent à nous les rendre empathiques est indéniable. Mais elle joue ici avec trop de contraintes.
Dans ce lieu encore très fréquenté en soirée, elle et son acolyte évoluent en effet entre les escaliers hélicoïdaux autour de la fontaine centrale, tandis que les spectateurs écoutent les dialogues au casque, les voix ne portant pas jusqu’aux places les plus éloignées de l’espace de jeu. Les bruits parasites sont nombreux, couverts par une bande-son qui prend également le pas sur les silences afin que l’attention ne faiblisse pas.
Voir les passants s’immiscer dans la pièce ou simplement s’arrêter pour y jeter un oeil produit toutefois des moments troublants. Mais ces instants sont trop fugaces. Curieusement, le lieu marque encore plus l’éloignement entre spectateurs et plateau, déjà difficile à combler au théâtre. Seule la force de la narration aurait pu amoindrir cet espace vide. Las, le texte et plus encore l’incarnation qui en est proposée par Roland Auzet, restent à distance.
Dans la solitude des champs de coton
Au centre commercial de la Part-Dieu jusqu’au samedi 23 mai
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