En 2009, les Paniers de Martin connaissaient leur apogée, avec près de 750 commandes par semaine. Début 2015, seulement 250. Sur la boîte e-mail de l’entreprise, des appels au secours de clients désemparés. On ne trouve pas, à Lyon, d’autres systèmes qui soient 100 % bio et local, sans abonnement.
Martin Deslandres ne visait pas le même public que celui des Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (également en difficulté, lire notre article « Les paniers des Amap lyonnaises ne font plus recette »).
« Je m’adressais à des consommateurs engagés, mais pas forcément militants. Mes clients souhaitaient bien manger, en accord avec leurs valeurs, sans obligations hebdomadaires ou participation à une vie associative. Si la contrainte devient supérieure à la volonté d’engagement, on décroche. »
Il suffisait donc de passer commande chaque semaine (ou de façon moins régulière) sur Internet, de son canapé, et de venir récupérer son panier dans le point relais le plus proche de chez soi, dans une tranche horaire donnée. Un système « à la carte » permettait aussi d’ajouter des produits à son panier, comme de la viande, du fromage ou d’autres fruits et légumes.
Le petit panier (3,3 kg, pour 1 à 2 personnes) coûtait 10 euros, le panier moyen (5 à 6 kg, pour 3 à 4 personnes) 17 euros et le panier maxi (8 à 9 kg, pour 4 à 5 personnes) 27 euros.
Enfin, un blog présentait des recettes pour se familiariser avec le chou-rave ou autres espèces méconnues.
« On est resté un mois sans manger de légumes ! »
Élodie Gassaud, d’abord cliente, s’est prise au jeu et s’est proposée comme point relais… dans son jardin, à Écully. Une façon, pour cette présidente de l’association environnementale Planet’en vie, de participer au combat pour le bien-manger. Avec la cessation d’activités, elle se retrouve esseulée.
« J’aimais la philosophie du projet. Depuis, c’est la consternation dans mon jardin. Tout le monde se plaint de ne pas trouver ailleurs du bio et du local. À la maison, on est resté un mois sans manger de légumes ! Maintenant, on retourne au marché et au magasin bio. Mais ce n’est plus pareil : je trouve cela contraignant, j’ai moins envie de tester certains produits. »
Céline Andrieu, dans le quartier de Confluence, n’a pas trouvé non plus de solution miracle pour remplacer sa commande hebdomadaire. Cliente depuis 2008, elle avait opté pour ce système par envie de se mettre au bio, à la naissance de ses enfants :
« L’arrêt des Paniers de Martin a changé quelque chose dans notre quotidien. J’avais totalement confiance, l’offre correspondait exactement à ce que je voulais et les produits étaient incomparables… Depuis, on a commencé à regarder ailleurs, mais les autres formules ne me conviennent pas. Il s’agit souvent d’agriculture conventionnelle. L’effet marketing du panier laisse croire qu’on se tourne vers la qualité : attention, ce n’est pas toujours le cas ! Les consommateurs se font avoir. »
Pendant cette aventure d’une décennie, Martin Deslandres a travaillé une soixantaine d’heures par semaine, « par passion ». Sa gratification : voir la satisfaction sur le visage des consommateurs et des producteurs. Mais le système avait atteint l’épuisement…
Il tente d’expliquer cette liquidation par plusieurs facteurs :
- Des difficultés liées au site Internet : le site a changé l’an dernier et certains clients étaient un peu perdus avec la nouvelle interface ; il y a eu aussi de nombreux bugs : des personnes ont eu du mal à passer commande pendant quelques semaines, le temps que les soucis techniques soient réglés.
- Une généralisation des épiceries bio
- Un plus grand choix de produits sains en supermarché
- L’essoufflement de l’ « effet de mode des paniers ».
Les paniers ont-ils bénéficié, comme il le dit, d’un effet de mode, complètement éphémère (nous vous en parlions il y a deux ans : « Le business des paniers alimentaires ») ? Yoann Alarçon, créateur et dirigeant de Potager city, n’a pas le même avis sur la question :
« Les paniers ont de l’avenir ! Nous sommes 40 dans l’entreprise, lancée à deux fin 2007, et nous continuons de grandir. Cela fait quatre années de suite qu’on a une croissance supérieure à 50%. »
Potager city fonctionne comme les Paniers de Martin, sur la base d’un site internet et de commandes hebdomadaires, sans abonnement, à retirer dans des points relais – et même dans quelques stations de métro, dans le cadre d’un partenariat avec TCL.
Désormais, selon le dirigeant, près de 4 000 paniers seraient distribués par semaine, en moyenne, dans la région lyonnaise. Les affaires marchent si bien que la petite entreprise locale s’est établie aussi en Provence-Alpes-Côte-D’azur, Languedoc, Île-de-France, Aquitaine et Midi-Pyrénées.
« Et si ce n’était pas possible, le 100 % bio et local ? »
Yoann Alarçon rend hommage au pionnier Martin Deslandres, son modèle lorsqu’il a débuté, et s’attriste de la cessation d’activité. Mais il explique le succès de Potager city par une mutation nécessaire des paniers, qu’il a su négocier.
« Et si ce n’était pas possible, le 100 % bio et local ? On est encore là aujourd’hui parce qu’on s’est posé cette question. On a freiné sur la courge. Les gens ne supportaient plus de manger la même chose tout l’hiver, ils se lassaient. On a diversifié le contenu en allant chercher ailleurs les produits et en adoptant des méthodes plus commerciales. Des choix payants, pour l’instant. On veut accompagner les gens dans les changements d’alimentation, en douceur, à petites doses. »
Nés sur des idéaux, les paniers originels 100 % bio et locaux ne seraient pas viables commercialement. Une dimension économique que Yoann Alarçon, diplômé d’un master de Management durable, a peut-être mieux en tête que Martin Deslandres, ingénieur agricole. Potager city a proposé l’an dernier des paniers avec des produits à 89 % locaux et à 40 % bio.
« À l’échelle de notre société, on fait ce qu’on peut. Plus on fait de bio et de local, plus on est satisfait ! On peut toujours faire mieux, mais le consommateur n’est pas prêt à tous les sacrifices. Et il est difficile, pour nos quantités, de trouver assez de bio en Rhône-Alpes. Notre promesse de qualité n’est pas parfaite, mais au moins on la tient. »
Yoann Alarçon insiste sur ses valeurs et vante l’agriculture « raisonnée ». Pour défendre ses choix, il invite à regarder la provenance des produits en magasin bio ou en supermarché… Le local y a peu sa place. Lui donne la priorité au frais, au bon et au régional, sans tomber dans l’extrême. Une recherche de compromis entre des convictions fortes et les envies non-négociables du consommateur. La stratégie gagnante serait-elle donc celle de la mesure ?
Dans le point relais, en tout cas, on ne se plaint pas. Tous les jeudis, Karine Lignié vient chercher ses paniers Potager city chez son boucher. Lassée par le principe de l’Amap, elle a changé de tactique depuis deux ans et ne regrette rien. Trouver dans ses achats des citrons et des oranges venues de contrées lointaines ? Loin de s’offusquer, elle en est ravie.
« On a droit à une vraie variété : avec l’Amap, les pommes pendant six mois d’affilée, j’en avais marre ! Les agrumes ne poussent pas en Rhône-Alpes, donc tant mieux. Quant au bio, il y en a régulièrement, tant pis si ce n’est pas à 100%… L’important, c’est que j’ai rarement de mauvaises surprises sur la qualité. J’aime les produits. »
Une relance en prévision pour Martin
En France, les paniers 100 % bio et local connaissent les mêmes difficultés que ceux de Martin Deslandres. On en trouve très peu… L’Arbre à paniers, à Montpellier, a été créé en 2010. Johan Crance gère la logistique tout en restant très pessimiste.
« C’est compliqué, on ne s’appuie pas dessus pour en vivre. On a entre 40 et 100 commandes hebdomadaires. Je le prends à la fois comme un complément économique à mon activité de producteur et une façon de militer pour une meilleure agriculture. »
Même son de cloche du côté des Paniers de Mariette, en Alsace. Jean-Christophe Sussmann pense que la prolifération des produits bio dans les magasins et de paniers en tout genre dessert la qualité, voire égare le client. Il ne prédit aucun avenir à ce système. Ses 300 commandes hebdomadaires mettent du beurre dans les épinards, mais il n’en vit pas.
Aujourd’hui, trois mois après l’arrêt de ses activités, Martin Deslandres se remet de ses émotions. Il veut prendre le temps de tout mettre à plat, avec les producteurs, les consommateurs et même les collectivités locales. Mieux comprendre, pour mieux rebondir.
Il veut redéfinir son rôle d’intermédiaire dans les circuits courts et aimerait relancer un jour les Paniers de Martin, de façon différente : avec un local dédié, des animations culinaires, des innovations… Il reste convaincu que le système peut marcher.
Martin Deslandres ne veut pas baisser les bras, s’accrochant à son modèle d’agriculture locale totalement biologique. Et à sa bonne étoile.
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