Des techniciens posent un grillage entre des arbres et des carrés de choux. Ainsi s’est déroulée cette étrange matinée de vendredi 17 avril qui a vu intervenir les forces de l’ordre et les services techniques de la Ville de Lyon pour sécuriser le « jardin pirate » des Pentes de la Croix-Rousse appelé le « jardin des Pendarts », situé à l’angle de la rue du Bon Pasteur et de la Montée Allouche.
Cette friche, abandonnée depuis longtemps, a été investie en février par des riverains pour y développer une expérience potagère collective. L’occupation spontanée s’est faite sans l’accord de la Ville de Lyon, à qui appartient le terrain. C’est donc considéré comme un squat.
D’arrêté municipal en ordonnance du tribunal, les « jardiniers artivistes » se sont fait déloger.
Absence de dialogue entre les jardiniers activistes et la mairie
L’histoire démarre il y a un an, lorsque l’association La Ruche s’implante – sans convention d’occupation – dans une maison vide au 33, rue du Bon Pasteur que la ville de Lyon a acquise en 2012. Bref, l’association squatte la maison.
Dans la petite salle de spectacle, la salle de réunion et le patio, La Ruche met en place des activités en lien avec d’autres associations, et avec les riverains. Danse latine, soutien scolaire, jazz et idée de permaculture y prennent racine.
Rapidement, le couperet de l’arrêté municipal tombe : le lieu n’est pas aux normes et les activités doivent cesser. Arthur et Luisa, 21 et 28 ans, tous les deux animateurs périscolaires, racontent :
« On a envoyé des dizaines de mails. Aucune réponse. Certains de nos adhérents sont ingénieurs, architectes, ouvriers. On a proposé de tout mettre aux normes gratuitement. On a envoyé des courriers. Aucune réponse. Seules les élues du premier, Nathalie Perrin-Gilbert et Émeline Baume, ont accepté de nous rencontrer. Nous, on demande juste le droit d’être là. »
Mais ces élues du premier arrondissement ne peuvent décider d’une convention d’occupation pour une maison appartenant à la Ville de Lyon. Celle-ci se trouve au bord d’une immense friche de 1 700 m² appartenant également à la Ville, pour laquelle La Ruche aimerait aussi négocier une convention d’occupation afin d’en faire un jardin partagé.
Las d’un dialogue qui peine à se nouer, des habitants du quartier accompagnés de quelques militants, se lancent dans l’occupation spontanée et illégale du terrain d’à côté fermé par un grillage.
Le 28 février 2015, le collectif les Pendarts lance un appel au jardinage et reçoit plusieurs centaines de personnes qui viennent défricher, construire, mettre en place un potager. On y trouve aussi un lombricomposteur, une poule, des fleurs, et des semis.
Les gens viennent gratter la terre, comme en cet ensoleillé après-midi d’avril. Valentine, voisine retraitée de 76 ans et ancienne cheffe d’entreprise défend avec conviction le projet :
« Ces jeunes sont des bâtisseurs. Le jardin n’est pas sauvage et tout est fermé le soir. Ce jardin et cette maison ont tout de même été achetés avec les sous des Lyonnais, donc ils appartiennent aux Lyonnais ! »
Jeanne a quant à elle 7 ans. La voilà qui gratte la terre pour planter des pensées que Xavier, un restaurateur de 63 ans, a apportées. La petite fille raconte :
« La première fois, je suis venue avec une copine, Maman nous a emmenées. Là, je voulais voir les fleurs. Aujourd’hui, on a sauvé des escargots et appris la vie des abeilles. »
Sa mère, Catherine, 44 ans, fonctionnaire à la mairie de Bron ajoute :
« Entre le parc Sutter à côté et ici, rien à voir. Dans le parc, les gens ne se parlent pas. Ici, on discute avec tout le monde. »
En faire un jardin partagé comme tant d’autres
Les Pendarts voulaient faire de leur « jardin pirate » un jardin partagé. Ces jardins urbains se multiplient à l’initiative d’habitants qui veulent cultiver collectivement les dents creuses laissés par le béton. Nous avions réalisé un reportage sur le sujet en octobre dernier.
Nombreux sont ces délaissés urbains à avoir été été occupés sauvagement avant de passer une convention avec la municipalité.
Béatrice Charre, directrice du Passe-jardins, le réseau régional des jardins partagés, raconte l’émergence de ce mouvement jardinier :
« Les jardins partagés sont aujourd’hui en plein développement. Mais au début de ce mouvement, il y a une dizaine d’années, les jardins n’avaient pas tous des conventions d’occupation. Et puis, la Ville de Lyon a pris en compte les demandes, la communication s’est établie et des procédures se sont mises en place. Mais la contrainte par le foncier reste réelle. »
La mairie de Lyon a bien pris la mesure de cette nouvelle vague verte, en soutenant de nombreux projets. Aujourd’hui, 42 jardins ont signé la toute récente charte des jardins partagés et de nouvelles initiatives vont bientôt voir le jour. Dounia Besson, adjointe au maire à l’Économie sociale et solidaire explique la démarche :
« Les jardins partagés sont un important outil de l’économie sociale et solidaire. Pour moi, il est important qu’ils partent du territoire, qu’ils soient des initiatives citoyennes. Les services municipaux réalisent les études, en terme de pollution et de sécurité. Viennent alors d’éventuels travaux. Puis, les conventions sont établies, avec une remise des clés officielle. »
Qu’est-ce qui coince ?
Mais qu’est-ce qui coince alors avec le jardin des Pendarts ? Pourquoi la mairie centrale n’a t-elle jamais répondu aux sollicitations répétées de La Ruche ? Dounia Besson botte en touche. Le dialogue ne s’est jamais créé, comme le déplore également Émeline Baume, conseillère municipale EELV du 1er arrondissement par ailleurs conseillère métropolitaine membre de la commission permanente.
Un projet immobilier sous-tendrait-il le silence de la mairie ? Cela ne semble pourtant pas être le cas, puisque selon la maire du 1er, Nathalie Perrin-Gilbert, qui marque sur le sujet son opposition à la mairie centrale :
« Il ne peut y avoir de projet ici venant de la ville à l’échelle de quatre ou cinq ans. Cela nécessiterait une révision du PLUH, non prévue avant fin 2016. Le temps qu’un projet se mette en place, il n’y aura rien avant 2018. Personnellement, j’affirme mon soutien au projet des Pendarts, qui pourra nous aider à nourrir, à réfléchir, un projet municipal futur. »
Une question de sécurité
Suite à l’occupation des Pendarts, la Ville de Lyon a interdit l’accès au terrain par un arrêté municipal qui fait référence à un autre arrêté réglementant les zones exposées aux risques de mouvement de terrains sur Lyon.
Interrogé avant l’évacuation du jardin, l’adjoint PS délégué à la sécurité, Jean-Yves Sécheresse, expliquait pourquoi il a pris cet arrêté de sécurité :
« J’ai été extrêmement inquiet quand j’ai appris que des personnes étaient entrées sur le terrain. En effet, le terrain est constitué de caves comblées, le sol est fait de déblais. D’autre part, nous jugeons dangereux les murs qui soutiennent la terrasse. Les services techniques ont constaté des pierres déchaussées, des effondrements… Il n’y a pas non plus de garde-corps sur la terrasse. Autre aspect, très grave, c’est la présence de galeries en profondeur. Nous avons réagi, non pas pour embêter tout le monde, mais parce que le terrain est incompatible avec l’utilisation qui en est faite aujourd’hui. Il est dangereux. »
Le problème soulevé par l’adjoint concerne l’ensemble des Pentes de la Croix-Rousses qui sont transpercées de trous, galeries et caves. Ces balmes seraient pour la plupart d’anciennes conduites d’adduction d’eau, datant des Romains, puis du Moyen-Age. Ce qui peut créer des effondrements.
Un ingénieur géologue travaillant au sein d’une société lyonnaise de soutènements et fondations, a été confronté de nombreuses fois à la problématique dans l’exercice de sa profession. Sous couvert d’anonymat, il explique :
« Il y a une possibilité d’effondrement avéré, et la Ville de Lyon a pris ce risque au sérieux. La commission des balmes est un collège d’experts très sérieux, qui se prononce pour parer l’éventualité du risque sur les nouvelles constructions. Un effondrement peut arriver n’importe où, dans n’importe quel jardin alors qu’un habitant passe sa tondeuse. »
Pour cet ingénieur, il n’y a donc pas plus de risque d’effondrement au jardin des Pendarts qu’ailleurs sur les Pentes de la Croix-Rousse.
Des jardiniers trop pressés
Voisins des Pendarts, les jardins partagés de la Muette, créés en 2009 à flan de coteau, à côté du jardin des Chartreux, ont vu les services de la ville effectuer des vérifications avant d’être investis par les riverains : sondage de barbacane et coupage d’arbres dangereux pour sécuriser les fameuses balmes.
Les membres de l’association n’ont pas le droit de grimper sur les pentes, et se contentent d’occuper les surfaces plates en terrasse. Claude Bolle-Reddat, infirmière à la retraite, est présidente de Grattons les Pentes, l’association qui gère le jardin :
« On a attendu deux ans entre le moment où le projet a été envisagé, en 2007, et celui où on a pu en jouir, en décembre 2009, le temps que les services municipaux fassent leurs études et leurs travaux. Deux ans à rêver notre jardin. On était tellement contents qu’on est venu planter directement. »
Si les jardins partagés de La Muette ont suivi la filière institutionnelle classique, ce n’est pas le cas du collectif des Pendarts qui n’a pas voulu patienter tout ce temps et a donc décidé d’occuper le terrain avant d’obtenir une autorisation de la mairie.
Un nouveau grillage et une petite parcelle
Le tribunal de grande instance de Lyon a donné raison à la municipalité « en ordonnant l’expulsion » de cette parcelle 148 de tous les occupants sans droit ni titre, avec le concours de la force publique.
Sauf que malheureusement, le terrain s’étend sur les parcelles 148, 160, et 163. Il semble qu’il y ait eu un oubli dans la procédure.
Ce vendredi matin, les parcelles 160 et 163 n’étant sous le coup ni d’arrêté, ni d’ordonnance, jardiniers activistes et riverains se sont installés sur le quart de terrain encore libre. Mais ils n’ont plus accès à leur potager.
Nous avons alors assisté à une scène curieuse : les techniciens installaient un grillage au milieu du terrain, tandis qu’une poignée de policiers surveillaient ledit grillage. Un agent de sécurité mandaté par la municipalité devrait être posté sur le surveiller.
Un jardinier s’interrogeait :
« Combien nous coûte cette débauche de justice, de techniciens, de surveillants ? »
Malgré cette ubuesque situation, jardiniers des Pendarts et membres de La Ruche se retrouvent aujourd’hui dans la plus totale incertitude quant à leur futur.
Une pétition de soutien tourne et a pour le moment recueilli 1900 signatures.
La mairie du 1er arrondissement, par la voix de Laurence Boffet, conseillère d’arrondissement, a promis de continuer à soutenir le projet :
« Comme le permets la loi PLM, on va demander le transfert du jardin de la Ville à l’arrondissement. »
Réouverture du jardin le 1er mai
Vendredi 1er mai, soit exactement deux semaines après l’expulsion, les « Pendarts » ont découpé le grille de la rue Bon Pasteur pour replacer la porte ouvragée de leur « jardin pirate ».
Ils l’ont fait en début d’après-midi alors que des policiers municipaux et nationaux venaient régulièrement voir ce qui se tramait. Il faut dire que le collectif avait annoncé la réouverture sur leur site.
Le grillage qui avait été fraîchement posé pour séparer les parcelles a été enroulé dans un coin. Pour relancer le jardin, les « Pendarts » avaient placé cette journée du 1er mai dans le sillage des luttes des Pentes et du Plateau puisque le Comité populaire de la Croix-Rousse, créé en 1972 contre le bétonnage du quartier a été symboliquement recréé. S’en est suivie une après-midi de réinstallation clôturée par une criée exceptionnelle de Gérard Rigaud, crieur de son état de 2007 à 2011.
Quand on leur demande comment ils envisagent les lendemains de cette réouverture, les « Pendarts » annoncent : « si on nous expulse de nouveau, on réouvre derrière ». En attendant, ils vont s’occuper des radis.
> Article actualisé le 1er mai à 23h suite à la réouverture du jardin.
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