J’ai décidé de me tourner cette année encore vers le Beaujolais, région où le vin naturel est en plein renouveau depuis les années 80.
Inutile de revenir une nouvelle fois sur le passé tumultueux du Beaujolais. Terre historique du vin naturel grâce à l’implication de nombreux vignerons depuis les passages (entre autres) de Jules Chauvet, Marcel Lapierre et Jacques Néauport, c’est une toute nouvelle génération de néo-vignerons que l’on voit débarquer. La plupart du temps « fils de » mais aussi des reconvertis, passionnés et motivés. Il y a donc matière à raconter.
Rencontres, plongées dans la terre mais aussi dans tout ce qui se rapproche du travail du vigneron, dans la vigne comme au chais, jusqu’à la mise en bouteille et la commercialisation du vin : je ne viens pas que pour déguster mais pour m’immiscer au cœur du métier et me fondre dans le décor. Voilà ce qui m’anime depuis dix ans déjà.
L’appel du gamay, ce lundi sera Fleurie
La veille au soir, j’avais englouti quelques grammes d’une bizarrerie australienne, un vin naturel composé entre autre de syrah, cabernet, merlot et pinot noir. Net, précis et fruité à souhait, dominé par les épices du cépage principal, la syrah. Mon palais réclamait alors de la fraîcheur, et mon esprit, de la nature.
9h30 : premier contact pris avec Lilian Bauchet, un vigneron dont je vous reparlerai par la suite. Rencontre reportée à lundi prochain. Au programme : dressage de cheval dans les vignes. La selle étant sellée côté Bauchet, voyons donc pour un autre tour.
Ce lundi matin donc, quelque peu illuminé et l’œil rougissant, je décide de répondre à l’appel du gamay.
10h : vient le tour de l’ami Yann Bertrand, jeune vigneron résidant à Fleurie. Il m’a donc accueilli toute une journée au Domaine des Bertrand.
La façon de penser du garçon m’avait déjà frappé lors de notre première rencontre en 2014. A peine nous étions-nous séparés que je clôturais la journée par son éclatant Fleurie « Coup d’Folie » 2013. Cette année, le printemps, précoce est bienveillant. Nous sommes lundi matin.
« Rejoins-moi, on file chez Antoine Sunier (un néo-vigneron, frère de Julien Sugnier élu récemment « Découverte de l’Année 2015″ par le magazine RVF) pour dégazer une partie de son vin, pour le reste on verra bien … »
Connexion établie. Moi qui vous avais promis de vous causer du gaz dans les vins, voilà mon sujet servi sur un plateau. Arrivés au Domaine des Bertrand, nous faisons face à un changement de programme, Antoine n’est finalement pas disponible, nous resterons donc au domaine.
Yann Bertrand y reprend depuis peu les rênes de l’affaire familiale, le Domaine des Bertrand.
Le bon et le bio mouron : « c’est ici que mon vin prend racine »
Converti en bio, il s’étend sur 7,5 hectares dont 2 sont déjà travaillés selon les préceptes de la biodynamie. La densité de plantation y est importante pour produire des jus concentrés (10 000 pieds / hectare, mise en concurrence par le système racinaire).
D’un seul tenant, ces terres situées sur le Climat « Grand Pré » abritent en réalité deux appellations : Fleurie et Morgon.
C’est dans le jardin viticole que nous nous rendons en premier lieu. Habité par une réflexion permanente, Yann Bertrand aborde tout d’abord la typicité des sols et glisse sa main dans un petit amas de mouron :
» La présence de cette plante est un bon indicateur quant à la vie de mes sols.
Ici, nous sommes en terrain sablonneux, mais à quelques mètres d’ici plus en contrebas, la rétention d’eau n’est pas la même, on retrouve de l’argile sur un bout de terrain, et cette plante n’est pas présente. Je dois donc comprendre chaque jour un peu plus ce terroir pour lui apporter le meilleur.
C’est ici que mon vin prend racine ».
Et lorsque je glisse à mon tour les doigts dans la terre, aérée et odorante, je comprends mieux un peu plus tard dans la journée, pourquoi ces vins résonnent tant.
Le juste milieu pour obtenir de grands vins
Nous rentrons donc dans le chai, là où dorment les vins. Yann Bertrand élève tous ses vins dans des barriques de bois. Curieux de nature, il teste en permanence de nouveaux formats de fûts (225L, 300L, 600L) mais également de provenance différentes :
« Celui-ci vient de chez Lucie Fourel (Domaine de Lucie), il a hébergé de la syrah. Et celui-là a élevé du Montrachet (cépage chardonnay); mais là je fais gaffe car les fûts de chardonnay donnent des vins plus floraux. Ces contenants ne sont pas neufs. J’utilise des fûts de 1995 pour le plus vieux à 2008 pour le plus récent. »
En gros, le vin entre en phase de réduction dans un milieu fermé (la barrique ou fût) puis intervient une micro-oxygénation par l’oxygène, qui arrive de l’extérieur et qui s’infiltre tout doucement par les pores du bois.
« Pour moi, la micro-oxygénation sur les gamays est nécessaire par l’élevage. Mes vinifications se font en grappes entières, c’est de la macération de baies en semi-carbonique avec peu ou pas d’intervention. Les tanins doivent alors se fondre. C’est donc pour cela que je laisse ensuite mes vins s’attendrir dans ces barriques.
La micro-oxygénation (qui se réalise par les pores du bois) permet également de fixer un peu mieux les couleurs. Je tâche de rester sur le fil de l’oxydo-réduction (oxydo = apport d’oxygène , réduction = manque d’oxygène), le juste milieu selon moi pour obtenir de grands vins. »
Dégustation sur fût
Nous goûtons donc sur fût (il n’y a plus rien à vendre en bouteille au domaine depuis plusieurs mois, le vigneron a même du mal a garder quelques bouteilles pour son plaisir personnel), pipette à la main.
Le même jus, élevé dans des bois différents offre bien des nuances. Plus épicé par ci, plus floral par là… Les Coup d’folie (A.O.C. Fleurie) et autres Coup d’Canon (A.O.C. Morgon) viennent d’être mis en bouteille :
« Ils reposent quelques semaines à la cave, le temps de se remettre de la mise. Nous les goûterons une prochaine fois, je les laisse se reposer un mois environ. »
Les autres cuvées sont toutes là, prêtes à s’offrir à nous :
Dégustation des cuvées « Coup de Foudre » (A.O.C. Fleurie) , « Cuvée du Chaos » (A.O.C. Fleurie), A.O.C. Morgon « Biodynamite », vibrantes, robes éclatantes et nez de cerises et d’épices pour les unes, de framboises, sauvages, classées Top Niveau (10/10 sur l’échelle de la Torchabilité). « Ces vins là sont élevés un peu plus longtemps que les autres ( A.O.C. Fleurie « Coup d’folie » et A.O.C. Morgon « Coup d’Canon » ), m’explique alors le vigneron. »
Les enfants du Beaujolais
Nous terminons la journée autour d’un Fleurie « Cuvée du Chaos » 2013, pleine et racée. Yann, perfectionniste, semble satisfait de cette cuvée, il s’exprime enfin sur le vin que nous apprécions ensemble autour du repas :
« Voilà, tu as le style même du vin que j’aime produire. Un nez ouvert sur les fruits noirs, légèrement épicé, avec des tanins souples et une belle longueur en bouche ! Là, je me régale. Ça me fait plaisir de boire un canon pareil. »
Les échanges continuent lors du déjeuner et nous clôturons le débat sur la nouvelle génération et l’âme qui en ressort, Génépi aidant. Les jeunes vignerons apparaissent soudés, soucieux du potentiel de leur précieux terroir, prêts à continuer le travail produit dans le Beaujolais depuis plusieurs années déjà. Rigueur et qualité, production et rendements maîtrisés.
J’espère aller à leur rencontre rapidement et vous en peindre les portraits lors de prochains articles.
Voici les noms de la toute nouvelle génération : Camille Lapierre, Antoine Sunier, Jules Métras, Alex Foillard, Kévin Descombes , Pierre Coton, Yann Bertrand…
Sans oublier tous les néo-vignerons comme Jérôme Balmet, Sylvère Trichard, Lilian Bauchet, Cyrille Vuillod, Julie Balagny ou France Gonzalvez…
Les enfants du Beaujolais, les petits-enfants de Chauvet.
Chargement des commentaires…