Un samedi matin. Une grosse dizaine de femmes se retrouvent, un peu tendues, dans une salle du 1er arrondissement de Lyon. Elles viennent participer à un stage d’autodéfense pour femmes de deux jours, organisé par la structure lyonnaise Autodéfense et Autonomie.
D’abord, les présentations. Assises en cercle, une balle roule pour désigner la prochaine prise de parole. Quelques mères de famille, une dame plus âgée. Et pas mal de filles coincée entre vingt et trente ans.
« Je voyais des personnes se faire agresser sans savoir quoi faire »
Delphine, justement trentenaire, est professeure des écoles à Vénissieux. Par le bouche à oreille, elle a appris l’existence du stage. Elle raconte, six mois après, les doutes et les angoisses qui l’ont amenée à participer :
« Je cauchemardais beaucoup. Je rêvais que j’étais poursuivie et que quelqu’un allait me frapper. Sinon, au quotidien et comme beaucoup de femmes, je vis régulièrement de petites agressions verbales, des gestes obscènes. Je ne sais pas toujours comment y réagir. Parfois, je dois aussi gérer des parents en colère. »
Alina, 31 ans, chômeuse de l’audiovisuel, a également réalisé le stage il y a plusieurs mois. Elle raconte pourquoi elle s’est inscrite :
« Je subissais malheureusement le harcèlement de rue sexiste. Parfois aussi, je voyais des personnes se faire agresser et je ne savais pas trop quoi faire. A chaque fois, je manquais d’outils, et je me disais a posteriori que ‘aurais dû dire ça, j’aurais dû faire ça… »
L’association qui reçoit ces femmes, Autodéfense et Autonomie, est née en 2008 sous l’inspiration de groupes existant dans d’autres pays, notamment le Centre de Prévention des Agressions de Montréal, ou Garance en Belgique.
Créée par des militantes féministes, elle s’est donnée pour objectif de développer et diffuser des outils adaptés à l’autonomie des femmes et des personnes LGBT.
« Savoir frapper et crier »
Aurélia, une membre active du groupe, explique :
« Notre première mission, c’est de défaire les préjugés. D’abord, les violences physiques que vivent les femmes sont spécifiques. Elles endurent d’avantage de sévices sexuels. De plus, dans les trois quarts des cas, leurs agresseurs sont des personnes connues, des proches, et pas des inconnus. »
On se rappelle de la paranoïa autour du « violeur du 8è arrondissement » à Lyon (en 2012 et 2013), qui a alimenté des peurs. Mais qui ne représente pas la majeure partie des agressions.
Aurélia continue :
« Informer est fondamental. Comment se protéger efficacement quand on s’imagine que le danger vient d’inconnus la nuit, alors qu’il vient le plus souvent du conjoint ou du grand tonton, en plein jour ? »
Après l’information, la pratique. Pendant les deux jours de stage, l’apprentissage conduit à prendre conscience de sa force. Force physique bien sûr, à travers des exercices dérivés du Wendo, une méthode d’autodéfense pensée pour les femmes : apprendre à se dégager d’une prise ou découvrir la possibilité de se défendre sans objets extérieurs. Force aussi, inhabituelle, de la voix. Crier, tonner et tonitruer.
Sophie, une autre membre de l’association, commente :
« On vit dans une culture de la peur et de la soumission. En cas d’agression, les femmes pensent généralement qu’elles ne doivent pas réagir, car elles risqueraient d’aggraver la violence. Or des études américaines montrent que celles qui résistent en criant ou en se défendant arrivent à stopper les situations de viol, sans forcément être davantage blessées. »
Non, c’est non. Mais peut-être peut-on arriver à désamorcer une situation sans arriver à se battre ou sans avoir à brailler ? Aurélia explique :
« L’agression n’est pas un phénomène indépendant. Elle se trouve au bout d’une chaîne d’actions, d’un continuum de situations, qui conduisent à l’attaque physique. Il est possible de désamorcer beaucoup de choses en amont. »
Dans cette optique, plusieurs exercices entraînent les participantes à fixer leurs limites. Apprendre à dire non, bien avant de parvenir jusqu’aux moments critiques.
« Je m’entraîne devant mon miroir »
Linda, 25 ans, occupe un poste de caissière dans un supermarché pour financer ses études. Elle a participé au stage il y a un an, et raconte :
« Un exercice qui m’a marquée ? On se place face à face avec une autre fille. On doit la faire reculer en le lui demandant. Au début, ça me faisait rire, je n’y arrivais pas. Ma partenaire ne reculait pas du tout… Et petit à petit, je me suis affermie. Je posais mieux mon corps, ma voix, mon regard. Je réussissais de mieux en mieux, elle reculait. Je ressentais ma force ! Du coup, parfois, je m’entraîne devant mon miroir. »
Pour imaginer de nouvelles tactiques, un autre exercice consiste à rejouer une situation pénible. Delphine, l’institutrice, décrit un moment particulièrement désagréable :
« Un soir, je voulais partir plus tôt du travail. Je suis allée demander la permission aux directeurs de l’école. L’un d’eux m’a répondu : « Ok, et en échange, une petite pipe ? ». Ça m’a vraiment choquée. Je suis partie brutalement, avec leur « Mais non, on rigole… » qui me suivait.
Pendant le stage, j’ai rejoué cette scène, et j’ai trouvé des réparties plus appropriées : « Ce que vous faites s’appelle du harcèlement sexuel » ou « ce que vous dîtes ne me convient pas, et je ne veux pas que ça se reproduise. » »
« On ne devrait pas avoir à apprendre à se défendre »
A la sortie du stage, toutes les filles se sont dites confiantes et enthousiastes. Six mois après, Delphine fait moins de cauchemars. Elle se sent plus sûre d’elle et en parle. Alina, plutôt effacée, considère qu’elle a gagné « en présence » :
« J’agis d’avantage. Dans le métro, j’ai été témoin d’un geste, un homme sur le point de voler le sac d’une femme. Des gens observaient et se taisaient. Alors, j’ai prévenu cette dame et réclamé des comptes à l’homme. Il ne s’y attendait pas et s’est retrouvé très embarrassé. Je ne pensais pas que j’avais cette légitimité, que parler pouvait avoir cet effet. Je n’aurais jamais agi comme ça avant le stage. J’ai ressenti de la fierté. De le faire. »
De son côté, Linda pèse le pour et le contre. D’un côté, elle sait qu’elle est moins vulnérable. Moins douce, moins souriante. Son attitude a changé, les clients du supermarché l’agressent moins, la draguent moins.
« Avoir des outils pour se défendre, c’est bien. Mais il ne faut pas oublier que le problème ne vient pas de nous, mais de ceux qui agressent. Beaucoup d’hommes sont persuadés depuis leur enfance que nous harceler, ce n’est pas très grave. En apprenant à nous défendre, on traite un symptôme. Mais en fait, on ne devrait pas avoir à apprendre à se défendre. On devrait pouvoir se sentir en sécurité en société. »
« Pas seulement pour les militantes ou femmes battues »
Se sentir en sécurité en société lorsqu’on est femme ? Il semblerait qu’il reste encore un bout de chemin à parcourir, puisque la demande en matière de stage d’autodéfense non mixte va croissante. Depuis une dizaine d’années, des associations voient le jour dans plusieurs villes de France : l’ASSPA à Grenoble, Brin d’acier et PotentiElle à Dijon, deux Trousse à outils, une à Marseille, et une à Nantes, Diana Prince Club et Arca-f à Paris, et Faire-face à Toulouse.
La parisienne Arca-f a été créée il y a un peu plus d’un an. Comptant une quarantaine d’adhérentes et deux formatrices, l’association est aujourd’hui portée par le bénévolat, et cherche des financements publics pour se développer. Sarah Fernandez, la fondatrice, travailleuse sociale et militante syndicale commente :
« Aujourd’hui, la problématique de l’autodéfense, c’est de montrer qu’elle s’adresse à toutes les femmes, et pas seulement aux militantes ou aux femmes battues. »
Côté sud-ouest, l’association Faire-face, fondée en 2007, compte deux salariées et huit formatrices. Il s’agit de l’association d’autodéfense la plus structurée, en France. Financée à 60 % par des subventions publiques, elle travaille avec différents partenaires en place sur les territoires. Au futur, elle souhaite régionaliser ses activités et s’ouvrir sur le milieu professionnel.
Anne-Sophie Terral, en charge du développement de l’association, analyse :
« Dans des pays comme la Suisse ou la Belgique, l’autodéfense est reconnue comme un outil de prévention et intégrée dans les politiques publiques. L’enjeu, pour nous, consiste à démocratiser l’autodéfense et effacer les stéréotypes. Nos associations sont pionnières et l’outil reste encore mal connu. »
L’imaginaire autour des féministes revêt parfois les habits un peu anxiogènes d’une harpie au crâne rasé montrant son majeur à l’ensemble de la gent masculine. A Lyon, l’association Autodéfense et Autonomie essaie de s’éloigner de ces mythes pour toucher un public de plus en plus large. Comptant dix membres actives, toutes bénévoles, et une cinquantaine d’adhérentes, elle propose régulièrement des stages de deux jours à inscription et prix libre (comme ce week-end, les 14 et 15 mars), des stages de formats variés pour les institutions ou le privé, ainsi que des séquences plus courtes, de type atelier découverte. Pour que toutes puissent tester l’autodéfense.
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