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La minute de silence et la fête de la laïcité, pour moi, prof à Vaulx-en-Velin

Lucie* est prof dans un collège à Vaulx-en-Velin. On évoque rarement cette commune de l’Est lyonnais sans mentionner dans la foulée les « émeutes qui ont embrasé la France dans les années 1980 ».

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aller encore à l'ecole

Les journalistes s’y sont rendus au lendemain des attentats de Paris, au début de ce mois de janvier 2015, alors que l’on s’interrogeait sur la façon d’appréhender des élèves rétifs à s’inclure dans une « solidarité nationale ». Depuis l’école est au coeur des débats, elle fait l’actualité, on y pose des caméras, des micros. Et Lucie, qui est dans l’une d’elles, en banlieue lyonnaise, a eu envie de témoigner.

La gestion de « l’après-Charlie » laissée à la subjectivité des profs

Jeudi 8 janvier au matin, nous avons reçu un communiqué nous demandant d’intervenir auprès de nos élèves afin de mettre des mots sur ce qui venait de se produire.

La matinée s’est donc déroulée normalement si ce n’est que les professeurs n’ont pas eu le temps de se concerter et ont “laissé tomber” leur programme de la matinée pour discuter avec les élèves.

Le problème : on ignorait si le collègue de l’heure précédente avait abordé la question de manière furtive ou approfondie, comment avaient réagi les élèves. Le risque de redite et le manque d’aisance voire le malaise de certains collègues à avoir ce genre de discussion avec nos élèves ont pu rendre certaines séances compliquées.

Aucune directive quant aux mots, aux réactions face à des phrases provocatrices ou tout simplement maladroites n’avait été donnée, pas même l’évocation d’une ligne de conduite (didactique).

On n’a donc pu éviter certains “débordements” qui étaient surtout la conséquence du manque d’organisation de l’intervention et de l’ignorance des élèves.

Dans le communiqué, on nous donnait l’ordre de respecter strictement l’horaire de la minute de silence, à savoir midi pile.

L’heure de la sonnerie marquant la fin des cours de la matinée. Il nous a donc fallu retenir les élèves (qui sont nombreux à avoir un bus à prendre). Encore une fois, pas d’autres consignes. Nous le ferions dans les classes, un rassemblement à l’extérieur dans notre établissement étant inenvisageable.

Les élèves n’ont pas forcément compris pourquoi cela leur était imposé. Certains l’ont pris comme une provocation, la discussion en classe n’ayant pas été efficace, d’autres comme une nouvelle occasion de s’amuser.

De même, du côté des professeurs, fallait-il les obliger coûte que coûte (et chez nous “coûte que coûte” n’est pas seulement une expression) ou leur laisser la liberté de ne pas le faire (là encore selon quelles modalités) ? Chacun a fait selon ses principes et ses possibilités. Beaucoup de points, donc, laissés sinon à l’arbitraire, à la subjectivité d’un professeur.

 

Un lien qui n’existe pas entre ces attentats et nos enfants


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Les jours suivants se sont déroulés dans un malaise assez sensible où certains élèves saisissaient chaque occasion d’y faire référence ou de mettre mal à l’aise les adultes. Cela a pu aussi être des professeurs qui, seuls et dans l’urgence, ont bricolé des séances de sensibilisation afin de mettre des mots, montrer des images, retracer l’histoire de la liberté de la presse en France etc.

Mais alors c’était d’autres élèves qui signifiaient aux adultes que leurs parents ou eux-mêmes refusaient qu’ils abordent ce sujet avec nous. Les séances se déroulaient donc mais les échanges étaient bloqués.

Ce n’est qu’une dizaine de jours plus tard que les inspecteurs académiques nous ont fait parvenir des documents pédagogiques et des conseils sur la façon dont on pouvait (ou dont on aurait pu) aborder cela avec nos élèves.

Quant à moi et je ne suis pas la seule, je pense simplement qu’on a forcé des portes et qu’on a tenté d’établir un lien qui n’existe pas entre ces attentats et nos enfants.

Je m’explique, il était possible -et même- une bonne chose d’aborder le sujet de manière purement pédagogique avec les élèves, quitte à accepter de mener les discussions qui en découlaient si on se sentait de le faire.

 

La réponse d’élèves à la question « qu’est-ce que l’intégrisme ? »

Pour ce qui est de leurs réactions : si nous, enseignants, pédagogues, éducateurs ne sommes pas capables d’entendre, de recevoir ce qu’ils ont à dire, que ce soit par pure ignorance, provocation ou même erreur de jugement, qui peut le faire ?

Il me semble que nous ne sommes pas là pour être choqués. Censurer leur parole me paraît totalement improductif et même contre-productif.

En REP (réseau d’éducation prioritaire), nous sommes face à des élèves qui se sont vus impliqués, mis au cœur d’une histoire qui ne les concerne pas au-delà de l’information et qu’ils ne peuvent même pas comprendre. Il faut savoir que pour un grand nombre d’entre eux, à la question

« Qu’est-ce que l’intégrisme ? », la réponse a été : « C’est l’aptitude à s’intégrer ».

A partir de là, que peut-on leur reprocher ? Comment peut-on les juger, leur demander de se taire et de comprendre alors qu’on n’est pas foutus de leur expliquer.

 

La journée de la laïcité ou le retour de la morale


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Pour le reste, soit on nous donne des consignes sur le discours à tenir (les mots, encore les mots, quels mots ?) et on organise une heure de vie de classe spécialement sur ce sujet (chaque prof principal avec sa classe pour une séance dédiée à ces événements).

Soit, une fois la consigne de la minute de silence respectée par les professeurs, on prend le temps d’organiser un échange sur comment le thème : “commenter l’actualité” auprès des élèves.

Et c’est tout.

Parce qu’il ne s’agit finalement que de cela : commenter l’actualité, mettre des mots, donc définir et redéfinir certaines notions (intégrisme, liberté d’expression, laïcité, blasphème…), expliquer le principe de la loi et de la République dans l’objectif unique d’avoir suffisamment d’outils pour construire une réflexion, c’est à dire un décodage, puis une analyse pour aller vers la construction d’un sens.

Mais on ne peut pas leur demander de commencer par prendre parti et encore moins de leur dicter le bon parti à prendre.

Nous n’en sommes pas là, rendons-nous à l’évidence !

Alors les dispositions que s’apprête à prendre le gouvernement avec sa “journée de la laïcité » est encore une preuve qu’on pense éduquer par la morale et non pas par la formation d’un esprit qui permettra la réflexion et la liberté.

 

Ma honte pour nous, enseignants

Que se passe-t-il ? Nous n’osons avouer que nous n’avons “foi” ni en notre capacité à le former (cet esprit) ni en celle de nos enfants à recevoir de tels enseignements.

N’est-ce pourtant pas cet esprit lui-même dont nous nous glorifions lorsqu’il s’agit d’honorer la patrie des Lumières et de l’humanisme qui est totalement le grand absent de nos convictions et de nos principes. Y croyons-nous seulement ? Plus trop, si l’on observe la pauvreté des nouvelles idées qui vont très prochainement « refonder” l’école.

La morale (dire aux élèves ce qui est bien ou pas, ce qu’on peut dire ou penser en tant que citoyen (laïque, républicain) n’est-ce pas tout le contraire que former leur esprit à l’analyse critique et à la liberté. Oserions-nous le faire ? En sommes-nous seulement capable ?

C’est dans ce sens que cette nouvelle idée de “fête de la laïcité” ou même de retour à l’éducation morale (et encore une fois quelle morale ? au sens métaphysique du terme ou au sens identitaire, national, religieux ?) me laisse une impression de honte pour nous, les enseignants. Pour les élèves aussi. Pour ce gouvernement de gauche.

Ne sommes-nous pas capables de faire mieux ? Alors ? Nous capitulons ?

 

*Il s’agit d’un prénom d’emprunt, l’enseignant ayant souhaité rester anonyme.


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