Sous contrainte budgétaire, elle défend le recentrage local de la politique culturelle, le soutien assumé aux cultures émergentes et aux pratiques amateures, quitte à prendre quelques distances avec les institutionnelles. Elle annonce aussi un festival de street-art. Entretien avec cette chef de gare du Trièves et récente conseillère régionale devenue « Madame cultures », sous les feux des projecteurs.
Rue89Lyon : Lors du chantier des cultures, vous projetiez rien de moins que de « réinventer la vie culturelle » de Grenoble avec ses habitants. Qu’allez-vous leur soumettre à concertation ?
Corinne Bernard : Dans l’ancienne municipalité, les subventions étaient distribuées par l’adjointe à la culture, Eliane Baracetti, et son directeur des affaires culturelles qui décidaient « qui et combien », couverts par le code général des collectivités territoriales confiant l’attribution des subventions à la discrétion du maire et de son représentant. C’est très 3ème République ! Mais le fait du prince, c’est fini.
Nous allons commencer par ouvrir au pluralisme le comité d’attribution des subventions, où siègeront des élus de la majorité et de l’opposition, des personnes qualifiés et des Grenoblois tirés au sort parmi les adhérents des bibliothèques, par exemple. Chacun pourra assumer la décision collective et tous les organismes culturels auront une réponse claire le 15 juin au plus tard.
Mais, en même temps, vous balisez déjà le travail en annonçant la suppression des 438 000 euros de subventions aux prestigieux Musiciens du Louvre Grenoble.
Au vu des comptes des Musiciens du Louvre Grenoble (MDLG), j’ai constaté qu’ils pouvaient se passer de notre participation en 2015, en ayant la même activité. Passer d’un budget de 3,7 millions d’euros à 3,2 millions, c’est possible.
Nous parlons d’une association qui prête de l’argent comme une entreprise, qui a 400 000 euros de placements et qui percevait en même temps 18% des subventions en numéraire et en nature de la ville. L’argent public ne se place pas. Il est versé pour assurer des missions de service public. Nous avons réalisé cet arbitrage pour protéger la diversité culturelle.
Si j’appliquais le raisonnement qui consiste à répartir les baisses budgétaires sur tous les projets soutenus, je connais au moins trente compagnies culturelles qui s’arrêteraient. À titre de comparaison, la salle de l’espace 600, dans le quartier de la Villeneuve parvient à programmer une saison avec seulement 60 000 euros.
« Nous préférons faire émerger et accompagner dix Minkowski que d’en acheter qu’un seul. »
La raison du divorce est-elle uniquement budgétaire ou reflète-t-elle aussi d’un choix partisan, comme l’insinue la droite grenobloise en comparant votre politique culturelle à celle du FN à Orange en 1995 ?
Quand l’Etat réduit sa dotation de 5,5 millions d’euros, on ne va plus sur ses compétences. Et les musiciens du Louvre Grenoble, ce n’est pas un orchestre municipal, loin de là. C’est donc un problème d’argent, c’est clair.
Mais c’est aussi une différence de conception. Le rayonnement n’est pas une politique. C’est un dommage collatéral positif. L’excellence n’est pas seulement chez Marc Minkowski, le directeur artistique des MDLG, qui riposte en annulant leurs concerts à Grenoble. Elle est aussi à la Maison de la culture, au conservatoire à rayonnement régional et au musée de Grenoble que nous soutenons également.
Nous préférons faire émerger et accompagner dix Minkowski que d’en acheter qu’un seul.
Quelles coupes budgétaires encaissera le portefeuille culturel en 2015 ?
Comme toutes les autres délégations – à l’exception du CCAS, de la santé et des écoles, pour protéger les plus faibles – je dois participer à l’effort en réalisant une économie budgétaire de 8% par rapport à 2014. Pour ma délégation aux cultures, c’est un effort de 600 000 euros, mais ça reste le troisième budget de la ville.
Pour faire mieux avec moins, je fixerai des objectifs aux structures bénéficiant de subventions. La culture doit être là où le public ne l’attend pas, sur l’espace public, là où ça frotte. Elle doit être dérangeante si on veut provoquer des chocs artistiques chez les enfants où les moins jeunes.
« Je ne me satisfais pas que des enfants viennent à la bibliothèque uniquement pour emprunter des jeux-vidéos »
Les politiques publiques ambitionnent toujours de « démocratiser la culture » avec un succès limité. Quelle est votre recette pour réussir là où les autres ont tant de peine ?
Nous essaierons en ouvrant nos équipements culturels, souvent hermétiques et étanches, pour les rendre poreux. Au musée de Grenoble, la bibliothèque d’ouvrages d’art est fréquentée quasi-exclusivement par des étudiants en art ou des enseignants-chercheurs. On ne peut pas se féliciter de ça. Doter cette bibliothèque d’une section jeunesse, permettrait à des familles de se rendre au musée presque « accidentellement » et d’y découvrir les arts exposés.
Au même titre, je ne me satisfais pas que des enfants viennent à la bibliothèque du quartier Teisseire uniquement pour emprunter des jeux-vidéos. Les équipes des bibliothèques partagent cette volonté. On va lâcher les brides. Certes, dans un budget contraint, mais on doit bouger les lignes. C’est ça démocratiser.
Seulement 8% de la population grenobloise assiste à des spectacles. Mon job, c’est de m’occuper de tous les Grenoblois et de faire progresser ce taux aussi haut que possible.
« Il n’y a pas que Serge Papagalli à Grenoble »
Vous avez réclamé un nouveau projet d’établissement au théâtre municipal prévoyant moins de programmation de spectacles privés parisiens et davantage de scène locale. Où s’arrête la directive politique et où commence l’ingérence ?
Cet équipement n’avait pas de projet d’établissement. Son plateau est fermé 325 soirs par an, pour un budget de deux millions d’euros et une équipe de 23 personnes. Les contrats de cession des spectacles parisiens coûtent chers et ce n’est pas la vocation d’un équipement public.
En parallèle, des compagnies défilent dans mon bureau pour se plaindre de ne pas avoir de lieu de création, de répétition, voire de diffusion, alors que nous avons un théâtre municipal qui pourrait remplir une partie de ces missions. Il n’y a pas que Serge Papagalli à Grenoble. Nous avons des compagnies qui jouent à l’Heure Bleue de Saint-Martin-d’Hères, au Grand Angle de Voiron et à la Rampe d’Echirolles mais qui ne peuvent pas jouer à Grenoble dans une jauge 600.
Mais je ne fixe pas les critères esthétiques et artistiques. Je ne fais que définir les critères d’un équipement municipal sans aucune ingérence. J’assume mon rôle.
Le street art, « ce n’est pas sale »
Privilégier la scène locale face au mainstream, c’est ça la symbolique du « s » aux cultures de votre délégation ?
Le « s » des cultures, c’est aussi de ne pas faire la différence entre le culturel et le socio-culturel. Il se passe autant de choses magnifiques dans les MJC que dans les grands établissements culturels.
Le « s » des cultures, c’est aussi celui des pratiques amateures du public qui s’enrichit des spectacles de la maison de la culture ou des expositions du musée pour sa pratique artistique ou culturelle personnelle.
Le « s » des cultures, c’est aussi de leur accorder à toutes de la reconnaissance. Nous le ferons par exemple en juin avec l’inauguration d’une exposition à l’ancien musée de peinture et l’organisation d’un festival consacré au Streetart, confiés au commissaire d’exposition Jérôme Catz.
C’est une création artistique de niche déjà présente à Grenoble, que nous souhaitons soutenir en mettant des murs à disposition des artistes mais aussi en travaillant auprès du public pour lui dire : « ce n’est pas sale, nous n’allons donc pas le nettoyer et les grandes villes évoluent aussi grâce au Streetart ».
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