Dehors, le givre blanchit les alentours. Les barbelés sont encore plus figés dans leur gangue translucide et luisent davantage qu’un couteau dans la nuit. La lumière jaune des projecteurs ne transperce pas le brouillard et je vois à peine l’autre aile de la prisons. Les cris des taulards sortent du néant. Il fait froid !
Assis sur le lit, je défais le polochon constitué par une couverture pour la rouler à nouveau et la glisse entre le mur glacé et mon dos. Ce béton est intouchable. Celui qui me sépare de l’extérieur ou de la cellule voisine, c’est du pareil au même. Je suis pourtant à l’étage supérieur et il fait moins froid à mon niveau qu’au rez de chaussée.
La maigre chaleur monte malgré tout. Je touche le radiateur, il est tiède et ne réchauffe rien. Je me glisserais bien dans le lit sous l’autre couverture, mais elle ne garde pas la température du corps dans le lit, elle est trop poreuse. Et j’ai besoin de chaleur. Alors je me fais une tartine de confiture. Outre que le sucré donne l’illusion d’une douceur, il apporte un peu d’énergie. Mâcher est comme une gymnastique qui entretient la petite turbine intérieure.
La loi des glaçons
Oui, lecteur, il fait toujours froid dans une taule, y compris l’été quand la cellule est une étuve. Toujours, irrémédiablement, on tremble de froid. Ce froid qui s’infiltre partout, tout le temps. Il s’insinue dans le corps, pénètre les os, envahit les organes et congèle le cœur.
Voilà, le temps est momifié par le froid et tout ce qui est dans la taule devient statue de glace. La prison est un immense iceberg qui flotte sur l’océan d’une société indifférente. Mais le bateau où le peuple écoute les politiques menteurs, comme le Titanic, va venir s’éventrer sur ce bloc incassable.
Les citoyens regardent ailleurs, vers des lendemains qui chantent. Sûr que le choc les fera paniquer et ils se réfugieront derrière le premier dictateur qui passera, dans l’illusion d’un bleu marine pour mieux se faire escroquer.
Les mots en taule ont la couleur et la température de la froidure que les larmes des taulards ne fissurent même pas. Elles ne laissent aucune trace sur l’extérieur des murs. C’est dans le corps que ça éclate et peuvent redonner du mouvement à ce qui s’engourdissait dangereusement. Le verbe s’échauffe à l’occasion et devient brûlant. La survie fait signe.
Mais le frigo, le mitard, comme le blizzard souffle la loi des glaçons, sans aucun verre ou alcool pour les recueillir.
Je t aime bien puisque je t écris
Et malgré cette immobilité frigorifiante, certains prisonniers tiennent bon. Ils sont comme les crocus, ils percent la neige ou le givre pour fleurir, en dépit de cette congélation. Eux seuls, brisent la surface lisse et le silence. Ils croient à leur propre température et l’entretiennent à coup de lettres, de lectures, d’écriture et de réflexions. Ils ne se sont pas laissé juger et ont rigolé de la condamnation des corbeaux.
Ils se sont rendus sourds aux chants funèbres de la vengeance et échappent aux tenailles de la haine pour relever le front et transformer la violence en combat. Ils font de leur colère un poêle qui adoucit leur tente intérieure.
Tu saurais faire ça, toi, lecteur ? Oui, si tu étais dedans, tu y arriverais peut être à force de volonté où tu contacterais une énergie que tu ignorais. Tu échapperais à la peur en n’ayant plus rien à perdre. Dépossédé de tout, que risquerais-tu ?
Seuls ceux qui luttent vivent ! Les autres existent et s’anéantissent avec des médocs ou de la came ou encore se suicident. Les matons le savent et c’est pour cela qu’ils développent une violence inouïe avec ceux qui se rebellent, car ils ont peur de cette force là qui n’est pas celle du plus fort mais celle de la révolte qu’aucune muraille ne saurait contenir.
Allez lecteur, réveillonne bien, consomme et continue à dire aux enfants que le père Noël existe puisque toi tu crois encore à la démocratie. Et ne fais pas la gueule à cause de mes petites piques. Je t aime bien puisque je t écris.
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