Et ça me revient dans un flash douloureux. Ma rédactrice en chef m’a demandé si je pouvais rencontrer Julien Doré qui fait l’affiche aux Nuits de Fourvière, à Lyon, histoire de revenir sur Pop Redemption, son premier « grand » rôle au cinéma, sorte de Spın̈al Tap frenchy, le côté docu en moins.
Au premier abord, ça m’emmerde pas mal. Parce que j’aime pas trop les mecs qui ont plus de succès que moi avec les filles. En plus, j’ai gardé dans un coin de ma tête que le gars sortait des Beaux-Arts de Nîmes. Par excellence, un ramassis d’individus qui théorisent sur l’art et qui en causent, comme si ce n’était pas suffisant, avec l’accent du midi.
L’abnégation prenant doucement le dessus, je respire un grand coup et entreprend en milieu d’après-midi l’ascension de la colline de Fourvière avec la première paire d’espadrilles de ma vie entière. Sur la route, je fais une pause Heineken chez Sophie, l’ancienne directrice de l’Epicerie Moderne, à Feyzin. Elle me rassure, m’encourage et me garantie que le bonhomme est cool. Pas vraiment convaincu, je reprends, le pas traînant, mon chemin vers le théâtre antique qui surplombe la ville.
Après une discussion interminable avec la sécu à l’accueil, trois coups de fil au manager et une nouvelle bière à la buvette, je suis enfin invité à rejoindre les coulisses. Je me retrouve nez à nez avec Julien Doré, tout en cheveux, marcel et tatouages, qui carbure gentiment à la Budweiser.
« Les mecs au Hellfest, ce sont des amours »
Il m’invite à me poser sur un banc, à l’ombre de sa première partie en pleines balances. Je me rends compte assez rapidement que ce mec a le profil type du gars qui pourrait être un bon pote. Je me sens alors un peu con avec ma série de questions niveau bac de philo pour terminale STT du genre : « l’écriture peut-elle être une thérapie ? ».
Je décide de lâcher un peu l’affaire et de profiter du décor.
Je lui sors donc une banalité, qu’il a extrêmement bonne mine pour un gars qui est en tournée. Il est d’abord étonné, la remarque n’étant ni la plus finaude, ni la plus hétérosexuelle de ma carrière, mais me répond tout simplement qu’il n’est jamais plus heureux que sur scène, avec ses gars, avec son groupe. Il me dit pourtant qu’il a de quoi être crevé :
« Entre les concerts et la promo. C’est de l’énergie. Mais je m’épuise plus quand je suis seul chez moi à penser que quand je suis avec mes potes à chanter. La tournée, c’est ce qui me fait le plus de bien, moralement, psychiquement même physiquement. Je prends soin de moi et des gens que j’aime car ils sont avec moi. Je trouve un sens à ma vie ».
On parle alors de tout et de rien et surtout de rien. Du plaisir qu’il prend à voyager en tour bus pour continuer à partager avec ses proches. De la coupe du monde, de sa chanson hommage à Platoche et de son amour du foot qui n’égale en rien celui pour la musique. Car, comme il le dit lui-même, rien ne l’anime plus que le plaisir de monter sur scène, « une passion mille fois plus forte que toutes les autres ».
Je vois poindre une ouverture pour lui parler d’une autre passion que je croyais chez lui tout aussi dévorante : le cinéma. Mais il ne semble pas trop prêter attention au sujet. J’insiste en lui rappelant cette expérience folle qui le glissa jadis dans la peau d’un chanteur de métal et lui permis, tout de même, de jouer sur une vraie scène du Hellfest, devant un public peu habitué à ses ritournelles. Lui préfère seulement garder en mémoire le rapport qu’il a eu avec ces spectateurs :
« C’est sans doute le seul festival où j’aurais pu me balader dans la fosse avec mes potes habillé en hippie (pour les besoins du film) sans qu’on vienne me prendre la tête. Quoiqu’en général, personne ne m’emmerde. Mais les mecs au Hellfest, ce sont des amours, des passionnés de la musique ».
Bonne bouffe
Puisqu’il est question d’amour, j’en profite pour lui confier toutes mes réserves sur les anciens élèves des Beaux-Arts.
« J’ai fui les Beaux-Arts, pour monter mon groupe, pour jouer dans les bars. J’en avais ras-le-cul d’intellectualiser ce que j’étais en train de créer de mes mains et avec ma tête. Ras-le-cul du discours qui m’emmerde profondément. Grâce à la musique, j’ai retrouvé l’instinct ».
Sur ces bonnes paroles dans lesquelles je décèle tout de même un vague relent d’accent du midi, on va rejoindre « ses gars » qui jouent à la pétanque derrière l’amphithéâtre. Ces gars qui le suivent depuis 7 ans et d’autres qui étaient déjà à ses côtés à Nîmes, quand il arpentait les bars avec son groupe Dig Up Elvis.
On comprend très vite que Julien Doré est entouré de ce qu’on pourrait appeler « une belle bande de cons », de ceux qu’on aime retrouver chaque soir à l’apéro. Ca reprend en déconnant des tubes de Tryo à la guitare, ça fait de la blague grivoise entre deux boules. Je me sens vraiment à domicile.
Julien me glisse discrètement qu’il n’y a rien de mieux que de travailler avec ses potes quand ils ont énormément de talent. Il m’encourage à rester en backstage toute la journée, pour que je puisse shooter à ma guise quelques photos. Je lui fais remarquer que je ne suis pas accrédité et que je risque de sévèrement me faire refouler. Il retire le passe de son cou et me le tend très naturellement.
Je salive alors à l’idée de m’incruster dans ce que Damon Albarn qualifiait, en toute simplicité, « le meilleur catering du monde ». En anglais, ou en français, la légende ne le dit pas, mais Julien est d’accord avec moi, c’est important de bien manger. Et il apprécie aussi les tournées pour ça. Il ne cuisine jamais chez lui. Faut voir que c’est chiant de cuisinier quand on est végétarien.
Sur ce, je peux observer toutes les petites habitudes du groupe qui sont devenues autant de rituels. Le besoin de se réunir, de se préparer ensemble, de partager des bières tout en se remémorant les ajustements apportés au live concert après concert, de se chauffer la voix, puis de boire un dernier whisky avant de monter sur scène.
Madame Albaldejo, mon professeur d’espagnol de 3e
Quand je rejoins finalement le devant de la scène, le premier truc qui m’explose la rétine, c’est une fosse à chaises. Je m’attendais plutôt à un parterre de glousseuses hystériques agglutinées sur les crash-barrières. Il y en a. On les entend brailler au loin. Mais ce qui surprend, c’est l’hétérogénéité du public qui va, c’est ici plus qu’un lieu commun, de 7 à 77 ans. J’aperçois même dans les gradins Madame Albaldejo, mon professeur d’espagnol de 3e2, vieille pierre au milieu des vieilles pierres, qui me semblait déjà trop vieille pour enseigner dans les années 90.
C’est sans doute l’effet Nouvelle Star. J’étais pourtant farouchement décidé à ne pas lui parler du télé-crochet remporté en 2007. Si beaucoup ont disparu, Doré lui a su dépasser la compétition et conserver le public qui l’a sacré. Il se rappelle s’être juste inscrit pour exhiber à la télé l’autocollant de son groupe qu’il avait collé sur son ukulélé. Il aime ce public « qui apprécie la performance scénique et l’écriture des textes en français ». Pour lui, ils ne sont pas si nombreux les artistes « à chercher les images avant de chercher la rime ». Il aime entendre les enfants éclater de rire « au premier degré » quand il fait un truc pourtant référencé. Il y voit une forme de « poésie enfantine ».
Pendu à son micro entre deux cabrioles, parodie assumée de lui-même, sorte de Jim Morrison en slim et chemise noire, Doré assure le show. La fosse s’anime. Le public se lève, danse. Julien le rejoint, fend la foule et termine sur le toit du monde, celui de la régie son, qui domine tout le théâtre antique. Les agents de sécurité perdent les eaux. Le directeur du festival se signe. Le public explose de plaisir.
Je me casse au milieu des rappels pour éviter la cohue dans le funiculaire. Je rentre chez moi et me pose sur facebook où je vois déjà fleurir des photos de l’artiste à Fourvière, posant simplement aux côtés de mes « amis » numériques. On dirait effectivement que Julien Doré aime les gens, personne ne semble vraiment l’emmerder comme il me l’avait déclaré. Il m’avait également confié qu’il finirait sa soirée vers 2 ou 3 heures du matin, dans son bus, avec ses potes. A débriefer ou à picoler, selon l’humeur. Moi, je décide de me coucher au plus vite pour rattraper le retard de la nuit passée, après avoir jeté, olfactivement un peu contrarié, ma toute première paire d’espadrilles.
Lundi 15 décembre au Radiant, Caluire.
Mardi 16 décembre à la MC2, Grenoble.
Et le 4 avril 2015 à la Bourse du travail.
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