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Blog du Taulard #27 : « L’individualisation des peines est une grosse supercherie »

L’individualisation des peines ! Tu en as déjà entendu parler, lecteur ? C’est l’idée qui veut te faire croire que la Justice n’est pas une mécanique aveugle, liée uniquement aux faits, mais qui tient compte de la personne et adapte ses sentences en fonction de sa personnalité et son histoire individuelle.

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Un avocat devant le palais de Justice de Lyon qui abrite, entre autres, le tribunal de grande instance (TGI) © Pierre Maier / Rue89Lyon

Grosse supercherie, mais qui n’est pas qu’un simple mensonge pour dissimuler une réalité. C’est aussi une stratégie pour permettre à l’Etat, au pouvoir et à l’idéologie dominante de se désimpliquer et de nous jouer les Ponce Pilate.
Le mensonge, il est facile à voir.

Un avocat devant le palais de Justice de Lyon qui abrite, entre autres, le tribunal de grande instance (TGI) © Pierre Maier / Rue89Lyon

On n’individualise pas, on se contente de stigmatiser

Soit tu lis chaque semaine la petite rubrique « coups de barre », toujours en page 5 du Canard enchaîné.
Soit tu vas passer une après-midi dans une salle du tribunal de grande instance (TGI) dans n’importe quel palais de justice pour écouter. Les audiences sont publiques et l’entrée libre, si je peux dire ! Tu verras que cette individualisation, c’est vraiment du pipeau.

Je n’évoque même pas la comparution immédiate, ce tribunal d’exception, où l’abattage est permanent. 10 minutes d’audience par personne, y compris l’exposé des faits ! Procédure pour désengorger les dossiers ? Mon œil ! C’est juste une manière expéditive de se débarrasser des plus pauvres.

Donc dans les TGI, le jeu est bien rodé dans les affaires qui défilent. Pour la majorité de ces affaires, l’audience ne dépassent pas les 20 minutes. La demi heure fait exception. Évoquer la vie particulière d’une personne en moins de 50 mots, je n’appelle pas ça une prise en considération de sa situation, je dis que c’est une énumération désincarnée, le justificatif du mensonge !

Lorsqu’on demande au prévenu pourquoi il a fait ceci ou cela, on n’essaye pas de comprendre, on n’individualise pas, on se contente de stigmatiser la motivation du passage à l’acte pour en caractériser l’intention et le tour est joué. On se contente, en vérité, d’une simple et rapide apparence, histoire de justifier la prétention de l’individualisation des peines, puisque la presque totalité de l’audience reste autour des faits.

 

Un petit coup de faux Zola et hop, affaire suivante

L’avocat joue son rôle de collaborateur de justice en parlant de l’enfance difficile, de la cité, des parents qui… Bref, un petit coup de faux Zola et hop ! Affaire suivante. Le délibéré te laisse croire que les juges vont réfléchir après coup, mais c’est bidon. De toute façon ça se passe entre eux, sans témoin.

Je sais ! Il y aura toujours l’audience qui aura pris plus de temps et qui, à elle seule, clamera que c’est ainsi que ça se passe. Et voila l’arbre qui cache la forêt. Il faudrait arrêter de croire les journaux inféodés qui, à l’unisson des juges, veulent transformer l’exception en règle générale ! Franchement, prends un moment, lecteur, et vas y, tu te rendras compte que je ne caricature rien. Je ne te parle pas des assises où, là, la pièce est faite pour durer, au moins en termes de rôles écrits d’avance et où passe une minorité de prévenus. Non je fais bien référence au TGI, là où défilent un maximum de gens et où les peines sont, en écrasante majorité, des sanctions de moins d’un an de taule. Et tu verras aussi que malgré la loi, il n’y a quasiment pas d’aménagement à la barre. Faut aller en taule et attendre quatre mois pour voir le juge d’application des peines (JAP).

 

Cette prétention à l’individualisation nous vient de l’école

Par contre, pour voir la stratégie profonde du système qui prétend individualiser les peines, il faut être plus subtil et réfléchir un peu. Cette stratégie, elle vient de l’école où des pédagogues, gavés de psycho (ça aussi tient, la psychologie, quelle escroquerie de persuader les masses que le passé nous déterminerait de manière définitive, sauf à aller filer du fric pendant des années à un ectoplasme pour soit-disant comprendre la cave et oublier le grenier), affirment que les programmes doivent tenir compte de chaque gamin. C’est l’enseignement individualisé.

On sait très bien que c’est faux, sinon il n’y aurait pas 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire, exclus, sans diplôme. Mais ce discours a une vertu pour les responsables : on peut mettre en cause, non pas le système, mais le gamin. On ne dit pas : « l’école déconne quand même », on dit : « ce gamin, il ne va pas bien hein ? » Et hop la responsabilité a basculé sur le môme que l’on envoie chez le psy (hé oui, faut que ça rapporte), l’orthophoniste, le médecin.
Surgissent de nouvelles maladies comme l’hyperactivité ou autres. Tout bascule sur le gamin. L’institutrice acariâtre et mortifère, par exemple, (il y en a), découragée par des années de galères, mesurant les limites étroites de sa formation, n’a aucune influence sur le comportement de l’enfant puisque c’est individualisé ! C’est la personnalité du gosse qui est la cause de tout.

 

Sous ce mot d’individualisation, on gomme tout l’environnement et les injustices sociales

Pour la justice c’est pareil. On te fait croire que les juges sont des psychologues avertis, conscients des problématiques des personnes et sont capables de départager les responsabilités etc…

En fait, sous ce mot d’individualisation, on gomme avec un seul vocable tout l’environnement, les injustices sociales, la folie du consumérisme, l’égoïsme absolu engendré par les coachs de la concurrence et le chacun pour soi qui en découle, la soumission dans laquelle les pouvoirs souhaitent enfermer les gens, la panne définitive de l’ascenseur social, la réalité des privilèges, l’importance de l’autre et de la relation… bref, l’individualisation réduit la lutte des classes à un cliché obsolète alors qu’elle n’a jamais été aussi nécessaire.

On a juste fait un jeu de mot en déclinant, fort logiquement d’ailleurs, individualisme en individualisation.
Ce n’est certainement pas un hasard. Michel Foucault le démontrait parfaitement : la Justice est avant tout un système au service des dominants. Et le slogan (ce n’est que ça) de l’individualisation des peines est un tour de passe-passe sémantique pour cacher l’idéologie réactionnaire qui consiste, à la suite des préceptes protestants, a dire que l’individu est le seul responsable de ce qui lui arrive en fonction de ses mérites que Dieu sanctionne. Être riche et reconnu socialement est le signe de Dieu qui récompense la bonne obéissance. Pas besoin de te faire un dessin pour l’inverse. En conséquence tout bascule sur l’individu et basta des facteurs dans lesquels il vit et des contextes qui le façonnent.

 

Eliminer la dimension sociale est plus que suspect

Attention, je ne dis pas que tout est social, je dis juste qu’a vouloir éliminer cette dimension, elle aussi fondamentale, c’est quand même plus que suspect. Mais comme aujourd’hui, la considération d’un problème dans son ensemble a été liquidées au profit des experts et spécialistes, que la vision globale d’un phénomène a été mis aux oubliettes (ou dans la chansonnette rengaine), l’effet papillon et les interdépendances des parties et du tout sont évincés pour rendre le bouc émissaire seul responsable du tout.

Cette rationalisation extrême est le résultat de l’appauvrissement de la pensée. Cette fracturation d’un gros problème en petits problèmes qui seraient indépendants les uns des autres arrange drôlement les pouvoir pour leur éviter les liens qui dérangent. Ainsi on balaye d’une revers de slogan la dimension politique et idéologique pour en faire un problème individuel !

C’est aussi pour cela qu’on continue à mettre plus de choses qui ne marchent pas pour résoudre ce qui ne marche déjà pas. Parce que lecteur, depuis près de 2 siècles que la prison s’est vraiment institutionnalisée et érigée en système, si son effet dissuasif ou rédempteur était réel, ça se saurait, non ?


#Justice

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