Par Pauline Ou-Halima, étudiante à Sciences-po Lyon
Alors même que le champ d’action du médecin est de facto la guérison des maladies, jusqu’où va le rôle du médecin lorsque celui-ci est réduit à annoncer un pronostic vital sans espoir de guérison ? Comment les soignants gèrent-ils cette forme de puissance ou durant ce bref moment d’annonce du diagnostic, ils ont la vie d’une autre personne entre leurs mains ? La chorée de Huntington, par ses caractéristiques, cristallise particulièrement l’essence de ces questions.
La Maladie de Huntington : comment marquer la différence entre pronostic et prédiction ?
Maladie incurable, la chorée de Huntington se traduit par une dégénérescence neurologique provoquant d’importants troubles moteurs et cognitifs. A ce jour, aucun traitement permettant de guérir la maladie n’a été conçu et les malades doivent vivre avec l’annonce « prédite » de leur arrêt de mort. En effet parce qu’elle est génétique et héréditaire, la chorée de Huntington fait figure de proue de ce qu’on appelle « La Médecine prédictive».
Le médecin Elisabeth Ollagnon-Roman nous explique que si un parent est porteur du gène défectueux, l’enfant a une chance sur deux de développer lui-même le gène porteur de la mutation. La médecine prédictive intervient alors pour permettre aux apparentés des personnes atteintes par la chorée de Huntington de connaître s’ils sont porteurs de la mutation via la réalisation d’un test génétique. S’il s’avère qu’ils le sont, les médecins peuvent leur annoncer avec certitude qu’ils développeront la maladie, sans pour autant préciser ni à quel moment de leur vie commencera à se développer les symptômes, ni quels seront la gravité de ces symptômes.
Mais dans ce cas de figure, comment marquer la différence entre diagnostic et prédiction, entre avis et sentence, entre Médecin et voyant révélant une parole oraculaire ? C’est bien dans ses interrogations que se révèle toute la difficulté d’annoncer un pronostic sans toutefois proposer des soins curatifs aux patients.
Pourquoi savoir ?
Est-il bon de savoir son statut génétique à l’avance ? Une question de la salle rappelait que nous sommes tous égalitairement confronté au même avenir « bouché ». Dès lors, pourquoi faire passer un test qui confronte une personne à ce qui semble être un avenir irrémédiable alors même que notre voisin de gauche, non porteur du gène, peut tout aussi bien décéder le lendemain dans des circonstances accidentelles ? La différence entre ces deux cas de figure réside essentiellement de ce que la personne potentiellement porteuse du gène sait qu’elle a en elle-même, sans intervention du monde extérieur, une chance sur deux de voir sa durée de vie s’écourter. A l’inverse, le second cas de figure n’a pas de connaissance préalable des facteurs extérieurs qui sont susceptibles d’écourter sa vie.
C’est donc bien dans la capacité de savoir notre devenir à partir de notre identité biologique que se matérialise l’inégalité entre ces deux cas de figure.
Sur les 30 000 personnes apparentées à des patients atteints de la maladie de Huntington en France, seuls 20% d’entre eux passent le test génétique et lors de l’annonce du résultat du test, seule la moitié d’entre eux se présentent. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que le besoin de savoir, parce que c’est une maladie héréditaire devient parfois obsessionnel » insiste le médecin Ollagnon-Roman, et ce, pour deux raisons :
d’une part, les enfants ont été témoins de la dégénérescence cognitive de leurs parents et d’autre part, il peut y avoir une incapacité à se projeter dans l’avenir (comme par exemple avoir des enfants) tant qu’il y a méconnaissance du statut génétique. « Ne pas savoir peut tout simplement les empêcher de vivre » conclue le médecin.
L’année 2003 : tournant décisif ?
Elisabeth Ollagnon-Roman affirme qu’une évolution forte vers le progrès de la prise en charge des patients s’est muée durant ces 30 dernières années. Elle raconte que 30 ans auparavant, en tant qu’étudiante en médecine, il y avait des moments où l’annonce du diagnostic était un moment si insoutenable « qu’on avait juste envie de quitter la salle au plus vite ». Auparavant résidait un véritable lien de domination entre le médecin et son patient. Il arrivait que dans les cas où les espoirs de guérison étaient exclus, le médecin décidait d’échapper à l’annonce du diagnostic ou encore choisissait de mentir et de laisser espérer une possible guérison. Le Plan Cancer de Jacques Chirac en 2003 a changé la donne : dorénavant le médecin a l’obligation de prendre un moment pour annoncer le diagnostic à son patient.
Dans le cas du test génétique de Huntington, on voit un exemple de prise en charge du patient au sein d’une équipe pluridisciplinaire, rassemblant, entre autres, des psychiatres, des psychologues, des neurologues et des généticiens. Le médecin Elisabeth Ollagnon-Roman rapporte « qu’une véritable réflexion est mené en amont pour savoir si la personne majeure est apte psychologiquement à recevoir le résultat du test génétique ». Cette réflexion prend également en compte le cadre familial dans lequel évolue la personne, la famille étant elle aussi directement concernée par le résultat. Le test est réalisé sans discrimination financière et avec une garantie de confidentialité auprès du monde du travail et des assurances. Un suivi continu de la personne est également mise en place au cas où le test est positif.
Cependant, l’une des grandes problématiques de ce test est que le médecin peut-être tiraillé entre le principe du droit de savoir et le devoir de protection de l’individu. Que faire si une personne insiste pour passer le test alors même que le médecin est conscient des risques suicidaires susceptibles d’émaner de la personne en cas de résultat positif ?
De la conformité juridique à l’aspect humain : encore un pont à franchir
Que ce soit trop brutalement, entre deux portes ou par téléphone, il est clair que des médecins doivent encore améliorer la prise en charge du patient au moment de l’annonce d’un diagnostic grave. A ce jour, la formation en médecine sur la prise en charge des patients et sur l’annonce d’un diagnostic grave n’est pas généralisée. Partant de ce constat, le cinquième congrès du conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) a souhaité impulser un nouveau souffle dans la relation patient/médecin en 2011.
La mise en place d’un accompagnement de l’étudiant en médecine par un médecin sur ce qu’est écouté et ce qu’est annoncé est préconisée par le CNOM. D’autant plus que l’attitude du médecin lors de l’annonce du diagnostic joue un rôle considérable dans la perception qu’aura le patient de sa maladie et de sa prise en charge.
Assigner clairement un rôle à une personne de confiance choisie par le patient fait partie du second volet recommandé par le CNOM pour améliorer la prise en charge du patient. Cette personne devra être reconnue comme participant pleinement à l’élaboration du projet thérapeutique.
Enfin, mettre le médecin traitant au cœur du dispositif d’annonce est le troisième volet majeur conseillé par le CNOM. Il devra gérer les périodes de prise en charge au domicile du patient faisant suite à l’annonce. Certes, le Plan Cancer de Chirac en 2003 oblige les médecins à annoncer le diagnostic à leurs patients mais l’aspect humain d’une telle annonce est encore à acquérir.
Redonner espoir
Comment créer une place à l’espoir alors même que le médecin vient d’annoncer à un patient un pronostic condamnant ce dernier à savoir que sa vie va être bouleverser et écourter par la chorée de Huntington ? C’est ce qu’essaye de bâtir le collectif Dingdingdong cofondé par la chercheuse germano-belge Katrin Solhdju dont un des domaines de recherche sont les situations d’annonce du diagnostic qui altère d’une manière existentielle la vie des personnes concernées. Le spectacle « Bon baisers de Huntingtonland » proposé à quatre reprises au local « La Boulangerie » des subsistances participe à cette création d’espace où l’espoir et l’insouciance peut émaner à partir de projets artistiques communs. La prise en charge du patient va ici au-delà du domaine médical strict. Ce sont là les vertus des prises en charge pluridisciplinaires du patient à qui l’on vient d’annoncer un diagnostic dramatique.
Aperçu du spectacle « Bons baisers de Huntingtonland
Le projet « Ne serait-ce qu’une seconde » initié par la fondation Mimi s’insère dans la même logique pour les personnes atteintes du cancer. En 2013, l’association a invité 20 personnes atteintes d’un cancer pour les relooker et leur permettre ne serait-ce qu’une seconde de ne plus se soucier de leur maladie. Ces personnes malades ont été coiffées et maquillées, sans qu’elles ne puissent se voir, puis ont été installées devant un miroir sans tain derrière lequel un photographe va immortaliser une seconde d’insouciance : le moment où elle découvre leur nouveau look.
Une seconde d’insouciance pour les personnes atteintes de cancer
Annoncer une maladie qu’on ne peut guérir pose un problème très profond dans la mesure où la médecine ne peut intervenir sur son terrain de prédilection. D’où cette interrogation posée tout au long de la conférence : jusqu’où va la médecine et jusqu’où s’inscrit le rôle du médecin ? Le Médecin Elisabeth Ollagnon-Roman insiste sur la nécessité d’un débat pluridisciplinaire sur cette question qui cristallise « un vrai débat de société ».
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