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Au congrès du FN à Lyon : l’obsession de l’immigration pour socle

A Lyon, quelque 2 000 personnes ont applaudi Jean-Marie Le Pen en ouverture du 15è congrès du Front national. Le président d’honneur du parti a pourtant servi un discours qui ne cadre pas avec la nouvelle ligne impulsée par sa fille, portée davantage sur les questions sociales et économiques. Mais qui convient encore bien à de nombreux militants.

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Au congrès du FN à Lyon : l’obsession de l’immigration pour socle

Par Laurent Burlet, avec Dalya Daoud

Jean-Marie Le Pen a placé « l’immigration massive » comme la principale cause du déclin français ». Quelques heures plus tôt, sa petite fille, Marion Maréchal-Le Pen sortait en tête du vote des militants au comité central (le « parlement » du FN). Elle-même incarne la ligne la plus radicale du parti alors que le souverainiste et médiatique Florian Philippot n’arrivait que quatrième.

Jean-Marie Le Pen à la tribune lors de l’ouverture du 15è congrès du FN, à Lyon, le 29 novembre 2014. Crédit : FCaterini-Inediz/Rue89Lyon.

Jean-Marie Le Pen voit que le FN n’est plus seulement une PME familiale et brasse désormais un grand nombre de militants et d’électeurs. Mais il veut encore montrer le cap à tenir, n’hésitant pas à flirter avec les théories complotistes :

« Les chiffres de l’immigration sont manipulés. (…) S’il n’y a pas de réaction, s’en est fini avec le peuple français ».

Et il ajoute :

« Ce torrent migratoire conduit, dans certaines régions, à une véritable substitution de population, à laquelle on assiste. Ce phénomène se double de l’islamisme. Un véritable tsunami est en cours ».

Le président d’honneur du Front national a repris au passage la théorie du Grand remplacement lancée par plusieurs écrivains d’extrême droite et popularisée par les identitaires, même si Marine Le Pen a par ailleurs considéré qu’il s’agit là d’une « théorie du complot ».

Le FN est pourtant censé avoir remisé la question de l’immigration au second plan. C’est la ligne de Marine Le Pen et de son bras droit Florian Philippot, qui préfèrent évoquer en priorité la sortie de l’euro. Mais les militants font encore du sujet de l’immigration puis du communautarisme la thématique numéro 1.

Les nombreuses voix, soit 80% des votes, qui ont porté sur Marion Maréchal-Le Pen à la tête du comité interne au parti, donnent une indication des thématiques encore privilégiées au sein du FN. Dans les travées du Palais des congrès de Lyon, les militants que nous avons rencontrés faisaient de cette question la raison principale de leur adhésion au Front national.

« La poigne et la hargne »

Ce couple de l’Ain, dont la femme, Anne, « employée dans l’immobilier », a été candidate aux élections cantonales de 2011, veut garder l’anonymat. Anne raconte une anecdote pour se justifier :

« J’ai une amie qui allait à la pharmacie. Elle a demandé à des gens de se pousser. C’était des Arabes. Le ton est monté. Dans la nuit, sa maison a été brûlée. Ils l’avaient suivie. »

Les auteurs de l’incendie n’ont pas été arrêtés ni même identifiés, concède-t-elle toutefois. Tous les deux ont « la soixantaine ». Avec son mari, Anne a voté pour « Marion ». car elle a « la poigne et la hargne ». Ils justifient le passage de leur vote, il y a cinq ans, de l’UMP au FN :

« Sarkozy n’a rien fait contre l’immigration. Or, si on ne change pas, la France va au trou (…). Le maire de Cogolin (une des communes dirigées par le FN, ndlr) nous a dit qu’il avait été obligé de marier des sans-papiers. C’est une loi qui l’y oblige. »

Pour eux, il y a bien une « substitution de population » qui est en court :

« Dans le village d’à côté, des Turcs sont arrivés en masse et se reproduisent. Ils font des HLM pour eux ».

La peur de l’étranger, de l’invasion, reste pour ce couple le moteur de leur adhésion politique au FN.

Marine Le Pen au 15è Congrès du Front national à Lyon, les 29 et 30 novembre 2014. Crédit FCaterini-Inediz/Rue89Lyon.

« Je veux qu’on ferme les frontières »

Michel, presque 70 ans, vient de Seine Saint-Denis. Il voit bien qu’ « il y a deux tendances dans le parti ». Avant de se reprendredeux  : « courants de pensée », car le parti ne reconnaît pas les tendances organisées, « comme au parti socialiste ».

« Il y a une tendance souverainiste représentée par Philippot et une tendance identitaire représentée par Marion Maréchal-Le Pen ».

Lui se présente comme un gaulliste qui a longtemps voté à gauche. Bien sûr, annonce-t-il, il ne se reconnaît pas dans cette « vision de l’immigration » mais en Seine Saint-Denis, il dit voir à l’oeuvre cette « substitution de population ». « Ce n’est ni bien, ni mal » affirme-t-il. Juste un constat. Ce « souverainiste », comme il se définit, est surtout inquiet par « l’évolution de l’école ». Et ce qui l’intéresse surtout, dans les établissements, c’est la présence des enfants d’immigrés :

« On apprend aux enfants où se trouve leur pays d’origine avant de connaître notre pays. On n’apprend plus l’amour de la France ».

Il en veut à ces politiques qui prônent le cosmopolitisme et il ne se voit pas, par exemple, voter pour un Jean-Luc Mélenchon, qualifié d’ »immigrationniste » :

« J’ai vécu avec des frontières fermées. Pour mes petits-enfants, je veux qu’on ferme les frontières. On ne peut pas accueillir toute la misère du monde. On doit développer la préférence nationale sur le logement et le travail ».

Michel vient d’adhérer au Front national. Ce n’aurait pas été possible avant, à cause de la figure pour lui repoussoir de Jean-Marie Le Pen, et de ses sorties « antisémites ».

« Maintenant, ça a changé. Marine doit composer avec cet héritage historique. Elle doit ménager les susceptibilités. Je lui fais confiance ».

La hantise du kebab pour programme local

Des conseils, de la méthodologie et quelques anecdotes sur la vie d’un élu local FN. L’une des tables rondes politiques les plus importantes de ce congrès a porté sur l’implantation locale du FN, qui lui a grandement fait défaut jusque là. Objectif visé : les élections cantonales de 2015.
Wallerand de Saint-Just, trésorier du FN et candidat malheureux à la mairie de Paris en 2014, a tenté de motiver les quelques centaines de personnes éparses le samedi après-midi dans la salle du Congrès :

« Vous ne serez élu, je pense, que parce que vous aurez eu le contact visuel le plus fréquent et le plus chaleureux avec le plus grand nombre d’administrés. »

L’ennemi du candidat FN : « le digicode ». Pour Wallerand de Saint-Just, l’une des missions principales de l’élu local est aussi de faire payer leurs cotisations aux adhérents, passer du temps à « insister, insister » pour les récupérer et faire fonctionner la machine.

Marc-Etienne Lansade, maire FN de Cogolin, commune du Var, voit quant à lui son rôle d’édile local comme celui d’un « protecteur ». Pour lui, la possibilité de préempter les commerces des villes est l’une des armes du maire, qui doit ainsi empêcher l’installation de « certains commerce de bouche », qu’il juge « pas à la hauteur » et révélateurs d’un communautarisme. Les kebabs, par exemple.

Thomas et Julien ont 24 et 26 ans, ils ont fait le voyage ensemble depuis la Bretagne, tout particulièrement dans le but de recevoir des conseils sur la façon de mener une carrière politique, sur leur territoire. Aucun n’a souhaité indiquer sa ville d’origine, « parce qu’ils pourraient y être candidats pour les prochaines cantonales ». Un paradoxe sans cesse nourri pendant notre échange. Tous les deux ont en effet oscillé entre la volonté d’afficher leurs ambitions d’évolution dans un parti « clairement républicain » et celle de ne pas se déclarer publiquement, de rester anonymes. Il n’est « pas encore l’heure ».

Pour eux, le congrès a plutôt été l’occasion de vérifier que le FN est le bon endroit pour se lancer en politique. Julien, commercial dans la publicité a jusque là voté à droite, pour Nicolas Sarkozy. Thomas est plus « convaincu », notamment par la ligne politique insufflée par Florian Philippot. Il s’agace lorsqu’on lui parle de Jean-Marie Le Pen, qui a ouvert le congrès de Lyon sur les thèmes et la vindicte historiques du Front national.

Cet étudiant en droit qui compte devenir avocat a grandi dans « une famille de gauche, limite communiste ». Il estime partager pourtant avec elle des valeurs communes. Pour lui, seules des « barrières psychologiques » empêchent ses proches de voter pour le Front national. Les mêmes peut-être qui l’empêchent de parler à visage découvert. Pour les deux bretons, le congrès pourra être considéré comme un succès qu’en y trouvant le moyen de se faire quelques relations, « de rencontrer les cadres ». Pour une éventuelle carrière au sein du parti et depuis la Bretagne.

Marine Le Pen et le consensus final

Marine Le Pen au 15è Congrès du Front national à Lyon, les 29 et 30 novembre 2014. Crédit FCaterini-Inediz/Rue89Lyon.

Marine Le Pen sait son intérêt, d’un point de vue électoral, à surfer sur les différents courants et à porter la synthèse des discours de Florian Philippot et de Marion Maréchal Le Pen, envoyant les bons messages à chacun.

Car il ne faudrait voir le FN comme un parti divisé. « Il marche sur deux jambes », pour reprendre l’expression du politologue Jean-Yves Camus. Avec un tronc commun où l’on retrouve la lutte contre « l’immigration massive ».

Le discours de clôture du congrès de Marine Le Pen en a été une nouvelle démonstration. En direct sur BFMTV, la présidente réélue en étant la seule candidate a déroulé son discours qui suscite le plus d’applaudissements, celui de la défense d’une « République sociale et laïque », protectrice des plus faibles, face à la mondialisation et à l’Europe.

Mais à l’applaudimètre, ce ne sont pas les thématiques sociales qui ont fait le plus réagir la salle 3000 de Lyon dans son discours de près d’une heure.

« La République démocratique n’est plus qu’un leurre et la laïcité qu’un souvenir évanoui par des années d’immigration massive », attaque Marine Le Pen avant de se lancer dans une énumération qui a visiblement enivré les militants :

« Tout y passe, la liste est longue des soumissions aux fondamentalistes : les manuels scolaires, les repas dans les cantines, les horaires séparés à la piscine, la construction de salles de prières ».

L’énumération des craintes du parti s’est terminée par des « on est chez nous », scandés par une foule pour partie rassurée par ce rappel, porté par le père et ré-emballé par la fille, de ce qu’est le socle FN.


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Photo : Mathieu Pernot/Les Migrants, 2009.

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