Côté taulards, outre les suicides (sept fois plus élevé que la moyenne nationale), c’est une dizaine de morts suspectes par an, autant par absence de soins. On laissera dans l’ombre, faute de statistiques, ceux qui meurent des séquelles dans les 6 mois à 2 ans après leur sortie, ceux qui restent handicapés, ceux qui ont perdu leurs dents à jamais. Un dérivé du scorbut a dû subsister depuis les galères car c’est fou ce qu’on perd comme dents en taule. C’est peut-être nous les sans-dents ?
Donc, posons nous la question : qui est le plus en danger dans une prison ?
Bien sûr, les matons savent parfaitement en causer et leurs représentants syndicaux sont devenus quasiment des professionnels de la communication (d’autant que personne n’est là pour contredire leurs affirmations). Alors ils vont, paraît-il, bosser avec la peur au ventre tous les matins, cette peur se répercute sur leur psychisme et donc sur leur vie familiale et sociale. A les entendre, ils font ce qu’ils peuvent pour réinsérer ces bêtes sauvages qui sont enfermées, ceux-là même qui les agressent, les menacent sans aucune reconnaissance.
Ah, ils présentent une façade lisse, respectueuse de la loi et du genre humain, on dirait des curés.
Des frigos l’hiver et des saunas l’été
En vérité, j’entends régulièrement les cris des taulards battus, je sais les ratonnades de nuits, notamment dans les mitards ou quartiers d’isolement. Je vois à longueur de journée les provocations et constate les insultes. Je serre les poings autant que les autres taulards pour rester maîtres de nous-mêmes.
J’entends leurs rires dans les coursives quand ils réveillent des gars toutes les deux heures en tapant sur leur porte et en allumant la lumière dans leur cellule. Il y a des témoignages à foison sur les journées et nuits entières, à poil dans les mitards qui sont des frigos l’hiver et des saunas l’été.
Tu n’as peut-être jamais croisé, lecteur, un taulard emmené à l’hôpital pour une consultation entravé comme un bagnard à la Jean Valjean, chaînes aux pieds et aux mains, pourtant c’est là aussi récurrent.
Et qu’on ne me dise pas que j’exagère, je le vois tous les jours. Je témoigne d’une réalité vécue sans rajout ni fioriture.
Et lorsqu’on rentre de « promenade »…
La seule peur qu’ils ont est celle qu’on leur enseigne à l’ENAP, leur école de formation, celle des groupes de plus de 5 prisonniers.
Sais-tu lecteur, que lorsqu’une bagarre éclate, jamais ils ne rentrent dans les cours de promenade. Consigne de sécurité. Ils peuvent regarder un mec crever sans intervenir mais ils ne rentrent pas.
Dans une cour de promenade on est 30 ou 50 et ils imaginent que si ils y viennent, ils vont se faire lyncher. Pour les douches c’est pareil, on y va 5 par 5.
Les uns y vont quand les autres ont réintégré leur niche. On est enfermé à l’intérieur des douches au cas où on voudrait se balader dans les coursives. Les activités (rares) ont un maximum de 10 participants, réduits souvent à 5 ou 6 pour cause de différents empêchements, particulièrement celui de ne pas se voir ouvrir la porte de la cellule.
Et les mouvements, les fameux mouvements, lorsqu’on descend ou qu’on rentre de « promenade », ce doux euphémisme pour désigner la sortie dans des cours internes encerclés de grillages et de barbelés. Toute la taule est bloquée, aucun passage pour aller à l’infirmerie, au parloir, au greffe ou autres.
Même les travailleurs du service général sont mis dans des pièces d’attente ou entre deux étages. Et l’ensemble des matons du bâtiment sont là. On sort ou on remonte par tranche qui ne soit pas supérieure en nombre à la quinzaine qu’ils sont. Ils savent bien qu’avec la maltraitance qu’on subit ils fabriquent des meutes.
Celui qui est en danger véritable c’est bien le taulard
Alors cette fameuse peur des matons, ils se la fabriquent au sens propre en traitant les prisonniers comme des animaux et en les poussant à bout. Mais ils se l’entretiennent fantasmatiquement aussi dans leurs rituels de fonctionnement. Ils doivent avoir besoin de se valoriser et jouent donc dans une pièce de théâtre où le danger serait de tous les côtés. Pour faire croire qu’on est dans le courage ou le sacrifice, il suffit de raconter une dangerosité environnante.
Bien sûr, des prisonniers pètent des plombs. Quand cela fait 2 ou 3 heures qu’un gars tambourine à la porte de sa cellule et que personne ne vient car il n’y a personne en coursive. Quand à force de se faire insulter le mec se rebelle. Quand cela fait la dixième fois qu’on lui claque la porte de la cellule à la gueule alors qu’il ne fait que demander ce à quoi il a droit. Quand on ne vient pas le chercher quand il a parloir et qu’on dit à la famille qu’il n’a pas voulu venir…
Et lorsqu’il y a parfois un mouvement collectif, celui de bloquer la cour de promenade, autrement de refuser de remonter, on nous envoie les ERIS, les robocops qui te tombent dessus à 5 contre 1, outillés jusqu’aux dents. Ensuite on te traîne au mitard où tu peux t’attendre dans la nuit à te faire bastonner de nouveau.
Alors tu vois, lecteur, leur métier dangereux, tu peux en rire parce que, encore une fois, en taule celui qui est en danger véritable ce n’est pas le maton mais bien le taulard.
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