C’est un appartement T4, au 1er étage d’un immeuble cerclé de gazon de la rue Claude Kogan à Grenoble. Digicode, sas d’entrée, escaliers, comité d’accueil sur le palier. Les deux familles qui cohabitent à neuf personnes dans ces 80 m2 se sont équitablement réparti l’espace. Deux pièces chacune.
Un canapé-lit et une commode en bois garnissent le salon. Dans les trois chambres, les matelas sont posés au sol. Deux fillettes d’à peine trois ans regardent sagement les ennuyeux dessins-animés de Gulli du mercredi après-midi. Les mères de famille discutent. Un des hommes est à son cours de français, l’autre est sorti profiter du soleil avec quelques-uns des enfants.
La cuisine est commune. Impeccablement rangée. Les familles l’utilisent à tour de rôle. Des feuilles sont en vrac sur la toile cirée de la table en formica. Léonara, 13 ans et André, bénévole d’une association de parrainage républicain, préparent un exposé de la collégienne. C’est lui qui a fourni une partie du mobilier. Le reste a été récupéré par les agents de la ville chez Emmaüs.
Hébergés dans des foyers de personnes âgées
Ces deux familles originaires d’Albanie et du Kosovo sont arrivées en France en 2010 et sont depuis en situation de demande d’asile. Depuis le 6 novembre, elles sont logées par le centre communal d’action social (CCAS) de Grenoble dans cet appartement de fonction d’instituteur appartenant à la ville.
Comme elles, huit autres familles habitent désormais dans trois appartements de ce type, dans les quartiers Jouhaux, Ampère et Marie Reynoard, ainsi que dans deux logements-foyers de personnes âgées.
Alain Denoyelle, le vice-président du CCAS de Grenoble et adjoint à l’action sociale assure que les nouveaux occupants ne prennent pas la place de quelqu’un d’autre.
« Il n’y a pas de concurrence. Ce sont des logements inoccupés et difficilement proposables à la location car ils ont besoin de travaux. Dans les foyers pour personnes âgées, nous avons un très bon retour des familles et des résidents qui les côtoient. Nous sommes très vigilants à ne pas déstabiliser leur tranquillité ».
Seules l’autonomie des familles et leur composition ont compté pour l’attribution de ces logements, assure-t-il.
« Les situations administratives et migratoires ne doivent pas être des critères d’attribution d’hébergement d’urgence. La politique d’immigration menée par l’Etat est devenue un piège administratif. Nous voulons prouver que si elles sont correctement accompagnées, ces familles pourront s’intégrer ».
À chaque visite des services sociaux, les familles demandent jusqu’à quand elles pourront rester dans leur nouveau logement. En attendant, leur soulagement est néanmoins palpable. Car avant ces déménagements, elles s’entassaient à 80 – essentiellement des migrants en situation de demande d’asile – dans l’insalubre foyer « des Mimosas », avenue Verlaine, où une cinquantaine de personnes vivent encore.
La clé de bras d’Eric Piolle au préfet
Le 10 juillet dernier, cet ancien bâtiment de la jeunesse et des sports avait donné lieu à un bras de fer entre le préfet de l’Isère et Eric Piolle. Ce jour-là, le préfet avait ordonné l’expulsion de ce local requalifié en centre d’hébergement d’urgence depuis trois ans, en raison de l’insalubrité des locaux et d’un budget de fonctionnement épuisé.
Mais le soir même, Eric Piolle faisait une clé de bras au représentant de l’Etat en rétablissant l’eau et l’électricité. Quatre mois plus tard, Alain Denoyelle, justifie :
« C’était effectivement un moyen de revenir sur une décision de la préfecture sans lui demander son avis. Mais si on ne l’avait pas fait, il y aurait eu le lendemain un squat de 200 personnes et nous n’aurions plus eu les moyens d’intervenir sur place ».
Des plaques de cuisson pour se chauffer
Aujourd’hui, il assure que la solution était provisoire. Car élus et services de la ville veulent désormais fermer à leur tour le site pour plusieurs raisons. Première d’entre elles : les conditions d’hygiène et de sécurité se sont encore dégradées. Faute de chauffage, certains occupants laissent les plaques de cuisson allumées.
Plus le temps d’attendre, selon Agnès Jacquemmoz, attachée de direction du CCAS de Grenoble qui a identifié et visité en trois jours les logements disponibles.
« Nous allions tout droit à un incendie. Il fallait diminuer les effectifs. Certains relogements se sont donc fait très très vite ».
La ville se laisse jusqu’à mi-décembre pour vider les lieux et déplacer la dizaine de familles restantes dans des préfabriqués installés sur l’aire des gens du voyages, au Rondeau, où le CCAS gèrera également 57 places supplémentaires d’hébergement d’urgence, ouvertes par la préfecture dans le cadre du renfort hivernal d’hébergement d’urgence. Sur l’ensemble de l’agglomération grenobloise, on estime entre 750 et 3000 le nombre de personnes sans-abri.
Une plainte pour occupation illégale
Mais la pression monte aussi sur le plan juridique. En réponse à cette réquisition sauvage, la préfecture avait déposé cet été un recours au tribunal administratif. Elle avait été déboutée. Le 4 novembre, elle a déposé plainte auprès du procureur du tribunal de grande instance de Grenoble, pour occupation illégale d’un bâtiment public. La plainte sera retirée seulement si le site est rapidement évacué.
Enfin, l’urgence est également budgétaire pour la ville. Malgré les sollicitations pour une participation de l’Etat, la municipalité doit assumer seule les frais d’ouverture du foyer. Chaque mois, elle consacre 15000 euros au gardiennage du site et près de 5 000 euros de facture d’eau et d’énergie. Soit un total de 20000 euros par mois sur une ligne budgétaire qui n’existe pas.
La facture est comparable pour un autre site, à 300 mètres de là, sur l’avenue Edmond Esmonin, où la ville a également installé pendant l’été des tentes marabout gardées, accueillant 70 personnes. Tout autour, un campement n’a cessé de s’agrandir pendant l’automne au fur et à mesure des expulsions de squats et des évacuations de camps de l’agglomération grenobloise.
Plus de 260 personnes vivent désormais en bordure de cette avenue qui conduit au centre commercial Grand’Place. Chacun peut bénéficier des points d’eau et d’électricité installés par la ville.
Un dépôt pour les passeurs
Une situation prévisible selon Stéphane Gemmani, ancien conseiller municipal et président-fondateur du samu social de Grenoble.
« En laissant ouvert le foyer Verlaine dans ces conditions, la ville a créé un lieu de dépôt pour les passeurs. C’est flagrant quand on voit le campement qui s’est développé à côté où se développe des réseaux de trafic de drogue et de prostitution. Nos maraudes ne peuvent plus aller sur places suite à des incidents. Ce n’est plus de l’action sociale, mais de l’humanitaire ».
L’évacuation « sèche » du campement ne règlerait rien selon Alain Denoyelle, pour qui la situation sur ce campement n’est plus urgente, « mais catastrophique ».
Mais cette fois-ci, la ville ne pourra plus assumer seule. Presque chaque semaine, Eric Piolle a rendez-vous en préfecture à ce sujet. Le maire écologiste nous le dit :
« Le chemin est encore long et pas réjouissant. Il faut mettre en place une politique métropolitaine, pour ne pas être dans une logique, comme jusqu’à présent, de fermeture de camp qui se déplacera sur une autre commune. Objectivement, c’est le dossier ce qui me tord le plus les tripes depuis le début de ce mandat ».
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