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Avec 6 millions de cartouches d’imprimante sur les bras, Collectors relance le débat du recyclage

Le principal collecteur français de cartouches d’imprimante usagées, croulant sous les stocks d’invendus, est passé à l’offensive judiciaire afin de contraindre les fabricants à assumer la responsabilité de leurs produits usagés. Un premier jugement a été rendu en faveur de Collectors, cette PME de Mornant qui ne veut pas assumer seule l’échec de la filière d’élimination de ces déchets informatiques.

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Avec 6 millions de cartouches d’imprimante sur les bras, Collectors relance le débat du recyclage

Des millions de cartouches d’imprimantes restent sur les bras de la société Collectors, à Mornant. Photo DR.

En matière d’écologie, il y a souvent une marge entre discours et réalité. Le discours, c’est l’éco-conception, la réutilisation et le recyclage des déchets, l’économie circulaire. La réalité, pour la société Collectors, à Mornant, dans la région lyonnaise, c’est un stock de six millions de cartouches d’imprimante usagées qui s’accumulent faute de débouchés.

Numéro un de la reprise des consommables d’imprimantes en France avec un réseau de 30 000 points de collecte sur le territoire, Collectors récupère et trie 3,5 millions de cartouches usagées par an, représentant 20 % de ce marché. C’est beaucoup et peu : chaque année, 70 millions de cartouches sont vendues en France, 18 millions sont récupérées. Le reste passe tout simplement à la poubelle.

Jusqu’à présent, le système s’équilibrait. Le coût de la collecte et du tri était compensé par la vente des cartouches récupérées, soit pour être remplies et réutilisées, soit comme source de matière première plastique. Ce modèle économique s’est peu à peu effrité. Fabrice Legriffon, Pdg de la société Collectors fondée en 1996, a fait ses comptes : en 2010, 65 % de ses cartouches étaient revendues, en 2013, 42 % et, pour 2014, ce sera moins de 35 %. Pourquoi ?

« Les fabricants font en sorte que leur produits puissent de moins en moins être réemployés ou recyclés », résume-t-il.

En cause : des puces électroniques qui interdisent la réutilisation des cartouches, des clauses de garantie des imprimantes qui en dissuadent l’usage, des plastiques de médiocre qualité difficiles voir impossibles à recycler.

Aujourd’hui, le coût d’une cartouche recyclée se retrouve supérieur à celui d’une cartouche compatible. Résultat : les locaux de Collectors débordent de cartons de cartouches qui ne trouvent plus preneur. Au fil des mois, les difficultés financières se sont accumulées, mettant en danger la survie de la société, qui s’est de surcroît retrouvée cet été en infraction en tant qu’installation classée : elle a atteint 10 000 m3 de stock de consommables pour une autorisation de 5 600 m3.

 

Une astreinte de 10 000 euros par jour

Collectors a beau être numéro 1 sur son marché, c’est un petit poucet de 40 salariés face aux mastodontes mondiaux de l’imprimante, dont HP et Epson (70 % des volumes à eux deux). Hors Lexmark et le distributeur Neopost, les fabricants, alertés sur la situation, ont fait la sourde oreille. Collectors a donc saisi la justice.

La première salve a été lancée contre le grossiste Officexpress, dont 1 million de cartouches dorment dans les hangars de Mornant.

Le tribunal du commerce, dans une décision du 3 octobre, a ordonné à Officexpress de récupérer ses cartouches sous 15 jours avec une astreinte de 10 000 euros par jour de retard une fois ce délai passé, et à payer une provision de 430 000 euros :

« Cette situation résulte d’une manière évidente d’une carence de la société Officexpress dans l’organisation et la gestion de la filière d’élimination des déchets informatiques ».

Office express a fait appel de l’exécution provisoire de l’ordonnance et du montant de l’astreinte. Les audiences ont eu lieu respectivement lundi et mercredi derniers, pour des décisions attendues les 13 et 17 novembre prochains.

« La décision de première instance est exécutoire. La provision a déjà été saisie auprès des clients d’Officexpress. L’astreinte va courir au moins jusqu’à mi-novembre. Tout risque de liquidation de Collectors est à court terme écarté », observe Me Thibaud Soleilhac, avocat de la PME, qui examine la possibilité d’autres recours.

Six millions de cartouches d’imprimantes usagées, sur les bras.

Et pourtant, un accord-cadre avec le ministère de l’Ecologie

Farce de l’histoire, la chute des débouchés des cartouches recyclables subie par Collectors a été concomitante avec l’affichage de la bonne volonté des professionnels qui ont signé un accord-cadre en novembre 2011 avec le ministère de l’écologie intitulé « pour une gestion efficace et performante des déchets de cartouches d’impression bureautique »…

Cet engagement volontaire, sans obligations ni sanctions, permet au secteur de verdir son image à bon compte : il leur permet d’éviter des dispositifs nettement plus contraignants comme la responsabilité élargie du producteur (REP), assortie d’une contribution financière obligatoire des entreprises et la mise en place d’un éco-organisme comme Eco-emballages qui dédommage les communes du coût de la collecte et du tri de la « poubelle verte ».

Les fabricants de consommables d’impression craignent aussi que l’Europe décide d’assimiler les cartouches à des déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE) qui relève de cette responsabilité élargie.

Sur le papier, tout irait pourtant pour le mieux dans le monde de la cartouche d’imprimante. Le dernier rapport d’activité publié en septembre dernier par les signataires de l’accord-cadre de 2011 (sur le fondement de leurs propres déclarations) proclame ainsi une collecte de 62 % des tonnages de cartouches mises sur le marché, avec un taux de réutilisation et de recyclage matière de 82,5 %. En fait, ces bons résultats sont essentiellement dus au… poids des cartouches laser utilisées surtout par les entreprises, qui représentent 80 % des 6 000 tonnes collectées.

 

Obtenir une véritable stratégie de recyclage

Collectors veut obliger les fabricants de cartouches d’imprimantes à organiser la filière de recyclage. Photo DR.

En revanche, 18 % seulement des cartouches à jet d’encre, formant l’immense majorité des consommables mis sur le marché (56 sur 70 millions) sont effectivement récupérées, et leur taux confondu de ré-emploi et de recyclage matière n’atteint alors plus que 63 %.

Le rapport n’indique en effet pas ce qui relève de la réutilisation des cartouches qui, dans la hiérarchie du traitement des déchets doit pourtant primer sur celui du broyage des matières plastiques. De plus, ce document averti que ces taux de recyclage sont calculés sur la base d’estimations et de déclarations partielles, ce qui « peut conduire à surévaluer les taux de valorisation »…

Enfin, deux chiffres trahissent les dysfonctionnements du système : d’une part, 220 tonnes restent stockées chez les collecteurs « en attente d’une solution préférable à celle de l’incinération », dont près de 15 % des cartouches à jet d’encre récupérées (+ 6 % des stocks en un an), d’autre part, plus de la moitié des tonnages de consommables collectés (57 %) sont traités hors de France, et 7 sur 10 des cartouches destinées à être réutilisées sont exportées.

« Dans les faits, au delà des effets d’affichage et de communication, l’essentiel des fabricants ont choisi d’ignorer le sort réservé en fin de vie de la grande majorité de leur production de cartouches et de toners », dénonce Fabrice Legriffon.

Son objectif n’est pas tant d’espérer une série de condamnations mais de contraindre les fabricants à respecter leurs engagements pour mettre en place, enfin, une véritable stratégie de recyclage de leurs produits.

 


#déchets

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