C’était à la première édition lyonnaise du Salon des vins naturels, que Rue89 Lyon organisait avec Rue89 et le blog No wine is innocent d’Antonin Iommi-Amunategui, dimanche et lundi. Désaccords et verres qui cognent.
La conférence, qui a débuté aux alentours de 16h dimanche, a permis à Dominique Hutin (« On va déguster », France Inter) et ses six invités de raconter, déguster, débattre.
Des hommes à plusieurs casquettes : tantôt gynécologue, tantôt vulcanologue, ils nourrissent tous un amour inconditionnel pour le vin. Et c’est également leur travail d’auteurs qui a nourri les échanges. Certains étaient d’ailleurs aussi venus pour présenter leurs ouvrages, ce qui a donner une consistance littéraire à un débat déjà très riche.
« Quelques copains de boisson venus discuter »
Durant une heure et demi, et devant une assemblée attentive, Dominique Hutin a distribué la parole à ses différents invités. Petit tour d’horizon :
- Olivier Grosjean, ou plutôt « Olif » : fil rouge du débat, il est intervenu régulièrement afin de livrer son point de vue sur les différentes prises de positions. Blogueur et auteur de Tronches de vin – le guide des vins qu’ont d’la gueule, et , il a également fait une dégustation comparative des vins de Raphaël Gonzales (issus d’une même parcelle, travaillée pour partie avec, et pour partie sans traitements biodynamiques).
- Dominique Derain, vigneron bourguignon de son état, il a notamment été vu dans le documentaire d’Isabelle Saporta, Vino Business. Il s’est expliqué, entre autre, sur les raisons de son récent déclassage et les conséquences que cela a eu sur sa vision de choses.
- Vincent Wallard, vigneron, il est également un peu gymnaste puisqu’il fait le grand écart entre l’Argentine et la France depuis maintenant plusieurs années. Pionnier de la culture du vin naturel outre-Atlantique, il a donné quelques clés pour comprendre comment cela fonctionne dans un pays où Monsanto est roi et où le vin est un produit de marché comme les autres.
- Lilian Bauchet, néo-vigneron, interviewé par nos soins.
- Denny Baldin, ovni, auteur de Super Natural Wine, il incarne à lui seul une multitude de personnages : un peu italien, un peu irlandais, un peu français, il se définit comme un « gitan » : artiste, paysan, docteur en économie. Entre autres.
- Charles Frankel, auteur de Vins de feu, « caution » scientifique du débat, y apportant un « grain d’ultra-rationalisme ».
Même s’ils n’avaient pas tous un micro à la main, personne en tout cas n’avait oublié son verre de vin.
Le tintement des verres en fond sonore
Chacun a développé plus précisément sa vision de la biodynamie, sa définition, son implication et sa manière de faire. En forme de « message d’amour, d’espoir, de paix et de forme d’empathie pour le bio ».
Pour tous la biodynamie va d’ailleurs au-delà de la notion du bio, ce serait même plutôt de la « bio raisonnée ». La volonté est de « replacer le vivant » au coeur de la production de vin. Et se servir du calendrier lunaire ou enterrer des cornes de vaches pour remplacer les pesticides ne serait que la « crête saillante » du mouvement.
Lorsqu’il arrive aux vignerons présents d’entendre que « le vin bio c’est du pipeau » (du fait de l’impossibilité d’être sûr à 100% que les vignes n’ont pas été atteintes par les pesticides des voisins non bio), tous sont d’accord pour répondre qu’ils n’en sont pas responsables et font de leur mieux pour s’en protéger.
Ils ne jettent pas pour autant la pierre aux producteurs conventionnels. Lilian Bauchet nous avait déjà longuement exposé son point de vue, relativisant. Ils les considèrent plus comme des prisonniers d’un modèle économique installé, leur permettant d’exploiter seul grâce aux pesticides et aux machines.
La lune mais aussi l’Argentine
Mais ils se sont aussi opposés. Notamment sur l’usage du calendrier lunaire et son influence sur les productions. Le scientifique en chef, Charles Frankel, affirme que « la croissance des plantes ne peut être influencée par la lune ».
Espérant « ne pas être lynché », il nuance tout de même en précisant qu’il « respecte ceux qui travaillent avec la lune » et qu’il n’est pas contre l’idée qu’il y aurait des « phénomènes que la science n’explique pas ». Le seul leitmotiv étant qu’il y a « de la vie dans la bouteille ».
Vincent Wallard, Denny Baldin ou encore Charles Frankel, tous ont montré que la biodynamie n’est pas affaire française.
En Argentine, alors même que le terrain serait « plus que favorable », Vincent Wallard estime qu’il s’agit d’un pays « totalement éloigné de cette problématique ». Le vigneron va jusqu’à le qualifier de « laboratoire pour OGM » :
« L’Argentine c’est n’importe quoi à ce niveau là. Ils pourraient être 100% bio demain, sans problème, si cela répondait à une logique de marché. Mais aujourd’hui il n’y a aucune relation ni avec la terre ni avec le consommateur et son bien-être ».
Il n’estime pas avoir vocation à « révolutionner l’agriculture là-bas ». Et préfère faire sa popote dans son coin. Comme Lilian Bauchet, qui a changé de domaine il y a peu, pour être « un peu plus modeste », dit-il.
Comprendre l’empire Monsanto en 3 minutes.
Pesticides : la santé du consommateur… et du viticulteur
Quant à Denny Baldin, éparpillé entre plusieurs pays, il se situe géographiquement davantage par le biais des cépages. Sous son bob, les idées fusent : il dépasse les frontières spatiales mais aussi temporelles, nous livrant un petit historique de la peinture, afin d’illustrer ce qu’est « l’acte de rébellion ».
Le nom des vins côtoie celui des peintres et le débat part un peu dans tous les sens. Mais il nous a semblé lire une idée, une ligne directrice : « reprendre en main son libre arbitre, d’avoir le droit d’aimer ou non quelque chose ».
Il a aussi été rappelé qu’il y a 300 fois plus de résidus de pesticides dans le vin que dans l’eau potable, comme l’a détaillé Antonin Iommi-Amunategui. Raison de plus donc pour consommer du vin naturel.
Le thème de la santé du consommateur est centrale dans la dynamique du bio, mais on parle moins souvent de la santé des producteurs. Lilian Bauchet a mis la lumière sur les cancers des viticulteurs, même s’il est difficile de les lier directement aux produits utilisés, et sur les maladies multiples qui touchent le corps de métier.
« On a largement rempli la bouteille ». C’est en ces termes que Dominique Hutin a clos la conversation. Souhaitant conclure en rappelant que chacun des invités est un « artisan qui reflète une individualité », à l’image de la nature, plurielle. Le récit de ces différents parcours a ouvert un panorama de ce qu’est la biodynamie aujourd’hui, et chacun a pu retourner à la découverte de cette sorte de « salon des refusés », la tête pleine d’idées.
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