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L’énergie publique fait disjoncter Grenoble : qui veut la peau de GDF-Suez ?

La perte de l’appel d’offre de l’éclairage public par la société d’économie mixte Gaz et Electricité de Grenoble (GEG) détenue à 51% par la ville, a fait l’effet d’une bombe, mettant au jour une importante bataille politique. Celle que prépare Eric Piolle, maire écolo, en souhaitant la conversion de cette entreprise en régie publique, afin de l’inscrire dans une vaste « reconquête des services publics ».

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L’énergie publique fait disjoncter Grenoble : qui veut la peau de GDF-Suez ?

Il ne manquait plus qu’une délibération du conseil municipal de Grenoble et c’était acté. Les lampadaires de la ville seraient aujourd’hui sous le giron d’un consortium des géants Vinci et Bouygues.

Mais la délibération n’a finalement pas été soumise au vote. Ou, du moins, pas encore. Car le 20 octobre dernier – soir de conseil municipal – certains salariés de Gaz et Electricité de Grenoble ont fait le coup de la panne au maire de la ville, Eric Piolle, et à ses conseillers. Au moment d’ouvrir les débats, plus de lumière, plus de micro… Plus de jus dans tout l’hôtel de ville.

Le conseil municipal plongé dans le noir. Crédit : Stéphane Bieganski

Le conseil a été ajourné, et la délibération reportée sine die. Ce coup de force musclé des électriciens de GEG était devenu inévitable selon Sophie Cavagna, porte-parole de l’intersyndicale à l’origine de cette action :

« Le vote de cette délibération, c’était la condamnation de tout un pan du service public de l’électricité. Il fallait une autre solution ».

 

« Un vision de l’entreprise digne du monde de Mickey » 

L’appel d’offre est ambitieux. Rénover 80% des équipements d’éclairage publique et réaliser 56% d’économie d’énergie à la fin du contrat, en 2022. Mais l’aguichante médaille comporte quelques revers. Comment cette majorité de gauche (EELV/PG/ADES/Citoyens) pourrait-elle se satisfaire d’accorder sa préférence aux deux géants du CAC 40 qu’ils ont tant décrié par le passé ? Et surtout, que deviendront les 25 emplois locaux affectés à l’éclairage public chez GEG ?

Mardi dernier, le sujet est revenu à l’ordre du jour d’une rencontre plus intimiste cette fois-ci. Ce jour-là, le maire reçoit une délégation des salariés assagis. Eric Piolle condamne d’abord leur action « intrusive et contraire à la sérénité du débat », alors que la parole leur avait été donnée.

Eric Piolle, crédit : VG/Rue89Lyon.

Vincent Fristot l’accompagne. L’adjoint à la transition énergétique et président de GEG présente ses contraintes : les prédécesseurs socialistes ont anticipé la mise en concurrence de l’éclairage public prévu par les textes européens, et la ville doit désormais s’y conformer avant le 1er janvier prochain. GEG a présenté une offre, mais celle du concurrent privé était meilleure aux yeux de la commission d’appel d’offre. Face aux syndicalistes, l’élu-président renouvelle aussi l’engagement de ne licencier personne, malgré la perte de ce marché représentant 1,5 million d’euros de chiffre d’affaire pour GEG.

L’intersyndicale n’y croit pas. Trop simple, trop facile.

« Une conception infantile de l’entreprise, digne du monde de Mickey », lâche Sophie Cavagna.

Les représentants des salariés prennent les devants. Ils sont venus avec un autre scénario.

 

L’alternative ? Court-circuiter l’appel d’offre

Selon l’intersyndicale, une véritable opportunité s’offre au maire et à son équipe en changeant « simplement » le mode de gestion de ce service. En substance : court-circuiter l’appel d’offre obligatoire en le classant sans-suite pour un motif « d’utilité publique », comme la création d’une régie municipale de l’éclairage public.

Cela permettrait d’y transférer les salariés du service menacé tout en sauvant la face, légalement, sur la privation d’un service public. Tout le monde trouverait son compte. Une sortie de crise opportune aux yeux de Vincent Comparat, le président de l’ADES, parti écologiste local et pierre angulaire de la majorité municipale.

« Si le personnel souhaite une régie municipale de l’éclairage public, pourquoi ne pas essayer ? Tout en passant des marchés avec le privé pour les compétences dont elle ne disposerait pas ».

La réponse du maire est tombée jeudi. Eric Piolle a demandé une étude sur la faisabilité d’un tel scénario. Un processus qui pourrait prendre « de quelques semaines à quelques mois », prévient évasivement Vincent Fristot, dans un mail adressé aux organisations syndicales après la rencontre.

Une simple posture selon l’opposant socialiste Jérôme Safar qui occupait les fonctions de président de GEG sous le précédent mandat.

« Aujourd’hui le temps n’est pas aux manoeuvres de diversion pour déclencher des études comparant tel ou tel mode de gestion. Ces études auraient dû être engagées dès le printemps. La majorité municipale avait les moyens et le temps de le faire ».

 

« Torpiller GEG et spolier ses actionnaires »

En dehors de ce blocage, c’est l’avenir de GEG dans son ensemble qui questionne déjà le monde politique grenoblois. Pour le socialiste Jérôme Safar, l’issue de l’appel d’offre traduit surtout une volonté politique de la nouvelle majorité :

« C’est soit de l’incompétence, soit quelque chose de prémédité avec l’objectif de démanteler la SEM ».

Il est vite rejoint par le conseiller municipal UMP, Richard Cazenave, qui se montre moins hésitant :

« L’objectif réel d’Eric Piolle est de torpiller la SEM GEG et de spolier ses actionnaires ».

Siège social de GEG, place Robert Schuman à Grenoble. Crédit : VG/Rue89Lyon

Des actionnaires trop gourmands

La majorité n’a en effet jamais caché son vœu de substituer à GEG une régie publique d’agglomération. C’est même l’engagement de campagne n°23 de la liste d’Eric Piolle, qui juge la SEM pas assez sociale dans son approche de tarification et entichée d’actionnaires privés trop gourmands, selon Alain Dontaine, cadre du parti de Gauche à Grenoble. Depuis la création de la SEM par Alain Carignon en 1986 :

« C’est pas moins de 30 millions d’euros de dividendes qui ont été distribués aux actionnaires… 30 millions payés par les Grenoblois !» s’exclame-t-il.

Une charge contre GDF-Suez (l’actionnaire partenaire de la ville de Grenoble, propriétaire de 42% de GEG), que Jérôme Safar souhaitait modérer dans son allocution prévue lors du conseil municipal avorté.

« Partenaire, qui je le rappelle au passage, n’a pas touché de dividendes depuis 3 ans afin d’accepter de constituer des réserves importantes pour GEG aidant à l’investissement, mais aussi parce qu’il était impensable d’en verser au moment où, dans le cadre du Plan de Performance, des efforts étaient demandés aux salariés de l’entreprise ».

 

 « Amorcer la guerre nucléaire contre GDF-Suez »

Mais pour entreprendre quoi que ce soit en ce sens, la majorité est suspendue à une décision de justice. En 2012, avant de passer les clés de la mairie, la précédente municipalité socialiste avait prolongé la convention de distribution et de fourniture du gaz et de l’électricité de la SEM GEG jusqu’en 2042.

Des opposants écologistes de l’époque avaient rapidement déposé trois recours administratifs pour casser cette délibération. Une partie des requérants siègent désormais dans la majorité et se retrouvent dans une position cocasse : être à la fois accusateurs et défenseurs supposés des « intérêts de la ville » dans cette affaire, dont la phase d’instruction s’achèvera le 28 novembre prochain.

Pour la nouvelle majorité, la victoire est impérative afin d’honorer cette promesse de campagne et pour inscrire un nouvelle ligne à son tableau de chasse « des reconquêtes de services publics ». En 2000 déjà, l’eau de Grenoble avait été re-municipalisée par l’ancien maire socialiste Michel Destot, mis sous pression par ses alliés écologistes d’époque.

Mais en cas d’échec judiciaire, Eric Piolle n’aura pas les moyens d’indemniser les actionnaires comme la convention de DSP le prévoit pourtant, au prorata des bénéfices que la SEM aurait pu réaliser pendant ces trente années additionnelles. Ou alors, seulement en utilisant la manière forte pour faires réviser aux actionnaires leurs éventuelles ambitions financières. Vincent Comparat conclue sèchement.

« Soit GDF-Suez conservera les activités commerciales de GEG qui ne sont pas des services publics essentiels, soit on amorcera l’arme nucléaire en cassant tous les contrats. C’est à eux de voir ».


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