On a cherché, creusé à la Confluence. Il aura fallu du temps pour résoudre ce mystère lyonnais. Un internaute nous avait parlé de ces rails à Confluence, qui plongent dans l’eau exactement là où Rhône et Saône se rejoignent. D’où viennent-ils ? Mènent-ils dans les abysses du fleuve ?
Aucun panneau, pancarte, ou flèche au sol n’indique l’existence de cette bizarrerie : aux confins méridionaux de la presqu’île se trouvent des rails. Particularité ? Ils plongent dans l’eau, là où Rhône et Saône s’entremêlent enfin.
Pour y accéder, il faut se rendre sur la presqu’île. Côté Rhône, emprunter les escaliers à quelques mètres du nouveau pont Raymond Barre. Une fois sur le quai, se diriger vers le sud. Passer sous le pont, saluer les navigateurs en train de bichonner leur bateau, continuer en longeant le Musée des Confluences.
Côté Saône, il faut longer la rivière en direction du sud. Vous trouverez sur votre chemin des rails : ils courent du bâtiment du Progrès, jusqu’à la pointe, en passant par le Cube Orange et la Sucrière. Continuer jusqu’au bout du bout.
Ca y est, vous y êtes : des rails plongent littéralement dans l’eau.
C’est d’ailleurs pour cette étrangeté que les promeneurs viennent jusqu’ici. Et les hypothèses vont bon train :
« Ces rails servaient à mettre les bateaux dans l’eau. »
« Un train fantôme ? »
« Je pense qu’ils étaient utilisés pour acheminer les marchandises du Marché gare aux bateaux. »
« Non, ces rails sont trop larges pour un train. Je penche plus pour la mise à l’eau des bateaux. »
Tentons de comprendre par un petit retour en arrière. Imaginer la presqu’île Perrache, entièrement déserte. Pas une âme qui vive ni un bâtiment. Et pour cause. Au XVIIIème siècle, au niveau du confluent du Rhône et de la Saône seules quelques îles mouvantes s’y trouvaient.
Mais, comme l’indique la plaquette d’informations diffusée par Lyon Confluence, chargée de mettre en œuvre l’aménagement du sud de la presqu’île, un homme a décidé de s’attaquer à ces marécages en 1770, conscient du potentiel de cette zone : Michel-Antoine Perrache. L’objectif de son projet fou ? Déplacer le confluent au niveau de la Mulatière, combler les bras du fleuve abandonnés pour ensuite y installer une gare d’eau, des moulins et des industries.
Après moult égarements, les travaux sont finalement lancés en 1826 par le maire de l’époque, Jean de Lacroix-Laval. Fils d’un guillotiné de 1793 et ultraroyaliste notoire, il a programmé de vastes travaux en ville : de la forme des pavés, à l’aménagement du sud de la presqu’île. Selon les Archives de Lyon, il souhaitait :
« Consacrer à des établissements industriels ou fabriques, […] tout le terrain de la presqu’île Perrache. »
Ainsi, en 1826, le conseil municipal a conclu un accord avec les frères Seguin : la Ville leur a confié 283 000 m2 de terrain pour créer une gare d’eau, implanter une ligne de chemin de fer (Saint-Etienne – Lyon) ; en échange, ils devaient industrialiser le quartier.
Cette première gare a stimulé l’industrialisation du site. Ateliers métallurgiques, usines chimiques et à gaz mais aussi prisons (Saint-Joseph et Saint-Paul), abattoirs, caserne d’artillerie… Progressivement toutes les activités dîtes « gênantes » pour le centre-ville s’y sont installées, desservies par voies terrestres, fluviales et ferroviaires.
Les restes de voies entre Lyon–Saint-Etienne ou… barrage écluse de la Mulatière ?
Mais qu’en est-il de ces fameux rails ? Pour Gérard Corneloup, journaliste et historien :
« Il s’agit peut-être des restes de l’une des voies de la ligne Saint-Étienne–Lyon, où l’on déchargeait le charbon et les autres produits. Ces rails sont liés à des transports de matériels ou de personnes. »
On tâtonne, on s’approche, on frôle la réponse… Jean-Luc Chavent a lui aussi son hypothèse. A la fois guide, animateur télé et écrivain, l’homme à la moustache est spécialiste de l’histoire lyonnaise :
« En 1926, le port Rambaud a été installé pour remplacer la gare d’eau Seguin. Des wagons de marchandises arrivaient de la gare Perrache et les grues chargeaient et déchargeaient les péniches. »
On aurait pu s’arrêter là… Or, pour des grues, il faut un quai, et il n’y en a pas. Et surtout, pourquoi des rails qui finissent leur course sous l’eau ? Après les historiens, nous avons épluché de vieilles cartes et cartes postales, parlé à un professeur d’architecture, téléphoné à l’aménageur du quartier du sud de la presqu’île Lyon Confluence, joint le Port Lyon Édouard Herriot. Et même la SNCF, à tout hasard. Personne n’a pu répondre.
Jusqu’à ce que nous joignions Voies navigables de France (VNF) et son responsable de la division lyonnaise, Samuel Cado, qui détient la clef :
« Ces rails étaient utilisés du temps du barrage écluse de la Mulatière dans les années 1950. Un atelier à la pointe de la presqu’île servait à stocker le matériel d’entretien. Les rails transportaient des wagonnets de l’atelier au barrage. S’ils plongent, c’est parce qu’à l’époque, le niveau de l’eau était un mètre plus bas grâce au barrage de Caluire-Ile Barbe. On le voit d’ailleurs aujourd’hui : les plots en béton rouge et vert indiquent aux bateaux qu’il y a un obstacle à cet endroit. »
Tout simplement.
L’installation du barrage de Pierre Bénite en 1966 a conduit à la déconstruction de celui de la Mulatière. Et la disparition du barrage de Caluire-Ile Barbe a relevé le niveau de l’eau à cet endroit de la rivière.
Aujourd’hui, la pointe de la presqu’île change radicalement de visage avec la sortie de terre du nouveau quartier de la Confluence : les usines ont disparu pour laisser place à un espace urbain moderne et design. Quelques vestiges de cette époque sont discrètement conservés, comme ces rails.
> Signalé par un internaute, François Mailhes.
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