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Mon pharmacien m’a refusé la pilule du lendemain, en avait-il le droit ?

Ana, 32 ans, s’est vue refuser cet été la pilule du lendemain qu’elle comptait acheter, chez son pharmacien habituel. Elle n’a pas voulu en rester là et a tenté de déposer une plainte et d’alerter l’Ordre des pharmaciens. Témoignage.

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Une pilule.

Une pilule.

Un mardi de ce mois de juillet, nuit. C’est l’accident. Le lendemain, je tergiverse. Normalement, au vu de la période, je n’en ai pas besoin. Je n’ai pas envie d’imaginer le pire, je ne veux pas de grossesse. Je la gobe. J’en ai toujours une dans mon placard, au cas où. Un conseil de ma gynéco. Demain, j’irai m’en procurer une nouvelle.

J’en profiterai pour me racheter du fil dentaire, du coup.

Le jeudi suivant, je descends chez mon pharmacien attitré, dans le 7e arrondissement de Lyon. Là où j’ai mes habitudes, où j’achète mon sérum physiologique, mes préservatifs, mon produit à lentilles, mon Smecta et mes Doliprane. Celui qui me reçoit est un sexagénaire. Je le connais. Je ne me sens pas très à l’aise et j’inspire un grand coup.

« Bonjour, je voudrais la pilule du lendemain s’il vous plaît.
– Je peux vous poser quelques questions ?
– Oui, je réponds, sans réfléchir.
– Quand ont eu lieu vos dernières règles ? »

Là, je réalise que je n’ai pas du tout du tout envie de causer règles ou relations sexuelles avec mon pharmacien.

 

« Quel moyen de contraception utilisez-vous ? »

Devant ma mine en point d’interrogation, mon interlocuteur se met en devoir de m’expliquer que je ne suis pas obligée de prendre la pilule en fonction de la période de mon cycle. Bon, je suis au courant, là n’est pas le problème.

« -Écoutez, en fait, je l’ai déjà prise, j’en ai toujours une chez moi, je viens juste pour en racheter.

– Ah, très bien », opine l’apothicaire qui me tourne le dos pour aller chercher dans ses tiroirs la bille d’hormones.

Je soupire intérieurement. Tout va bien, il va me la donner.

« – Mais, dîtes-moi, quel moyen de contraception utilisez-vous ? »

Je n’ai absolument pas envie de répondre. Je suis suivie par une professionnelle, avec qui j’ai choisi comment j’évitais la grossesse.

Je ne souhaite pas rendre de comptes à mon pharmacien, parce qu’il s’agit d’un sujet intime, et qu’il ne me semble pas être l’individu le plus apte pour en discuter. En pleine pharmacie qui plus est, avec quatre clampins autour se rinçant l’oreille des délices de ma contraception.

Mais je suis lasse de le lui expliquer, je veux juste clore ce désagréable moment, récupérer le médicament et m’enfuir avec. Pour écourter et tenter de lui faire comprendre que je ne souhaite pas m’étendre sur les pilules, stérilets, capotes et autres implants, je change de sujet.

Je lui souris : « Je voudrais aussi du fil dentaire s’il-vous-plaît. » La phrase à ne pas prononcer, le sourire à ne pas esquisser.

Le visage du pharmacien se transforme en l’espace d’une seconde :

« J’aime pas qu’on se foute de ma gueule ! Je vous la vends pas ! »

 

« C’est un médicament, je vous le vends si je veux »

Je ne sais pas si le même sentiment d’humiliation m’aurait envahie si mon pharmacien m’avait refusée de Dafalgan. Je suis sidérée. Tremblante, je tâche de garder mon sang-froid et de discuter avec le pharmacien que, visiblement, j’ai rendu fou.

« – Vous plaisantez ? Vous êtes obligé de me la vendre.
– Absolument pas, c’est un médicament, je vous le vends si je veux. »

Au fond de mon cœur retourné, je sens confusément qu’il s’agit d’un conflit qui va au-delà d’une querelle entre un commerçant et une cliente.

« Je fais ce que je veux avec mon corps ! » je lance, pour essayer maladroitement de me donner une contenance. Les yeux de tous les clients de la pharmacie sont rivés sur moi. J’entreprends une digne sortie en décochant :

«- Vous savez que je peux vous dénoncer !
– Vous faîtes ce que vous voulez. »

Je me retrouve pantelante dans la rue, essayant de calmer mon palpitant en tachycardie et les vagues de consternation et de fureur qui me traversent.

Comment peut-il me renvoyer dehors alors que, en tout état de cause, je demande une attention spécifique ? Comment une femme peut-elle réagir à de telles incursions dans sa vie intime ? Comment oser retourner dans une boutique pour demander à un autre le médicament ?

Je ne compte pas en rester là. Le dénoncer ? Et pourquoi pas, après tout. Où dénonce t-on les gens, d’ailleurs ? Ah oui, au commissariat. Je respire bien à fond pendant le trajet qui me sépare des gardiens de la paix, avec l’appréhension que la prochaine interaction n’aura certainement rien d’une partie de plaisir.

 

Commissariat, Ordre des pharmaciens… et après ?

Une jeune femme agent de police me reçoit ; je souffle. Peut-être se sentira t-elle un peu concernée par la question ? J’explique qu’un pharmacien a refusé de me délivrer la pilule du lendemain.

« Vous êtes mineure ? » me demande t-elle. Certes je m’applique à conserver une peau lisse mais tout de même, madame, j’ai trente-deux ans.

« Et bien, il faut une ordonnance pour la pilule du lendemain », dit-elle a hasard. C’est faux et cette méconnaissance totale de la situation ne laisse rien augurer de bon. Je réponds que non.

« Bon, dit-elle, est-ce qu’il y a un texte de loi pour obliger les pharmaciens à vendre la pilule aux majeures ? » Ma parole, le monde s’est retourné. Je me contente d’observer l’uniforme de la policière.

« N’est-ce pas plutôt vous qui devriez savoir ce genre de chose ? ai-je risqué.
– Ah non, moi je suis pas au courant, » a-t-elle réagi avec aplomb.

Et puisqu’elle souhaite me voir débarrasser le plancher au plus vite, elle enchaîne :

« Bon, vous regardez les textes de loi, s’il y a quelque-chose, vous retournez à la pharmacie avec, et si le pharmacien refuse toujours de vous vendre la pilule du lendemain, vous nous appelez. »

Une immense lassitude m’envahit. Je n’ai plus envie d’expliquer, d’insister pour qu’elle prenne une main-courante ou une plainte. Plus du tout envie. Serpillière, je sors en abandonnant toutes les formes de dignité jusqu’ici arborées. Je vais rejoindre mes copines, pleurer et m’indigner dans leur giron.

 

« On vous tiendra au courant »

Les voilà qui s’enflamment.

« Écris un courrier recommandé à l’Ordre des pharmaciens, me conseille une amie bien informée. Il se prendra un blâme, ça lui fera les pieds ! »

Après une semaine pour digérer l’événement, j’envoie enfin un courrier pour signaler le litige. Aujourd’hui, fin septembre, cette missive reste en attente de traitement, aux dires de mon interlocutrice téléphonique de l’Ordre des pharmaciens. Mais on me tiendra au courant.

L’Ordre m’a précisé que d’une part, un pharmacien n’est jamais obligé de disposer de tous les médicaments dans le stock de son officine, et d’autre part, que toute délivrance est faite sous sa responsabilité. Dans ce cadre, le code de déontologie prévoit qu’en cas de risque pour le patient, le pharmacien a le devoir de refuser de délivrer.

J’ai relevé que la Haute Autorité de la Santé mentionne qu’ « en aucun cas un pharmacien ne peut refuser la délivrance d’une contraception d’urgence ou d’une contraception au nom de ses convictions morales ou religieuses » ; il pourrait risquer une suspension d’exercer de deux semaines.

 

Merci à tous les pharmaciens qui ne jugent pas

J’ai déployé pas mal d’énergie dans cette histoire. Est-ce que ça en valait la peine ? Est-ce que je ne me trouve pas en tort, est-ce que je n’aurais pas dû répondre plus humblement aux questions du monsieur ? Pourquoi est-ce que je me sens coupable ?

L’opposition, ou le dénigrement des pharmaciens, je me suis rendue compte en en parlant autour de moi que beaucoup de filles en ont déjà fait l’expérience. Bien sûr, se protéger est indispensable. Mais les accidents peuvent arriver à tout le monde, déchirure ou perte de préservatif, coït interrompu mal contrôlé, soirée un peu arrosée, oubli de pilule, et je ne mentionne même pas les possibilités de viol. La pilule du lendemain existe pour ça, justement.

Est-ce que cela ne suffit pas, trembler de tomber enceinte, et aller quémander à un vieil homme la pilule magique ? Est-ce qu’il est vraiment nécessaire de se faire humilier en prime ? Parce qu’on est -forcément- une jeune conne irresponsable qui ne sait pas maîtriser seule son corps. Heureusement que le pharmacien se trouve là !

Grâce à lui, je me suis enrichie d’un peu de rancœur, de beaucoup de culpabilité et éventuellement d’une perte de confiance en moi. Du bon boulot, monsieur. Vous rendez-vous compte que vous envoyez éventuellement une jeune femme vers le traumatisme d’une IVG.

Merci à tous les pharmaciens et toutes les pharmaciennes qui nous remettent la pilule du lendemain sans jugements, à ceux qui connaissent le sens du mot discrétion, à celles qui acceptent que nous éconduisions leurs questions.

 


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