Étienne Herreros est ex-champion de France de roller de descente. Lyonnais d’origine, il fait partie d’un petit cercle d’initiés qui s’amusent à descendre à toute allure, au milieu des voitures, les pentes de la ville. On l’a rencontré, au détour d’une session d’entraînement à la Croix-Rousse. Nouvel épisode de notre série « La ville comme terrain de jeux ».
On découvre Étienne Herreros au sommet du Boulevard de la Croix-Rousse, un mercredi soir, à la fin de la journée. Il est avec deux amis. Rires francs, blagues d’initiés et protège-fesses sortent en pagaille du coffre de la voiture contre lequel ils se changent.
Étienne est champion de France de la discipline. Lyonnais de longue date, il s’est lancé dans « la descente » suite à des randonnées organisées par l’association « Générations roller » au début des années 2000. Celles-ci verront passer, tous les vendredis soirs, plusieurs milliers de roller-bladers, amateurs, pros, curieux, hasardeux. Dans le flot des glisseurs passionnés, Étienne rencontre Benoît Gamba, la « légende de la descente », et son frère Jean-Baptiste.
Il traîne avec eux, va « au parc » et se laisse tirer jusqu’aux pentes. Il finit par plonger dedans en 2006, « de manière assez naturelle », et se lance dans des compétitions à l’international. Aujourd’hui, il fait partie du petit cercle des meilleurs mondiaux de la discipline : champion du monde Junior en 2008, champion de France en 2013, 10e au championnat du monde de descente en 2009, : vice-champion de France, la même année. En juin, il a terminé 5e en chrono en Italie, à la Cisterna d’Asti, en Italie, première étape du circuit mondial de la saison.
« À Lyon, on a un très beau plateau de descendeurs »
Lyon a vu naître la plus grosse association française de descente en roller, Lyon Riders, maintenant absorbée par « Lyon Roller ». L’asso revendique en 2014 une quarantaine de membres pour la section « descente ». Une poignée, une goutte d’eau dans l’océan que représentent les sports de rue réunis au sein de la Fédération française de Roller et ses 54 000 membres en 2012.
Lyon est une ville capitale dans le milieu du roller de descente. Les « très belles pentes » de la topographie lyonnaise n’y sont pas pour rien : la Croix-Rousse (pour les entraînements), Caluire, le Chemin Neuf, les Monts-d’Or… Autant de terrains de jeu adéquats.
« À Lyon, on a été pendant très longtemps la capitale du roller en descente dans le monde, juge Étienne. On a organisé trois fois les championnats du monde. On a eu une légende de la descente, Benoît Gamba, qui fait maintes et maintes fois vainqueur de la Coupe du monde, toujours très bien classé au Mondial. Harry Perna, l’ancien champion du monde, qui a gagné 4 ou 5 fois le championnat du monde. À Lyon, on a un très beau plateau de descendeurs. »
« La discipline ne se casse pas la gueule »
Mais ça, c’était avant. Thierry, la trentaine passée, attend que ses potes descendent pour faire des dérapages contrôlés devant la caméra. Il est nostalgique, « c’était mieux avant », et parle d’époque presque révolue :
« Ça fait 35 ans que je fais de la descente. J’en fais toujours, mais plus autant qu’avant. Il y une dizaine d’années, on en faisait partout, tout le temps. Puis de nouveaux sports de glisse sont apparus, prenant la place du roller. On n’est plus dans l’envolée des années 90. Mais je ne pense pas que le discipline soit morte. »
« La discipline ne se casse pas la gueule », assure Alexandre Lebrun, le copain qui accompagne Étienne et Thierry, et qui est accessoirement responsable de la section descente chez Lyon Roller. Il prend pour exemple la « nouvelle génération », dont fait partie Étienne, qui reprend le roller de descente actuellement. Si la « première jeunesse » de la descente est passée, quelques riders tentent malgré tout d’empêcher la flamme de s’éteindre. À l’image d’Étienne :
« À partir de 2006, des piliers de la descente à Lyon ont mis entre parenthèses la pratique de la descente pour se concentrer sur d’autres disciplines du roller, comme la vitesse, par exemple. Comme la descente est une discipline qui tourne beaucoup autour de quelques personnages, et que Lyon était la capitale mondiale de la descente, ça a mis un tacle à toute la discipline dans le monde entier. »
« C’était un peu à l’extérieur de Lyon, pendant une session d’entraînement. Une voiture prise de front. »
Roller, sponsor et animateur sportif
La génération d’après n’était pas prête à reprendre le flambeau si rapidement. Il a fallu attendre encore après, une troisième génération, disent-ils, celle d’Étienne, pour relancer la descente. Mais quand celui-ci décide de se lancer, en 2006, les sponsors ne suivent plus. Et participer à une course coûte de l’argent : entre 70 et 180 euros en frais d’inscription, 80 euros pour un jeu de roues (bon à jeter après un seul ‘run’), et quelque 300 euros d’équipement de protection. Une somme élevée quand on est encore étudiant.
« Il a fallu le lobbying et la motivation d’Alexandre Lebrun pour que ça reparte. J’avais raccroché les patins depuis 2009, j’ai recommencé il y a peu de temps. Cette année, je fais toutes les manches de la Coupe du monde, et Harry [Pernat] aussi. On a réussi à re-motiver l’Autrichien Daniel Ladurner, qui avait lui aussi arrêté. »
L’effondrement partiel de la discipline et sa laborieuse reconstruction oblige à avoir d’autres revenus. Étienne bosse en tant qu’éducateur sportif, pas seulement en roller. C’est, à l’heure actuelle, ce qui lui rapporte la majorité de ses revenus.
Un OVNI roulant à 70 km/heure dans la ville
Le niveau d’Étienne paraît disproportionné par rapport à sa vie professionnelle « classique » d’éduc sportif. Des heures et des heures d’entraînement pour devenir un OVNI dans la ville, ou un ORNI (objet roulant non identifié) pour atteindre une précision technique que seules quelques personnes dans le monde peuvent prétendre avoir atteint.
« Le roller de descente n’est pas accessible à tout le monde, tout de suite. Les courses sont très courtes, elles durent entre 1 et 3 minutes. La bonne préparation physique va juste servir à être plus concentré, à arriver lucide en fin de course. Mais il faut vraiment être au point techniquement. Une descente de 3 minutes où tu es tout le temps en train de freiner et que tu gères mal va te fatiguer beaucoup plus que si tu tu es techniquement au point.
Le gros point technique de la descente, c’est le freinage et les trajectoires. Les deux sont mêlés, il faut réussir à freiner tout en trajectant. Et les personnes qui sont capables de faire ça sont en général de très bons descendeurs, et se comptent sur les doigts de la main. »
Le roller de descente et la corde à sauter, même infraction, même amende
Lors des sessions d’entraînement, les descentes se font aux horaires adéquats. On arrive, si possible, après la cohue du retour de bureau. Sur les coups de 20h, 20h30. Sans lumière ni appareils réfléchissants, les roller-bladers sont difficilement repérables par les autres usagers de la route, notamment les voitures. En moyenne, ils filent à 60 km/heure – 70km/heure. Jusqu’à 90km/heure prétendent certains. On imagine la police aux aguets, tendue sur le sujet. Mais non :
« La descente en roller, fondamentalement, on ne peut pas nous l’interdire, affirme Étienne. Réglementairement, c’est considéré comme un jeu de rue, au même titre que la corde à sauter. L’amende maximale qu’on peut nous donner c’est 4 euros, 7 euros majorée.
C’est très rare qu’on se fasse sanctionner. Vu qu’on est très actifs depuis les années 2000, on est tolérés par la police le mercredi soir. Pas les autres jours de la semaine. Après, ce qui est interdit, c’est de s’accrocher aux voitures pour remonter. Après, je suis en roller, je descends une pente pour rentrer chez moi, on ne peut rien me reprocher. »
Les altercations avec les agents de police ont lieu, « de temps en temps ». Et encore, « c’est parce qu’ils sont inquiets » des éventuels accidents. Les accidents, justement. Il n’y en a eu qu’un seul, selon Étienne. C’était en 2005 ou 2006, pas loin d’ici :
« C’était pas en ville, c’était un peu à l’extérieur, pendant une session d’entraînement. Une voiture prise de front. Ça a fortement marqué les esprits, et c’est pourquoi, je pense, on n’en a eu qu’un seul. Ça a refroidi le côté ‘wanagain’ de la discipline. »
« On se synchronise avec les feux rouges »
On regarde le flot de voitures défiler sur le boulevard de la Croix-Rousse un peu différemment, maintenant. Avec un peu d’appréhension, on les imagine slalomer au milieu des bolides, lancés à pleine vitesse, frôlant la mort à chaque instant. Étienne calme nos fantasmes :
« On évite de jouer avec les voitures, si possible. On se synchronise avec les feux rouges, de manière à partir juste après que les voitures sont parties, qu’il n’y en aient pas derrière. Et comme il y a toujours un laps de temps entre deux feux pour passer du rouge au vert, on en profite pour descendre. Et bon, de manière générale, on essaye de descendre sur des routes à sens unique. »
Pour sa propre sécurité et celle des autres, la discipline nécessite des heures d’entraînement.
« Il faut avoir un bon bagage technique en roller général pour pouvoir se lancer. Il faut avoir un équipement, on peut pas se lancer en roller comme on se lance en vélo avec juste un petit casque. Quand tu tombes en roller à 40, 50km/h, tu vas te raper le dos, les cuisses. Et c’est très exigeant, plus techniquement que physiquement. »
Une dernière pour la route
Les trois roller-bladers en font une dernière, pour la route. La montée des Esses, à double sens, la nuit tombée, GoPro embarquée. Étienne fonce, est largement devant, se fait engueuler par ses collègues. On tente de prendre des photos mais ça va vite, le flash ne fonctionne pas. Tant pis. On les remonte en voiture, un devant, deux derrières, accrochés à la vitre du conducteur et aux pare-choc.
Sur le chemin du retour, on s’est pris à juger ses trois gosses avec des corps d’adultes, qui s’élance à genoux perdus dans les pentes de la Croix-Rousse, qui s’attendent, se donnent des conseils, se charrient, se tirent la bourre, avec leurs échafaudages de plastique qui jurent avec leur propre plastique.
Ceux-là même qui cachent les bières derrière des packs de bouteilles d’eau, dans le coffre de la voiture. Pour l’image. Puis on s’est dit que ça ne rimait à rien, finalement, et qu’on était certainement un peu jaloux de n’avoir pas su garder une pratique de gosse, nous aussi.
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