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Blog du taulard #19 : et l’insertion du prisonnier ?

Tu connais, lecteur, l’expression : « l’arbre qui cache la forêt ». Eh bien, je te propose de regarder ensemble, si tu le veux bien, au-delà de l’apparence de ce dicton, car je crois qu’on y trouve la véritable problématique du bouc émissaire.

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Prisons région Lyon Villefranche

Entrée de la maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône.

On nous a déjà expliqué, René Girard, pour ne pas le nommer, dans son livre magnifique : « Les Choses cachées depuis l’origine du monde » que le bouc émissaire était la conséquence majeure du mimétisme, et aboutissait au sacrifice qui libérerait la communauté des tensions et de la peur. (Les curieux iront sur le net pour en savoir davantage). C’est un processus majeur dans le fonctionnement collectif.

Mais cet arbre qui cache la forêt a une autre facette, celle du leurre qui évite la vue en perspective. L’arbre empêche de voir l’horizon, en quelque sorte, il l’obstrue. Mieux, il dirige le regard, pour que celui-là n’aille pas errer ailleurs. Allez, illustrons cela par un exemple. Les Roms, tiens. Ils sont combien en France ? Même pas 15 000 à tout casser, à la louche un groupuscule sur 69 millions d’habitants. Quel est l’intérêt de les mettre ainsi sur le devant de la scène avec la complicité des médias ?

Parce que cette minorité permet d’éclipser tous ceux qui vivent dans des bidonvilles, dans la rue, dans du précaire et même dans leur bagnole, beaucoup plus nombreux que les Roms. On ne parle pas vraiment, grâce à ce brouilleur, de tous ceux qui pâtissent de l’exploitation des patrons, du refus du partage des richesses, de la crise du logement, de l’incurie organisée des services sociaux, la précarité comme moyen de museler les pauvres… Non seulement ça masque le réel, mais ça oriente ton regard et en conséquence aussi ta pensée. C’est donc bien plus que de la dissimulation, qu’un artifice de la cachotterie.

Mon côté Robin des bois

Oh, on dégueule sur nous les faux prétextes : On ne peut laisser vivre les gens dans l’insalubrité, surtout les enfants (qu’on refuse dans les écoles par ailleurs). Que ces gens là n’ont pas vocation à s’intégrer, que leur culture n’est vraiment pas la nôtre… Comme dit Etienne Balibar, on met en œuvre des politiques inhumaines au nom de la dignité humaine.

Pourquoi je te parle de ça ? Parce que c’est exactement le même tour de passe-passe pour la délinquance et la prison. On stigmatise les taulards pour dissimuler la véritable insécurité, qui, tu t’en doutes, ne tient pas à quelques cambriolages ou à l’arrachage d’un portable. Je reconnais, c’est chiant, ça énerve et c’est pénible, même si on est loin de la mort d’homme. Je suis le premier à dire dans la cour de promenade qu’il faut braquer les riches, pas le voisin lambda. C’est mon côté Robin des bois. Mais ne digressons pas !

Parce que, l’inquiétude des gens, on l’enferme là dedans, on leur dit que c’est par là qu’ils ont peur. On capture ta pensée en te mettant en boucle le fait divers horrible qui va bien et on ne dit pas que, seule, 0,2 % de la population carcérale est concernée par ce fait divers, ou, comme je le soulignais l’autre jour, que la France est le pays d’Europe où l’on tue le moins.

Avec cet arbre qui cache la forêt, on y met des sortes de slogans qui affirment ainsi que les catégorisations sont réelles, que les bons et les méchants existent bien et qu’il faut protéger le bon peuple de cette racaille délinquante. Et vas y qu’on insiste sur la récidive pour mieux faire pousser l’arbre et que sa ramure soit encore plus masquante. Là encore, on ne te dit pas que les conditions de détentions, l’humiliation quotidienne, l’absence organisée de perspectives, le monde hors la loi derrière les murs sont les causes fondamentales et presque exclusives de la récidive.

Rétif à l’insertion, donc ?

Comme on refuse l’intégration aux Roms, on te dit que le taulard est plus que rétif à l’insertion dans la communauté, que c’est lui qui refuse les normes dominantes, qu’il est l’exception sociale, bref un fouteur de merde dangereux et d’ailleurs, rajoute-t-on, c’est bien lui qui s’exclut tout seul par son comportement. En conséquence, on a bien raison de l’enfermer. Le taulard est renvoyé à l’altérité radicale qui justifie la fermeté du pouvoir, et le disculpe d’une réinsertion qui n’existe pas et est, en vérité, un concept creux.

On nomme cet arbre : le rebut de l’humanité et on vient te dire que toi tu n’en fais pas partie, que t es du bon côté et que tu y resteras si tu ne vas pas voir derrière cet arbre, car la curiosité est un vilain défaut. Et que si tu reste de ce côté là, on va bien te protéger. Bien sûr il faudra payer pour ça, l’économie a ses lois, mais ta tranquillité n’a pas de prix.

Mais si tu veux voir des vessies et non des lanternes, si tu te laisses contaminer par cette gangrène, alors tu sais ce qui t’attend, on t’accrochera à l’arbre en te disant que tu as du bol puisque la pendaison n’existe plus. C’est vrai, ça n’existe plus, c’est juste remplacé par l’étouffement perpétuel.

Alors tu penses bien, on les entretient ces arbres, parce qu’il n’y en a pas qu’un, tu penses, et les pépiniéristes sont des vrais professionnels. Ce n’est pas demain qu’on laissera passer les bûcherons. Va falloir attendre qu’avec tant de mensonges les arbres qui cachent la forêt deviennent eux mêmes une forêt, en échappant aux arbres qui cachent ceux qui cachent les arbres cachés.


#Blog du taulard

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Photo : Sébastien Erome / Signatures.

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